Traitement du cancer par radiothérapie
Quel avenir pour les électrons de basse énergie?
Les travaux de Léon Sanche bouleversent notre compréhension de la radiothérapie et améliorent les traitements. Avec lui, Sherbrooke a développé l’expertise mondiale en matière d’électrons de basse énergie. Dans certaines conditions, ces électrons multiplient même les effets de la radiothérapie.
Le bureau de Léon Sanche ressemble au repère de l’auteur prolifique. Sur le mur de gauche, un large pigeonnier dans lequel reposent des centaines de publications. Même chose pour chaque étagère et surface de travail, qui supportent des piles et des piles de papiers : plus de 40 ans de travail passionné sont rassemblés dans ce local exigu.
Peu connu des médias et du grand public, Léon Sanche est pourtant une célébrité, une véritable personnalité des sciences des radiations. Arrivé à l’UdeS en 1972, c’est le pionnier défricheur de tout un champ de recherche : les interactions entre les «électrons de basse énergie» et la matière condensée, plus particulièrement les solides moléculaires et la matière bio-organique.
Les connaissances acquises par Léon Sanche et ses collaborateurs sont de plus en plus applicables en oncologie. Au cours des dernières années, par exemple, les cliniciens se sont aperçus que les traitements combinés de chimiothérapie et de radiothérapie sont, dans certains cas, plus performants lorsqu’ils sont administrés dans une même fenêtre de temps plutôt que séparément. Pourquoi donc?
«Des expériences que nous menons démontrent que les effets des électrons de basse énergie peuvent être augmentés, répond le physicien. Quand les agents chimiothérapeutiques se lient à l’ADN de la tumeur, les électrons de basse énergie émis durant la radiothérapie entraînent des dommages létaux aux cellules cancéreuses qui sont facilement triplés. Ils peuvent même être augmentés jusqu’à un facteur 7, dans certaines conditions!»
La radiothérapie au Canada en 2014
On estime que 190 000 Canadiens recevront un diagnostic de cancer; c’est 524 personnes par jour. Au moins la moitié d’entre eux subiront des traitements de radiothérapie, qui consistent à utiliser les rayons X pour tuer les cellules cancéreuses.
Conceptualiser et comprendre des particules transgenres
Les électrons de basse énergie sont produits en très grand nombre aux tout premiers instants de l’absorption, par la matière, du rayonnement ionisant (radiothérapie). En décryptant les mécanismes intimes par lesquels ces électrons transforment nos cellules, Léon Sanche et son équipe contribuent à augmenter les effets des radiations sur les cellules cancéreuses tout en protégeant mieux le reste du corps.
Mais ces particules élémentaires, faut-il le dire, évoluent dans l’univers quantique, ce qui complique drôlement les recherches : se comportant tantôt comme des ondes, tantôt comme des particules, ces «électrons transgenres» sont laborieux à caractériser. La complexité des milieux biologiques avec lesquels on souhaite les voir interagir augmente aussi les difficultés. Leur forte interaction avec la matière, couplée à leur faible énergie, les rend difficiles à étudier, même aujourd’hui. «Avant 1987, il n’y avait même aucune donnée sur les électrons de basse énergie en interaction avec une substance aussi élémentaire que l’eau!» dit le titulaire de la Chaire de recherche de l’UdeS en sciences biomédicales des radiations.
Le chercheur a construit un vigoureux réseau de collaborateurs issus des quatre coins du globe. Il s’est d’abord attardé aux interactions des électrons de basse énergie avec des molécules simples, pour s’attaquer ensuite aux molécules plus complexes telles que les acides aminés et les bases d’ADN. «L’ADN est la molécule la plus importante de la cellule, dit Léon Sanche. C’est elle que visent les traitements de radiothérapie.»
Avec les années, Léon Sanche est arrivé à développer une instrumentation et des technologies sans pareilles. Parmi elles, des chambres à hypervide dans lesquelles des molécules de matière vivante sont irradiées avec des électrons de basse énergie. Ces conditions d’expérimentation permettent d’effectuer des mesures directes tout en limitant la présence d’impuretés susceptibles de fausser les résultats. Son équipe a démontré, pour la toute première fois, que contrairement à ce que l’on croyait, les électrons de basse énergie sont très nocifs pour l’ADN.
Dans l’ADN de nos cellules
«Les notions admises voulaient que les dommages causés à l’ADN des cellules tumorales surviennent à des énergies beaucoup plus grandes, explique le scientifique. Mais c’est faux : malgré leur basse énergie, ces électrons brisent la molécule d’ADN, et cela peut entraîner la mort de la cellule.» Publiée en 2000 dans la prestigieuse revue Science, cette découverte est désormais prise en compte pour tout ce qui concerne les effets génotoxiques des radiations.
