Sciences
Les microaimants : un pas de géant pour l’informatique quantique
Expert sherbrookois de la manipulation de l’information quantique à l’aide de microaimants, Julien Camirand Lemyre a contribué avec son directeur de recherche, Michel Pioro-Ladrière, à une étude interuniversitaire publiée dans la revue Nature, laquelle pourrait faciliter le développement des futures générations d’ordinateurs quantiques.
Quelque 150 ans après l’invention du tableau périodique des éléments, des microaimants intégrés à des atomes artificiels ouvrent de nouveaux horizons dans la manipulation de l’information quantique.
C’est sous ce thème de recherche que Julien Camirand Lemyre a réalisé ses études de 3e cycle en physique à l’Institut quantique (IQ), sous la supervision du professeur Michel Pioro-Ladrière, l’inventeur de la technique des microaimants. Leur objectif : trouver la bonne unité de base, le bit quantique ou qubit, qui servira à fabriquer l’ordinateur quantique.
« Ma recherche est basée sur ce qu’on appelle une boîte quantique, explique Julien. Je fabrique des puces qui se comportent comme des atomes artificiels et qui permettent de piéger un seul et unique électron. Ma contribution dans mon doctorat, c’est l’utilisation de ce qu’on appelle des microaimants. Mon travail consiste à trouver une façon d’ajouter l’aimant aux boîtes quantiques sans corrompre les propriétés quantiques de la boîte. Ce n’est pas une tâche facile. »
L'avantage des microaimants, c'est qu'ils permettent de manipuler l’information quantique, le spin, plus efficacement et plus rapidement. On espère qu’ils serviront d’assise pour construire l’ordinateur quantique.
À ce jour, la technique des microaimants est la plus performante pour manipuler l’information quantique du spin dans les atomes artificiels.
Selon le professeur Pioro-Ladrière, les travaux de Julien portant sur les microaimants constituent la voie de l’avenir pour le procédé qui a été mis au point dans son laboratoire :
« Lorsqu’on pense à un physicien ou à une physicienne, c’est souvent l’image du rat de laboratoire qui nous vient en tête. Julien, c’est tout le contraire. Il ose sortir du laboratoire, des murs de l’université, pour accélérer les découvertes. La contribution de Julien à la publication dans la prestigieuse revue Nature découle de son approche entrepreneuriale à la recherche. »
Publication dans Nature
Depuis un certain temps, l’équipe du professeur Pioro-Ladrière, dont Julien fait partie, collabore à une étude interuniversitaire basée sur les microaimants. Il s'agit d'une collaboration entre l'UdeS et le Centre for Quantum Computation and Communication Technology de l’Université New South Wales, en Australie.
En intégrant l’approche des microaimants développée à l’UdeS à un dispositif à base de silicium purifié fabriqué par l'Université New South Wales, le groupe de recherche a réalisé une percée qui pourrait faire avancer l’informatique quantique.
La découverte a d’ailleurs fait l’objet d’une publication dans la prestigieuse revue scientifique Nature.
« La plupart des expériences de qubits pour l’informatique quantique sont réalisées à de très basses températures, explique Julien. On parle d’une dizaine de millikelvins. C’est très froid, ce ne sont pas des températures qui existent sur la Terre ou même dans l’espace. On est en mesure de construire des réfrigérateurs à dilution qui atteignent ces températures. Dans notre article, l’architecture à base de microaimants permet de s’affranchir de cette contrainte et d’opérer les bits quantiques à plus haute température. »
On travaille à 1 kelvin, et c’est ça, la nouveauté. À cette température, on envisage d’être capables d’intégrer l’électronique de contrôle qu’il faut pour les qubits. Pour l’ordinateur quantique, ça représente un pas vers l’avant.
Julien Camirand Lemyre
Il va sans dire que l’apport de l’IQ dans cette publication est majeur. En plus de fournir la technique permettant de placer les microaimants dans les boîtes quantiques, les chercheurs de l’IQ ont réalisé le design et la conception du dispositif. Quant aux chercheurs de l’Université New South Wales, ils ont fabriqué les dispositifs et effectué la démonstration expérimentale.
« L’expertise de nos collègues à l’Université New South Wales, c’est la manipulation de qubits de spin, mais aussi la fabrication sur des structures en silicium, poursuit l’étudiant. À Sherbrooke, nous avons l’habitude d’intégrer les microaimants à d’autres types d’architectures. On a donc mis en commun nos savoirs pour permettre la fabrication et l’implémentation. »
Bien qu’il s’agisse d’une avancée importante, Julien n’entend pas se croiser les bras. « On n’a pas atteint les performances qu’on aimerait avoir. Il y a encore du travail à faire à ce niveau. Nous avons démontré comment opérer à plus haute température, et là, il faut améliorer les choses. On a fait un pas, et on va continuer de construire à partir de ce pas. »
Dans un futur proche, on peut donc s’attendre à voir naître plus de collaborations entre l’IQ et d’autres laboratoires de science quantique. Qu’à cela ne tienne, la mise en commun d’expertises complémentaires, c’est l’une des forces de l’UdeS, mais aussi de Julien.
Étudiant engagé et voué à l’interdisciplinarité
Il suffit de jeter un coup d’œil sur les différents outils promotionnels liés à l’IQ pour comprendre que Julien a été un étudiant bien en vue à l’UdeS. Du baccalauréat au doctorat, il s’est toujours engagé à fond pour faire avancer la science en faisant tomber les barrières entre les disciplines.
« Une chose que j’ai toujours faite dans le cadre de ma maîtrise et de ma thèse, c’est de travailler avec plein de gens, surtout avec les ingénieurs, relate-t-il. À l’IQ, on avait ce désir de créer des ponts entre les gens de différentes branches. En 2015, j’ai fondé le comité étudiant de l’IQ afin de remplir les fossés entre les différentes factions d’étudiants. »
C’est donc dire que, parallèlement à son projet de doctorat avec le professeur Pioro-Ladrière, Julien a mené de front des travaux de recherche supplémentaires. Entre autres réalisations, il a démarré deux projets connexes sur les microaimants avec un autre étudiant, projets qui ont été financés par l’IQ.
« Cette formule nous a permis de nous épanouir au-delà de nos projets de doctorat respectifs, soutient Julien. Au comité étudiant, c’est aussi l’objectif de favoriser la réalisation de projets plus grands en ralliant les gens et les disciplines : génie, physique quantique et matériaux quantiques. »
Son doctorat en poche, ce passionné de piano et de badminton ne compte pas en rester là : « Je vais continuer à développer des processeurs quantiques », confie-t-il, en ajoutant qu’un projet entrepreneurial est en train de voir le jour. Assurément, le jeune physicien est destiné à un brillant avenir.
À propos de la publication parue dans Nature
L’étude Operation of a silicon quantum processor unit cell operation above one Kelvin est le fruit d’une collaboration entre l’Université de Sherbrooke et l’Université du New South Wales, en Australie. Les expériences et la rédaction de l’article ont été réalisées à l’Université New South Wales par 2 étudiants, Chih-Hwan Henry Yang et Ross Leon, sous la supervision du professeur Andrew S. Dzurak. Pour sa part, l’UdeS a mis à contribution son expertise touchant les microaimants par l’entremise de la participation de Julien et du professeur Michel Pioro-Ladrière.