Autopsie du pont Champlain : projets de recherche de plus de 1 M$ pour l’UdeS
« Le pont Champlain ne sera pas démoli, il sera déconstruit. La nuance est importante, explique le professeur Radhouane Masmoudi. Il est plutôt rare que l’on associe des projets de recherche appliquée à la déconstruction d’un projet d’infrastructure de cette envergure. C’est une occasion unique de mieux comprendre et de proposer de nouvelles avenues. »
Par cette déconstruction pensée et structurée qui débutera en 2020, la Société des Ponts Jacques-Cartier et Champlain (PJCCI) veut réussir à valoriser 250 000 tonnes de béton, 25 000 tonnes d’acier et 12 000 tonnes d’asphalte, veut réussir à le faire dans un contexte de protection de l’environnement, veut aménager l’espace qui redeviendra libre pour les citoyens et veut faire de la recherche et développement sur les éléments déconstruits un à un pour permettre de développer des techniques novatrices et d’améliorer la durabilité des infrastructures sous sa responsabilité.
La PJJCI a sélectionné 10 projets de recherche et développement qui permettront d’acquérir de nouvelles connaissances en lien avec la performance et la durabilité des infrastructures. Parmi les 10 projets, trois sont menés par des professeurs du Département de génie civil et de génie du bâtiment : Pr Richard Gagné, Pr Radhouane Masmoudi et Pr Brahim Benmokrane. Trois projets de recherche d’une valeur totale de plus de 1 M$.
C’est une excellente nouvelle pour le Département, exprime le directeur, le Pr Jean Proulx. Trois projets choisis parmi 10 projets, c’est une belle marque de confiance pour les activités de recherches de nos chercheurs, qui rejaillit sur la Faculté de génie et l’Université de Sherbrooke. Ces projets contribueront aussi à la formation de personnel hautement qualifié, incluant des étudiants de 3e cycle et des stagiaires postdoctoraux.
Autopsie des réparations de surface
« Le projet Analyse critique et suivi de la performance de réparations de surface des éléments de béton (199 000$ sur 3 ans) est une occasion unique d'avoir un accès à un ouvrage en béton majeur ayant plus de 50 années de service sous les conditions d'exposition très sévères du climat québécois. C’est comme faire une autopsie des réparations de surface qui ont été réalisées au fil des ans sur les éléments structuraux en béton et faire un bilan de leurs performances pendant leur temps de vie. On regardera entre autres les facteurs d’adhérence, les caractéristiques des fissures et la durabilité », explique le professeur Richard Gagné, responsable de ce projet avec un collègue de l’Université Laval.
La déconstruction permettra de récupérer de très grosses pièces de béton de plusieurs tonnes. Les plus grosses pièces seront entreposées dans un site fermé qui sera accessible aux chercheurs. Nous allons pouvoir faire des prélèvements et des essais in situ, c’est-à-dire directement sur le site. Certaines de ces pièces seront coupées en plus petits morceaux pour pouvoir faire des analyses plus poussées dans les laboratoires de l'UdeS et de l'ULaval.
Ce projet permettra de mieux comprendre les paramètres qui influencent les performances à long terme des réparations des structures en béton. On pourra identifier les approches de réparation les plus performantes (types de béton de réparation, méthodes de préparation des surfaces, méthodes de mise en place du béton). L'analyse des résultats permettra notamment d'enrichir les devis techniques pour optimiser les performances à long terme des structures de béton réparées.
Quand l’extérieur s’invite dans nos labos!
« Habituellement, on apporte des éléments développés en laboratoire pour les tester à l’extérieur, mais là, c’est l’inverse, illustre le professeur Radhouane Masmoudi, responsable de cet autre projet. L’extérieur s’invite dans nos labos! » Ce projet va permettre d’évaluer la performance générale de la technique de renforcement par polymères renforcés de fibres de carbone (PRFC) en termes de capacité structurale et de gain supplémentaire, de déformation et de durée de vie. Intitulé Évaluation de la performance des renforcements par polymères renforcés de fibres de carbone (PRFC) et développement d’un modèle de prédiction de leur durée de vie, ce projet de recherche permettra notamment de pouvoir répondre à la question suivante : « Le renforcement par PRFC pourra être efficace combien de temps ? »
La performance à long terme des renforcements en PRFC sous conditions de services réelles – c’est-à-dire en situation réelle, avec les charges réelles appliquées et les variantes climatiques - est encore peu connue et très peu documentée, explique le professeur Masmoudi. On va donc tenter d’étudier l’effet de ces conditions environnementales agressives sur la capacité résiduelle des éléments du pont renforcées par PRFC. Pour ce faire, on va entre autres tester l’effet des charges dynamiques et de fatigue par rapport à des éléments identiques mais non renforcés par PRFC.
