Acfas 2021
Faire place aux arts et à la culture pour notre santé
Si les bienfaits de la musique sont connus depuis Platon, l'influence positive des arts et de la culture sur la santé des personnes et des communautés commence à peine à être documentée. C'est ce qui a motivé l'organisation d'un colloque multidisciplinaire consacré à ce vaste sujet au congrès de l'Acfas, histoire d'établir un dialogue entre ceux et celles qui y croient fermement.
D’après les responsables du colloque, les professionnels de la santé qui ont la chance de voir les effets sur leurs patients ou sur la population sont convaincus de l’importance des arts et de la culture sur le bien-être. Mais, trop souvent, leur certitude est basée sur des observations de terrain pour lesquelles aucune donnée n’a été collectée.
La recherche est donc incontournable pour mieux comprendre, pour faciliter le développement et le transfert des connaissances, et ultimement pour influencer les décisions vers des choix de société tangibles.
Spécialiste en santé communautaire et en santé publique, la professeure Mélissa Généreux, déplore que, bien que l’art et la culture fassent partie des déterminants significatifs de la santé, ceci ne se traduit pas encore par des investissements ou des choix de société.
C’est toujours le parent pauvre, le domaine de l’art et de la culture. Et c’est encore plus vrai lorsqu’on parle d’interventions artistiques ou culturelles à des fins de santé. Il faut bien documenter ce que nous faisons pour être capables de démontrer que ce n’est pas juste utile, c’est essentiel!
Professeure Mélissa Généreux, Faculté de médecine et des sciences de la santé
Pour Guylaine Vaillancourt, professeure et directrice du Département de thérapies par les arts à l’Université Concordia et spécialiste de l’art thérapie, le déficit de reconnaissance de ce domaine vient du fait que ce vaste champ de recherche implique beaucoup de données qualitatives. « Dans le monde de la recherche médicale, le quantitatif prédomine souvent. Et dans les arts, il y a beaucoup de recherche qualitative qui nous donne une perspective globale de l’expérience des individus et des groupes. Il est donc important d’allier ces deux paradigmes de recherche », explique-t-elle.
Pourtant, on n’a rien inventé. Platon prescrivait la musique pour traiter des maux, des humeurs. En Asie, en Inde, en Afrique, on utilise les arts depuis toujours. Nous nous sommes réapproprié ces connaissances, mais dans un contexte rationnel et pragmatique de recherche en plus du contexte relationnel qu’implique la thérapie.
Professeure Guylaine Vaillancourt, Université Concordia
Aussi bon que le sport et l’activité physique
La professeure et vice-rectrice Jocelyne Faucher est l'initiatrice de ce colloque sur les arts, la santé et le savoir. Elle juge que les arts et la culture doivent être considérés comme un déterminant de la santé. Elle est si convaincue qu’elle a demandé à ce que ce déterminant soit intégré dans l'indice de santé organisationnelle de l’UdeS. En participant à l’organisation du colloque, la Pre Faucher veut provoquer une prise de conscience.
Il est acquis maintenant dans notre société que de pratiquer un sport, de faire de l’activité physique, c’est bon pour la santé. À mon avis, nous sommes rendus à faire le pas suivant : considérer que pratiquer une forme d’art ou fréquenter des lieux culturels a aussi un impact sur notre santé psychologique, sur notre santé physique.
Professeure Jocelyne Faucher, secrétaire générale et vice-rectrice à la vie étudiante
Mario Trépanier est directeur du Centre culturel de l’UdeS et œuvre depuis 35 ans dans le secteur culturel. Il fait le parallèle avec les campagnes nationales de promotion de l’activité physique, comme Particip’action, qui ont inculqué chez plusieurs générations l’importance de l’activité physique pour la santé. Il souhaite qu’un jour nos décideurs consacrent autant d’efforts à la mise en valeur des arts et de la culture dans une perspective de santé. À titre de membre du Conseil d’administration du Conseil des arts du Québec, il croit à l’importance de faire valoir les bienfaits de la culture dans notre société. Pour lui, cette promotion passe aussi par l’accès des populations à l’offre culturelle, et une appropriation de toutes les formes d’arts par l’éducation, entre autres.
Le sport est important pour le corps, et les arts et la culture sont bons pour l’âme et le cœur. Les deux sont complémentaires. Pour moi, c’est évident, mais les gens qui prennent des décisions n’ont pas nécessairement cette équation en tête.
Mario Trépanier, directeur général du Centre culturel de l’UdeS
L’art pour se relever des pires tragédies
C’est aussi ce que croit la professeure Mélissa Généreux. « L’art et la culture, c’est important d’entrée de jeu. C’est un pilier de notre société. Et c’est d’autant plus vrai en contexte de pandémie et de la phase de rétablissement dans laquelle on s’apprête à entrer. Ce que je découvre, c’est que l’art devient un moyen par excellence pour prendre du recul, organiser sa santé, se connecter un peu plus avec ses émotions, exprimer des choses plus difficiles à exprimer, et même se bâtir une mémoire collective vivante de tout ce qu’on aura vécu. »
L’art, c’est universel, accessible à tous. C’est hyper prometteur. Ça l’était déjà avant la pandémie, et ça l’est encore plus maintenant.
Professeure Mélissa Généreux
Le facteur qui influence le plus la santé mentale et le bien-être en temps de pandémie, c’est le sentiment de cohérence, comme le démontre une enquête dirigée par la professeure Généreux, menée au printemps 2020 dans huit pays, dont le Canada. « Notre grande découverte, c’est le rôle clé que joue ce sentiment de cohérence, c’est-à-dire notre prédisposition comme individu à bien comprendre et à donner du sens à ce qui se passe lorsque nous faisons face à l’adversité et être capable de mobiliser les ressources mises à notre disposition pour agir. Nous avons examiné dans la littérature ce qui peut aider à renforcer ce sentiment, et les activités artistiques et culturelles sont l’un des quatre grands domaines d’intervention sur lesquels on peut agir », explique la professeure Généreux.
