Étude en écologie évolutive
Des rives du Saint-Laurent aux terres rurales : l’influence de l’environnement sur les familles en Nouvelle-France
Vivre quelque part ou migrer ailleurs façonne nos parcours de vie, tout autant que ceux de notre famille. C’était déjà le cas pour les femmes qui ont colonisé le Québec entre 1640 et 1750, alors que le fait de vivre ou de déménager entre la campagne et la ville, ou de part et d’autre du fleuve Saint-Laurent, influençait leur reproduction et la survie de leur progéniture jusqu’à l’âge adulte.
Ce constat découle d’une étude publiée par la doctorante en biologie Lidia Colejo Duran supervisée par la professeure Fanie Pelletier de l’Université de Sherbrooke et le professeur Patrick Bergeron de l’Université Bishop’s. L’objectif? Comprendre comment les environnements du début de la vie peuvent avoir des répercussions à long terme sur les performances de reproduction à l’âge adulte pour les espèces qui ont une longue espérance de vie comme les éléphants et les humains.
En utilisant une approche d'écologie évolutive sur des ensembles de données humaines à long terme, il est possible d’obtenir des informations précieuses pour répondre à des questions relatives à l'évolution du cycle de vie, explique la professeure Fanie Pelletier :
On essaie de comprendre la diversité des histoires de vie qui se retrouvent dans la nature. Pourquoi une espèce vit pendant plusieurs dizaines d’années, ne produit que quelques jeunes et leur donne des soins parentaux prolongés, tandis qu’une autre ne vit que très peu de temps, mais produit beaucoup de jeunes qui ne reçoivent aucun soin. En écologie évolutive, on veut comprendre comment ce genre de compromis ont été façonnés par la sélection naturelle.
Professeure Fanie Pelletier
À l’aide des données de registres paroissiaux compilés dans le Programme de recherche en démographie historique, qui recense tous les actes de baptême, de mariage et de sépulture du Québec entre 1621 et 1861, il est possible de retracer les environnements de naissance des femmes, leurs déplacements d’un milieu urbain (Montréal ou Québec) à un milieu rural, entre deux milieux du même type ainsi que de part et d’autre du fleuve, le côté sud étant plus propice à l’agriculture que le côté nord.
La campagne du sud plus favorable pour la famille
Lidia Colejo Duran a ainsi pu évaluer l'effet des conditions environnementales associées à la paroisse de naissance et à la paroisse où les femmes ont eu leur progéniture. Elle a examiné les différences de disponibilité des ressources entre les paroisses rurales, urbaines, du nord et du sud en comparant les femmes qui ont changé d'environnement au cours de leur vie avec celles qui ne l'ont pas fait.
Nous avons observé que les femmes nées en milieu urbain avaient tendance à devenir mère plus tôt et mais leurs enfants avaient moins de chance de se rendre jusqu'à l'âge adulte comparé aux femmes nées en milieu rural. Par ailleurs, les femmes du sud du Québec avaient plus de progéniture que les femmes du nord. Aussi, les femmes en milieu rural, même si elles commençaient leur famille plus tard, avaient davantage d’enfants qui se rendaient à l’âge adulte puisqu’il y avait moins de décès infantiles.
Professeure Fanie Pelletier
De plus, le passage de la ville à la campagne a conduit à une survie plus élevée de la progéniture à l’âge adulte, alors que partir de la campagne pour aller à la ville a eu l’effet inverse avec une moindre survie des enfants.
On a comparé les villes de Montréal et Québec versus toutes les autres paroisses du Québec. Dans les villes, il y a une plus grande concentration de personnes, donc les conditions d’hygiène étaient différentes, et les maladies se propageaient beaucoup plus facilement, spécialement lors d’une épidémie. C’est préférable d’être dans sa ferme, à plusieurs kilomètres de la ville. Aussi, en milieu rural, les gens produisaient leur propre nourriture.
Lidia Colejo Duran, doctorante en biologie
La chercheuse a aussi comparé les femmes qui vivaient au nord et au sud du fleuve Saint-Laurent. Les conditions étaient très différentes entre ces deux environnements. L’hiver durait au moins un mois de plus au nord qu’au sud, ce qui avait un effet sur les récoltes, et le sol était aussi plus fertile au sud qu’au nord. La chercheuse a pu comparer la disponibilité des ressources, et la quantité par individu était plus importante au sud qu’au nord.
Mieux vaut rester où l'on est
Autre constat important : le déplacement du sud vers le nord a entraîné une diminution du nombre de naissances et de survivants à l’âge adulte, tandis que le déplacement du nord vers le sud a eu l'effet inverse. Enfin, les femmes qui sont passées de la campagne à la ville et du sud au nord ont eu leur premier enfant à un âge plus avancé que celles qui sont restées dans le même type d’environnement. Cette conclusion ne surprend pas la professeure Pelletier :
En écologie évolutive, on sait que migrer est coûteux, mais c’est difficile de suivre la migration sur un grand nombre d’animaux. Donc là on a une source qui nous permet de voir si le coût des changements de milieu étaient mesurables pour des populations humaines tel qu’anticipé.
Professeure Fanie Pelletier
En fait, le meilleur scénario que les chercheuses ont observé pour la reproduction, c’est que la femme soit née à la campagne et y soit restée.
Les bonnes dispositions de la cuillère d’argent et de la stabilité
Une deuxième hypothèse fondamentale qui est vérifiée autant pour les humains que les animaux sauvages, c’est ce qu’on appelle l’hypothèse de la cuillère d’argent. En effet, il semble que si on nait avec une abondance de ressources disponibles, on devrait en tirer un avantage tout au long de notre vie.
Enfin, une autre hypothèse fondamentale veut qu’on ait une meilleure reproduction lorsqu’on reste dans les mêmes conditions qu’on a expérimentées tôt dans la vie. C’est l’hypothèse de la réponse adaptative prédictive. « Les études montrent qu’il y a des ajustements physiologiques lorsque par exemple tu nais dans un milieu avec peu de ressources, ce qui pourrait te rendre meilleur à l’âge adulte pour survivre dans ces conditions », explique Fanie Pelletier.
En somme, cette étude souligne les effets complexes et combinés des environnements de vie précoces et adultes sur les caractéristiques reproductives, ce qui met en évidence la nécessité de prendre en compte ces deux moments lors de l'étude des effets environnementaux sur la reproduction.
Cette étude publiée dans Plos One a été conduite par Lidia Colejo Duran, doctorante en biologie à l’Université de Sherbrooke, sous la supervision conjointe de Fanie Pelletier, professeure au Département de biologie de l’UdeS et de Patrick Bergeron, professeur au Département des sciences biologiques de l’Université Bishop’s, ainsi qu’avec le soutien de la professeure Lisa Dillon et du professeur Alain Gagnon, tous deux du Département de démographie de l’Université de Montréal.