Dès lors, le spécialiste des radiations a voulu aller plus loin… «Le problème avec ces systèmes à hypervide, c’est qu’on n’est pas dans la cellule!» dit-il. Cette impasse est désormais franchie : depuis environ trois ans, l’équipe du professeur Sanche a développé une méthode permettant de bombarder des films d’ADN avec des électrons de basse énergie, le tout sous pression atmosphérique dans un environnement d’eau, d’oxygène et d’azote, donc beaucoup plus près des conditions cellulaires.
En collaboration avec l’équipe du professeur Michel Fromm, de Besançon, en France, Léon Sanche a également mis au point un modèle inédit, qui reproduit les conditions biologiques cellulaires présentes dans le corps humain. Réalisée en solution, la méthode permet d’attacher, dans un film très fin d’ADN, de petites molécules semblables aux groupements que l’on retrouve dans le génome. Le film est ensuite irradié à l’aide d’un canon à électrons. Les fragments d’ADN ainsi produits sont analysés durant l’irradiation, offrant un aperçu sans précédent sur les mécanismes moléculaires impliqués. La technique, qui a beaucoup fait jaser dans les médias spécialisés, simule en hypervide les conditions les plus proches possible de la cellule vivante.
Puis, dans des expériences encore plus récentes, l’ADN irradié par ces électrons est injecté dans des bactéries pour voir directement l’effet des dommages en milieu cellulaire. Les résultats montrent que les électrons de faible énergie sont particulièrement efficaces pour causer des brisures multiples localisées, difficiles à réparer par la cellule.
«D’autres expériences démontrent que les effets des électrons de basse énergie peuvent être augmentés, dans le contexte de chimiothérapie et de radiothérapie concomitante, explique le physicien. Selon nos données fondamentales et nos expériences in vitro et chez l’animal, pour un traitement optimal la radiothérapie doit être administrée au moment où la quantité du composé chimiothérapeutique est à son maximum dans l’ADN de la tumeur. Personne n’avait jamais regardé de ce côté!»
L’équipe s’intéresse également à une autre approche qui consiste à exploiter les propriétés radiosensibilisatrices de nanoparticules métalliques. Il s’agit d’injecter, dans les cellules cancéreuses, des nanoparticules d’or qui accroissent considérablement la production d’électrons de basse énergie. Un brevet a même été déposé sur l’utilisation combinée de nanoparticules d’or et certains agents chimiothérapeutiques.
Un futur préoccupant
De tels résultats renforcent la croyance que Léon Sanche nourrit depuis le début de sa carrière : ardue, exigeante et longue, la recherche fondamentale aboutit à des savoirs qui trouvent toujours des applications utiles, aussi simples soient-elles. «Cela nous permet de voir clair, dit-il, d’être sûrs de certaines choses.»
Mais celui qui a fait plusieurs fois le tour de la Terre pour partager ses travaux réalise aujourd’hui que la relève n’est pas tout à fait au rendez-vous. «Oui, je suis inquiet, dit le chercheur. La relève est dure à trouver, c’est un domaine qui n’est pas aisé à comprendre. Difficile de vendre quelque chose qu’on ne peut pas voir!»
Léon Sanche s’interroge sur la volonté politique à continuer de financer la recherche fondamentale, de même que sur l’intérêt des jeunes scientifiques à reprendre le flambeau. «J’ai fait beaucoup de choses sans les vulgariser et j’ai sans doute négligé les médias, dit-il. Peut-être que mon domaine aurait progressé davantage si j’avais fait plus d’efforts pour le rendre plus accessible.»
Parions que la bataille n’est pas perdue; Léon Sanche est un excellent vulgarisateur. «Mon plaisir, c’est de vous raconter cela. Et que vous trouviez ça intéressant.»
Au sujet de Léon Sanche
Léon Sanche, Ph. D., est professeur au Département de médecine nucléaire et radiobiologie. Il est aussi chercheur au Centre de recherche du CHUS. Son travail dans le domaine des électrons de basse énergie a produit plus de 350 articles. Léon Sanche est chercheur émérite du Conseil de recherches médicales du Canada, une distinction qui reconnaît la renommée scientifique d’un chercheur et son leadership mondial dans son domaine. Il est récipiendaire de nombreux prix dont le prix Marie-Curie Incoming Senior Fellow, de la Commission européenne. En 2008, il a été élu fellow de la Société royale du Canada (Académie des sciences). De 2002 à 2009, il a été titulaire de la Chaire de recherche du Canada en science des radiations, puis de 2009 à 2012, de celle du Triangle de la Physique, à l’Université de Paris-Sud, comme professeur émérite étranger.
À l’Université de Sherbrooke, le professeur Sanche est notamment membre du Centre de recherche en radiothérapie (CR2) de la Faculté de médecine et des sciences de la santé.