Intérêt des jeunes à l'égard des sciences et technologies
Une recherche coréalisée à la Faculté d'éducation reçoit une attention internationale
En février 2014, le professeur Abdelkrim Hasni, de la Faculté d'éducation de l'UdeS, et son collègue du Département de didactique de l'UQAM, le professeur Patrice Potvin, publiaient un article de grande importance pour la compréhension des facteurs qui conditionnent l'intérêt, la motivation et l'attitude des jeunes à l'égard des sciences et technologies. Fruit d'une recension systématique d'une ampleur inédite, cet article occupe aujourd'hui le premier rang des consultations de la revue à haut facteur d'impact Studies in Science Education, ce qui en dit long sur l'intérêt des chercheurs et des pédagogues du monde entier pour le sujet et la démarche.
Depuis le milieu des années 1990, les données de l'OCDE1 indiquent que les pays occidentaux accusent une diminution marquée de l'attrait des jeunes pour les métiers en sciences et technologies (S&T), ainsi qu'un recul de la proportion d'étudiantes et d'étudiants inscrits dans les disciplines scientifiques. Très nombreuses, les études qui tentent de mesurer et d'expliquer le phénomène s'intéressent notamment aux distinctions garçons/filles, à l'origine culturelle des élèves, aux contextes socio-économiques, à la qualité de l'enseignement et à nombre d'autres facteurs. Mais pour tirer des conclusions solides de ces milliers de résultats, une synthèse d'envergure s'imposait.
« C'est ici que notre approche se distingue, précise le Pr Hasni, cotitulaire de la Chaire de recherche sur l'intérêt des jeunes à l'égard des sciences et de la technologie. Malgré quelques tentatives qui nous ont précédés, aucune synthèse n'a jamais eu la profondeur et la rigueur méthodologique que nous avons appliquées à notre démarche de recension. Ça donne un portrait unique dont les résultats scientifiques sont extrêmement fiables. Et c'est ce qui explique le succès à long terme de l'article, qui attirait déjà beaucoup de lecteurs quelques mois après sa publication. »
Méthodologie déterminante
Pour parvenir à leurs conclusions, les professeurs Hasni et Potvin ont procédé à la recension systématique et à la synthèse de 228 articles scientifiques répertoriés dans la base de données ERIC2 parus entre 2000 et 2012, issus de recherches réalisées en Amérique du Nord, en Europe, au Moyen Orient, en Asie, en Océanie et en Afrique.
« Nous nous sommes inspirés d'une méthode d'analyse d'écrits et de recherches antérieures que nous avions nous-mêmes établie en réalisant une étude sur l'enseignement par projets, poursuit le Pr Hasni. Cette méthodologie n'avait jamais été utilisée de cette façon pour l’étude de cette problématique. Nos critères d'inclusion et d'exclusion reposaient sur une grille visant à minimiser toute lecture subjective des publications. Le résultat est si probant qu'elle sera certainement reproduite par d'autres chercheurs voulant assurer la validité de leurs données. »
Résultats probants, retombées immédiates
Sous plusieurs aspects, cette analyse a permis aux professeurs Hasni et Potvin de compléter et de préciser les résultats d'études reconnues publiées par des chercheurs indépendants à travers le monde. Par exemple, dans le cas des recherches sur les différences garçons/filles face aux sciences, les résultats indiquent que même si certaines distinctions existent bel et bien, les deux partagent aussi de nombreuses similitudes, ce qui permet d'attribuer certaines de ces distinctions aux contextes culturels, notamment. Mais le principal constat de l'étude est encore plus déterminant pour l'avenir de l'enseignement des sciences et technologies à l'école.
« Notre constat le plus intéressant, c'est que parmi toutes les méthodes qui cherchent à stimuler l'intérêt des élèves pour les S&T, les plus efficaces semblent être celles qui font émerger un engagement intellectuel préalable. Autrement dit, on doit créer une attitude de curiosité et d'ouverture envers les sciences avant ou dès le début du programme scolaire. On voit ici l'importance des parents et du recours à un enseignement contextualisé qui permet de lier les apprentissages à la vie et à l'entourage de l'élève – entre autres. Ce facteur apparaît des plus déterminant pour la suite des choses. »
Cette conclusion remet en perspective plusieurs approches pédagogiques appliquées depuis quelques années, centrées sur les manipulations, les expériences isolées (non inscrites dans une démarche d’investigation) et les explications. « Ces approches ne sont certes pas nuisibles, mais nous comprenons maintenant qu'elles ne sont pas des facteurs déterminants dans le développement d'une attitude favorable face aux sciences. S'il n'a pas déjà d'engagement intellectuel, ces activités n'ont qu'une influence limitée sur l'intérêt de l'élève. Il faut donc passer par l'investigation scientifique, et non seulement par l'expérimentation. »
Les résultats de l'étude des professeurs Hasni et Potvin permettent déjà à la Chaire de lancer de nouvelles avenues de recherche. Mais surtout, les deux chercheurs utilisent désormais leurs conclusions pour réaliser des interventions concrètes auprès des enseignants. « On accompagne les profs pour les aider à choisir les méthodes les plus propices à développer l'intérêt, la motivation et l'attitude des jeunes face aux sciences. Nous en sommes déjà à analyser l'effet de ces méthodes, et on constate un changement très positif, conclut le Pr Hasni. À long terme, nous espérons que ces résultats seront utiles aux décideurs du monde de l'éducation, qui doivent répartir avec soin les ressources dont nous disposons collectivement pour contrer les tendances observées par l'OCDE. Cela sera déterminant pour notre avenir à tous. »
1. OCDE. (2006). Evolution of student interest in science and technology studies (Policy Report). Paris: OECD Global Science Forum.
OCDE. (2008). Encouraging student interest in science and technology studies (Policy Report). Paris: OECD Global Science Forum.
2. ERIC : Education Resources Information Centre