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Vers un meilleur contrôle de la bactérie C. difficile

Le professeur Louis-Charles Fortier
Le professeur Louis-Charles Fortier

Une épidémie de la bactérie Clostridium difficile (C. difficile) a fait des ravages dans les hôpitaux du Québec en 2003 et 2004. À l’époque, 1200 personnes seraient mortes après avoir contracté la bactérie pathogène qui cause une infection intestinale. L’équipe de Louis-Charles Fortier, professeur à la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’UdeS et chercheur au Centre de recherche clinique Étienne-Le Bel du CHUS, étudie le rôle que peuvent jouer les bactériophages (ou phages, des virus qui n’infectent que les bactéries) dans la virulence et l’évolution de C. difficile.

Pour la première fois, on a démontré que la bactérie C. difficile libérait naturellement des phages dans les selles des patients. En effet, la plupart des souches de C. difficile possèdent des phages latents intégrés dans leur chromosome (prophages). On pouvait penser que les phages intégrés dans le génome d’une bactérie resteraient latents et inoffensifs, mais on a pu observer qu’ils sont capables de lyser la bactérie, la faire éclater, et ainsi sortir et se promener librement. Ce phénomène n’avait jusqu’alors jamais été observé dans un contexte naturel d’infection à C. difficile. Cette nouvelle a été publiée à la fin 2012 dans la revue Applied and Environmental Microbiology.

Le rôle des phages dans les infections à C. difficile demeure flou pour le moment, mais cette observation amène des éléments de compréhension sur les mécanismes de virulence et d’évolution chez cette bactérie. «Les phages libérés pourraient aller infecter et s’intégrer dans le chromosome d’autres souches de C. difficile et, par un processus évolutif, ces souches pourraient être avantagées, prendre le dessus et même devenir épidémiques, explique le professeur Fortier. Ces phages pourraient aussi tuer d’autres bactéries intestinales compétitrices et laisser ainsi le champ libre à C. difficile pour gagner du terrain. Comme le traitement antibiotique contribue à augmenter la fréquence de libération des prophages, il pourrait aussi contribuer à l’augmentation de la virulence de C. difficile. Les phages sous stress sortent plus souvent!»

Quand une souche devient résistante aux antibiotiques

La prise d’antibiotique affaiblit la flore intestinale, créant alors un milieu favorable pour une infection à C. difficile, bactérie souvent retrouvée en milieu hospitalier. Mais pourquoi une telle virulence, une telle agressivité chez la bactérie depuis quelques années?

«Une souche spécifique de la bactérie C. difficile a développé une résistance à un certain type d’antibiotique, explique le chercheur. La présence de cette souche de la bactérie, devenue résistante, s’est alors amplifiée. Simple sélection naturelle. Cette souche est dominante à environ 70 % au Québec. En plus, elle a acquis des mutations génétiques entre 1985 et 2006, ce qui pourrait expliquer en partie sa virulence.»

Thérapie par les phages

La thérapie par les phages est devenue un domaine de recherche «à la mode» au cours des dernières années, apparaissant comme une option intéressante pour contourner la résistance aux antibiotiques. Quelques groupes de recherche canadiens, dont celui du professeur Fortier, ont notamment reçu des subventions de recherche pour aller de l’avant avec cette piste.

«Au départ, on a essayé d’isoler des phages exclusivement lytiques, ceux-là mêmes qui pourraient uniquement tuer C. difficile en provoquant la lyse ou l’éclatement de la bactérie. Si des phages peuvent provoquer la destruction de la bactérie, pourquoi ne pas s’en servir comme arme de destruction massive?» dit le chercheur. Les expériences ont démontré que les phages n’étaient pas exclusivement lytiques : 1 % d’entre eux redevenaient latents, provoquant ainsi l’immunité des bactéries qu’ils ont infectées. En effet, celles-ci ne peuvent pas être tuées par le même type de phage que celui qu’elles «hébergent».

Comment rendre la bactérie C. difficile moins offensive

Dans une étude préalable, on a démontré que la présence de certains phages dans les bactéries augmentait la production de toxines, ce qui rendait les bactéries plus virulentes. «Actuellement, on essaie de comprendre comment les phages peuvent interférer sur la production de toxines, dit Louis-Charles Fortier. Peut-être pourrait-on ralentir la production de toxines grâce à certains phages et ainsi rendre les bactéries moins offensives.»

Il n’est pas possible d’enrayer la bactérie C. difficile, mais si on pouvait à tout le moins la gérer, la contrôler pour qu’elle soit moins virulente, on aurait affaire à des infections moins sévères, qui auraient beaucoup moins d’impact sur la santé des gens. Tous ces résultats aident donc à mieux comprendre les mécanismes de virulence et les forces évolutives chez la bactérie C. difficile et amènent des pistes intéressantes d’expérimentation.