L’objectif global est d’arriver à dessiner un modèle de prédiction de la durée de vie des éléments en béton renforcés de PRFC et d’optimiser éventuellement les modèles de conception en se basant sur l’expérience du pont Champlain. « Ces projets de recherche sont très bénéfiques pour le développement durable, conclut Pr Masmoudi. C’est une belle vision responsable selon moi de décider d’investir dans une déconstruction. »
De l’aérospatial au génie civil
Avec cet autre projet, on touche de nouveau les renforcements par PRFC, mais cette fois dans un contexte de nouveau développement. On parle d'une nouvelle génération de composites en fibre de carbone à haut module d’élasticité (460 GPa), qui permet d’ouvrir la voie vers de nouvelles possibilités d’applications à des structures métalliques.
Les ponts à charpente d’acier représentent une partie importante de l’infrastructure au Québec. On peut citer notamment le pont Mercier, le pont Jacques-Cartier, le pont de Québec, le pont Laviolette, le pont Victoria et le pont de l’Île d’Orléans. Ces ponts anciens sont tous affectés par des problèmes de corrosion et de fissuration à différents niveaux; le prolongement de leur durée de service passera par des travaux de renforcement qui feront appel à ces matériaux en fibre de carbone à haut module.
Intitulé Expérimentation et directives de conception pour la réparation et le renforcement des ponts en acier utilisant des composites de PRF de carbone à haut module collés en surface (486 000$ sur 3 ans), ce projet permettra de faire des tests avec des charpentes du pont Champlain déjà vieillies et observer ce qui se passe lorsqu’on leur applique le nouveau matériau.
La fatigue causée par les nombreux passages de véhicules est la deuxième cause, après la corrosion, de dommages causés aux structures métalliques, explique le Pr Brahim Benmokrane, chercheur principal de ce projet. À cause de ses propriétés mécaniques différentes atteintes par une très, très haute température, ce matériau est léger, facile d’installation, résiste à la fatigue, n'est pas sujet à la corrosion et épouse la forme des éléments à renforcer. Notre défi principal dans ce projet consiste à trouver le bon adhésif entre ce matériau et la surface d’acier à renforcer. Que ça devienne maintenant accessible au génie civil est réellement innovant. On a un réel besoin. Avant, il n’était utilisé qu’en aérospatial, conclut le professeur.
Sur la base d’expérimentations en laboratoire et sur le terrain, ce projet de recherche va permettre le développement de nouveaux modèles analytiques pour prédire de manière fiable la contribution du composite en fibre de carbone à haut module à la résistance et pour déterminer la durée de vie des éléments structuraux en acier renforcés avec de tels composites pour des charges de fatigue et environnementales qui sont les nôtres. Ces modèles seront finalement incorporés dans les codes et normes de calcul de ponts canadiens. Un guide technique pour une installation durable sur le terrain sera aussi élaboré pour les besoins d’ingénieurs et d’entrepreneurs œuvrant dans le domaine de la réhabilitation des ponts métalliques. Le groupe de recherche du Pr Brahim Benmokrane travaillera sur ce projet en collaboration avec des chercheurs de l’École de technologie supérieure de Montréal et de l’Université Queen’s à Kingston, en Ontario.
3,4 km d’objets de recherche
Comme il a été reconnu que ce sont des problématiques de conception et de drainage qui ont entraîné la détérioration prématurée du pont Champlain, ces recherches permettront de mieux comprendre les défis auxquels font face les infrastructures de transport soumises aux conditions hivernales du Québec et d’améliorer les connaissances des cycles de vie des structures de PJCCI. Et faire des essais sur des éléments à l’échelle réelle ayant complété leur cycle de vie est une occasion unique d’y arriver.