Quelle place pour l’éducation à la consommation à l’école?
Adolfo Agundez Rodriguez et France Jutras proposent un regard neuf sur ce sujet peu documenté dans la francophonie
Sur sa balançoire, une fillette de sept ans fredonne fièrement la dernière chanson à la mode. Elle l’a entendue des dizaines de fois puisque la mélodie est aussi la ritournelle d’une marque de lessive. Le publicitaire a réussi son pari quand, dans l’allée d’un supermarché, la fillette sert le slogan à ses parents, devant la poudre qui doit venir à bout des taches les plus tenaces.
On l’oublie parfois, mais les plus jeunes exercent une certaine influence dans le choix de consommation des familles. Comment l’école peut-elle déployer l’éducation à la consommation? À la Faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke, le doctorant Adolfo Agundez Rodriguez et la professeure France Jutras comptent parmi les spécialistes de la francophonie sur cette question. Ils proposent un ouvrage (voir le lien complémentaire) et bientôt un cadre pédagogique et du matériel didactique pour aider les enseignants à aborder cette discipline transversale en classe.
Des repères à trouver
Dans les écoles primaires du Québec, comme ailleurs dans le monde, l’éducation à la consommation ne constitue pas un cours spécifique, mais compte parmi les thèmes transversaux qui peuvent être abordés dans la formation générale et qui contribuent à la construction d’une vision du monde de l’élève. Or, ce thème peut être traité sous différents angles : la perspective environnementale, la justice sociale ou le développement économique, notamment.
«Traditionnellement, certains organismes ont proposé aux écoles du matériel pédagogique qui, par exemple, prônait l’épargne ou encore l’idée de protection du consommateur, en vue de prévenir et d’éviter des pièges», illustre la professeure Jutras. Mais il existe très peu de documentation suggérant une approche pédagogique intégrée dans la littérature francophone.
Dans la thèse de doctorat qu’il déposera à la fin mai, Adolfo Agundez Rodriguez propose pour sa part une pédagogie qui repose sur une base éthique. «Ce modèle vise à amener les élèves à développer leur esprit critique à l’aide de cas où ils discutent de certaines situations liées à la consommation», dit-il. Il s’est inspiré notamment d’approches pédagogiques développées en Espagne, son pays d’origine, et également de son parcours personnel qui l’a amené à vivre quelques années en Bolivie. «Les habitudes de consommation et la façon de les percevoir sont très différentes d’une société à l’autre. Connaître d’autres habitudes culturelles peut nous aider à envisager les choses autrement», résume-t-il.
Discuter et réfléchir
L’approche pédagogique élaborée par le chercheur s’inspire de la philosophie pour enfants. «On va offrir un matériel didactique sous la forme d’un roman philosophique et d’un guide d’accompagnement, dit-il. Ce matériel sera axé sur la société de consommation et s’adressera aux enfants de 5e et 6e années.»
Selon cette méthode, les enfants proposent un sujet de discussion parmi ceux soulevés à partir de la lecture d’une histoire. L’enseignant les amène à exprimer leur vision par une discussion. Par exemple, il pourrait être question de l’organisation d’une fête d’anniversaire, pour laquelle les parents organisent une activité thématique coûteuse et complexe, invitent une douzaine d’amis et remettent un cadeau à chacun des participants. «Une telle histoire peut amener plusieurs pistes de réflexion, dit France Jutras. Quel est le sens premier d’un anniversaire? Y a-t-il d’autres moyens de souligner le changement d’âge d’un enfant? Veut-on une fête spectaculaire pour faire comme d’autres et ne pas se sentir exclu de son groupe d’amis? Pourrait-on envisager de faire autrement et avoir une expérience aussi plaisante?»
Le rôle de l’enseignante ou de l’enseignant est d’animer les échanges, sans prendre parti ni imposer sa propre vision des choses, précise Adolfo Agundez Rodriguez.
«Il ne s’agit pas d’une approche dogmatique ou moraliste avec une conclusion qui fournit des réponses toutes faites, dit-il. Ici, le travail est vraiment fait dans la perspective de l’enseignement de l’éthique, où les élèves doivent apprendre à connaître des concepts de consommation, tout en développant une vision plus claire des enjeux qu’ils peuvent rencontrer. Les enseignants doivent guider les discussions pour faire en sorte que les élèves structurent leurs idées et développent des habiletés d’argumentation. De plus en plus de personnes enseignantes formées pour donner les cours d’éthique et culture religieuse (le programme est offert depuis 2008) sont aptes à opérer la transition vers cette manière d’enseigner», ajoute-t-il.
Matériel attendu
Le doctorant a bénéficié d’un soutien financier de la prestigieuse Fondation Trudeau et a vu son projet reconnu par un prix de l’Acfas en 2009. Ses travaux ont déjà fait parler d’eux et l’attrait pour le matériel pédagogique est déjà palpable. «Il y a un intérêt réel pour plusieurs outils pédagogiques qui s’inscrivent dans la mouvance de l’éducation citoyenne, dit-il. Pour mon projet spécifique, j’ai des demandes depuis quelques années de la part d’enseignants qui souhaitent l’utiliser dans leur classe dès qu’il sera disponible.»
Reste à voir quel moyen de diffusion pourrait être privilégié – un document imprimé ou accessible en ligne.
«Contrairement à ce que l’on trouve chez nos collègues anglophones, il y a peu de publications qui ont été produites dans la francophonie et qui proposent un cadre théorique sur l’éducation à la consommation, ajoute France Jutras. Adolfo amène un regard neuf avec ses travaux, et à mon sens, il démontre parfaitement l’apport très positif d’un immigrant qui met à profit son bagage pour contribuer à faire évoluer sa société d’accueil», conclut-elle.