Lee-Hwa Tai, chercheuse prometteuse en immunologie
Vers un vaccin pour traiter une forme agressive du cancer du sein
Les risques de récidives et de mastectomies sont élevés chez les femmes atteintes du cancer du sein triple négatif, une forme agressive de la maladie qui touche les moins de 40 ans. Or l’espoir de guérison se cristallise lentement grâce à un vaccin révolutionnaire mis au point par une chercheuse de chez nous, la professeure Lee-Hwa Tai.
Utiliser le système immunitaire comme carte maîtresse pour combattre le cancer, ce n’est pas une approche nouvelle. L’immunothérapie a largement fait ses preuves en oncologie. À l’aide de médicaments, par exemple, on stimule les cellules immunitaires de la personne malade pour les aider à tuer les cellules cancéreuses. En somme, on exploite les atouts du corps humain pour vaincre l’ennemi.
Cependant, quand l’ennemi s’appelle « cancer du sein triple négatif », l’artillerie de base ne suffit pas. En effet, non seulement la chirurgie et la chimiothérapie échouent la plupart du temps, mais les autres traitements, comme l’immunothérapie classique, ne fonctionnent pas très bien.
C’est ici qu’intervient la professeure Lee-Hwa Tai, une jeune chercheuse du Département d’immunologie et de biologie cellulaire, titulaire de la Chaire CRMUS de recherche translationnelle en immunothérapie. Avec son équipe, elle travaille sur la mise au point d’un vaccin thérapeutique fabriqué sur mesure pour chaque patiente.
« La création de vaccins thérapeutiques contre le cancer, c’est un domaine émergent », nous apprend la professeure Tai. Il existe bel et bien des vaccins anticancéreux, comme celui qui prévient le cancer du col de l’utérus, mais ceux-ci ne sont pas thérapeutiques. « Ce sont des vaccins prophylactiques, c’est-à-dire qu’ils préviennent la maladie. » Quant au vaccin thérapeutique, il sert à traiter un cancer existant.
Un traitement rusé, pour un cancer qui l’est tout autant
Pour celle qui a découvert les charmes de l’Estrie et de la langue française en 2016, lors de son entrée en fonction à l’UdeS comme professeure en immunologie, le cancer du sein triple négatif mérite qu’on s’y attarde scientifiquement.
« C’est l’un des sous-types de cancer du sein le plus agressif. Il touche les jeunes femmes, surtout celles qui sont d’origine africaine et asiatique. Malheureusement, les traitements habituels ne suffisent pas, et la médecine n’a pas d’autres options à offrir aux patientes ».
En effet, le recours aux « inhibiteurs du point de contrôle immunitaire », soit le type d’immunothérapie le plus couramment utilisé pour traiter le cancer du sein, est peu efficace ici. Voici pourquoi.
Mettre les gaz sur le système immunitaire
Imaginons le cancer du sein comme un grand stationnement rempli d’autos. Chaque auto représente une cellule immunitaire, dite « cellule T ». C’est par l’entremise de ces cellules bienveillantes que l’immunothérapie combat le cancer.
« Chaque auto a un accélérateur et un frein, illustre la professeure Tai. C’est ce qui contrôle son fonctionnement. Le cancer a la capacité d’appuyer sur le "frein" des autos, et donc de les empêcher de faire leur travail de protection. Avec l’immunothérapie, on vient complètement enlever le frein. Les cellules immunitaires sont donc libres "d’avancer", d’attaquer les cellules tumorales. »
Hélas, pour le cancer du sein triple négatif, ça ne fonctionne pas! « C’est un peu comme si le stationnement était vide. Il n’y a pas d’auto. L’immunothérapie classique ne fonctionne pas dans ce cas-là, car il n’y a aucune présence du système immunitaire dans la cellule. On appelle ça une "tumeur froide". »
Il faut donc trouver une façon de faire pénétrer les autos (cellules T) dans le stationnement (cellule cancéreuse). Le vaccin thérapeutique est la solution.
Il s’agit de médecine de précision, c’est-à-dire que le vaccin est fabriqué de manière personnalisée pour chaque patiente à partir de la tumeur qu’on extrait chirurgicalement. En laboratoire, on la soumet à des radiations pour stopper sa croissance, on l’infecte avec un virus oncolytique pour la rendre visible au système immunitaire, puis on réinjecte les cellules cancéreuses infectées à la patiente, ce qui stimule son système immunitaire.
« Bref, on utilise les cellules cancéreuses comme matériau pour développer un vaccin », résume la chercheuse.
Une recherche pionnière qui suscite un intérêt grandissant
Les travaux de la professeure Tai sont novateurs. « Les vaccins thérapeutiques pour traiter le cancer, ça n’existe pas vraiment. Je crois qu’il y a deux ou trois autres études en cours actuellement, aux États-Unis, pour le cancer de la prostate et les mélanomes. Une autre est en cours à l’Université d’Ottawa pour le cancer colorectal. À ce jour, aucun vaccin thérapeutique contre le cancer n’a été approuvé. Ce sont toutes des études précliniques. »
Or la recherche pourrait s’accélérer, puisque les organismes subventionnaires s’intéressent de plus en plus aux travaux entourant ce type de vaccin. « Depuis 2019, je reçois du financement des IRSC (Instituts de recherche en santé du Canada), grâce auquel j’ai pu commencer cette étude. Plus récemment, j’ai obtenu un montant de la Société canadienne du cancer, qui servira à améliorer le vaccin au cours des cinq prochaines années. »
La professeure Lee-Hwa Tai espère pouvoir amorcer des études cliniques d’ici cinq ans.
Une chercheuse de talent, professeure à l'UdeS depuis 2016
La science et le hasard ont habituellement peu de points en commun. Pourtant, c’est un concours de circonstances qui a conduit la professeure Tai à l’UdeS, en 2016.
« Après mon postdoctorat à l’Université d’Ottawa, je cherchais un poste de professeure en immunologie, relate la chercheuse originaire de Toronto. C’est un domaine très spécialisé, et l’UdeS offrait un poste à ce moment-là. J’ai sauté dans ma voiture et je suis venue passer une entrevue. J’ai été recrutée! Je ne connaissais pas l’Estrie. Je ne suis même pas francophone! »
Pour celle qui s’implique activement auprès des personnes atteintes du cancer par l’entremise de la Fondation McPeak-Sirois, cette occasion professionnelle s’est transformée en projet de vie. « J’ai eu un coup de cœur pour la région. C’est un endroit parfait pour ma famille. »
L’environnement de recherche offert ici l’a tout autant charmée. « Je tiens à dire qu’à Sherbrooke, on a vraiment un très bon modèle de recherche translationnelle. Il y a le CIUSSS de l’Estrie – CHUS, la Faculté de médecine et des sciences de la santé, le Pavillon de recherche sur le cancer, et l’Institut de recherche sur le cancer de l’Université de Sherbrooke. On travaille de près avec les cliniciens et cliniciennes, ce qui aide à faire avancer la recherche. »
Cette scientifique de talent est promise à une prolifique carrière, comme en témoigne entre autres le Prix pour un chercheur prometteur que lui a décerné la Société canadienne du cancer en avril dernier, lequel est assorti d’un financement de 500 000 $ sur une période de cinq ans.