Après la tragédie ferroviaire du 6 juillet 2013, plusieurs initiatives artistiques ont été développées avec la communauté de Lac-Mégantic pour l’aider à traverser cette immense épreuve. Alors directrice de la Santé publique de l’Estrie, la professeure Généreux s’est rendu compte que les communautés qui sont capables de passer à travers l’adversité extrême sont celles qui font preuve d’innovation. « On ne peut pas faire face à une situation extraordinaire en appliquant des solutions ordinaires. On doit absolument être en mode innovation et penser différemment. »
À Mégantic, dès les premières semaines suivant la tragédie, on avait tellement besoin de trouver des solutions différentes, qu’intuitivement, on a mis en place toutes sortes de stratégies qui impliquaient l’art parce que ça semblait évident que ça faisait du bien aux gens.
Professeure Mélissa Généreux
C’est ainsi que toute la communauté, épaulée par les travailleurs et travailleuses de la santé, s’est affairée à monter des expositions, des spectacles – dont une pièce de théâtre écrite à partir du récit des gens sur ce qu’ils avaient vécu –, à embellir la ville en reconstruction avec toutes sortes d’œuvres artistiques. « Il y a des choses extraordinaires qui se sont faites à Lac-Mégantic, et on n’aurait jamais pu atteindre ces résultats si on n’avait pas pensé inclure les arts. »
Forte de son expérience terrain en musicothérapie, la professeure Guylaine Vaillancourt est elle aussi persuadée du rôle essentiel des arts et de la culture. Elle constate toutefois de grandes différences de perceptions dans le milieu de la santé. « Pour certains, c’est un dernier recours, faire appel aux arts. Pour d’autres, c’est un premier recours. »
Quand la famine culturelle se pointe
Alors que les catastrophes mettent en évidence le rôle essentiel des arts et de la culture dans le recouvrement ou le maintien de la santé, l’actuelle pandémie fait ressortir les impacts du manque d’événements artistiques et culturels.
Tout ce qui nous fait du bien nous fait sécréter des endorphines, et on en veut encore. Là, on est en famine…
Professeure Guylaine Vaillancourt, Université Concordia
Le colloque de l’Acfas sur les arts, la santé et le savoir avait été pensé avant la pandémie. Pour la professeure Généreux, il est maintenant doublement essentiel et pertinent. « On a tellement perdu l’accès à plusieurs facteurs qui influencent notre santé positivement qu’on se rend compte, maintenant qu’on en est privé, à quel point ils jouent un rôle important pour notre bien-être, notamment psychologique. »
Or, l’accès à la culture, on le tenait pour acquis jusqu’à l’an dernier. « Pouvoir assister à un beau spectacle, pouvoir partager quelque chose ensemble à travers la musique ou un bon film, pouvoir juste se promener dans des endroits pour admirer des œuvres, ce sont des occasions de rassemblement, d’apaisement, des moments pour prendre du recul, pour se recentrer sur soi. On se rend compte qu’on en a été privé », constate la professeure Généreux.
D’ailleurs, Mario Trépanier s’attend à un boom postpandémie de gens de tout âge qui auront envie à nouveau de se retrouver dans un lieu culturel avec des personnes qui leur ressemblent et qui vibrent au diapason et ressentent les mêmes émotions. Parce que le rassemblement physique fait partie de l’expérience qui apporte du bien-être. « Il y a souvent une catharsis dans une salle, mais nous ne sommes pas portés à l’analyser. C’est parfois une expérience très forte qui va rester ancrée pendant longtemps. »
Établir un dialogue
Présentement, le réseau de la santé et des services sociaux ne dégage pas vraiment de budget pour des activités artistiques et culturelles. Mais les choses pourraient changer, selon la professeure Mélissa Généreux. « Si on réussit à bien documenter nos actions et qu’on est capable de démontrer que les effets sont aussi grands, et peut-être même plus grands, que d’autres interventions plus coûteuses pour lesquelles on n’hésite pas à investir, on pourra influencer nos décideurs avec des données probantes afin de rehausser la place qu’occupent les arts et la culture dans les différents milieux de vie. »
Je rêve qu’il y ait un budget annuel attitré, réservé, au sein des CIUSSS, aux activités à connotation artistique et culturelle. Autant à l’intérieur de nos murs cliniques que dans la communauté, pour agir en amont des problèmes.
Professeure Mélissa Généreux
Et pour les responsables du colloque, le changement implique des décisions à plusieurs niveaux : ministère de la Culture, celui de la Santé et des Services sociaux, ceux des Affaires municipales, de l’Éducation. D’ailleurs, le colloque du 5 mai sera une première occasion d’échanges entre les acteurs et actrices de différents secteurs d’activités.
« C’est comme un dialogue, une conversation, qui permet de se situer. Nous voulons travailler ensemble. Le problème, c’est que nous tombons souvent entre deux ministères pour le financement de nos travaux. Est-ce de la science, des arts, de la santé? Si nous établissons le dialogue entre nous, nous aurons une force pour convaincre les décideurs », croit la professeure Guylaine Vaillancourt.
Ce sujet a piqué votre curiosité? Le colloque Les arts, le bien-être et le savoir : un trio à consolider pour le mieux-être des personnes et des populations se tiendra le 5 mai dans le cadre du congrès annuel de l’Acfas, plus grand rassemblement multidisciplinaire du savoir et de la recherche de la francophonie, qui se déroulera du 3 au 7 mai 2021.