Pauvreté et précarité sociale
Quand les plus vulnérables font partie du programme
Faire reculer la pauvreté et la précarité sociale commence dès la formation universitaire en médecine et sciences de la santé, où le contact avec la population vulnérable fait partie du cursus dans plusieurs programmes à l’UdeS. Et le résultat est franchement inspirant.
C’est au refuge d’urgence La Halte du Coin, à Longueuil, que Béatrice a constaté l’extrême pauvreté dans laquelle vit une partie de notre société. Même si l’expérience a été éprouvante à certains égards, la future médecin en ressort avec un cadeau inestimable : une meilleure compréhension des facteurs pouvant influencer l’état général d’une personne moins choyée par la vie.
On regarde souvent de haut ces gens qui vivent en marginalité, mais il suffit de s’y intéresser pour comprendre qu’ils sont touchés par une grande détresse et qu’ils se sentent abandonnés par le système.
Béatrice Brailovsky, étudiante de premier cycle en médecine
Mariane, étudiante au baccalauréat en sciences infirmières, a fait le même apprentissage lors d’une activité pédagogique au centre de jour Ma cabane, à Sherbrooke, qui accueille des individus en situation d'isolement ou de rupture sociale.
Les personnes en situation d'itinérance sont peu portées à aller consulter pour traiter une plaie et elles ont un accès limité au matériel médical. Elles vivent souvent dans des environnements propices aux infections, et quand elles sont de surcroît intoxiquées, elles peuvent difficilement se soigner. Il faut vraiment adapter nos soins à cette population.
Mariane Larrivée, étudiante au baccalauréat en sciences infirmières
De part et d’autre, c’est l’unanimité : malgré la secousse d’émotions qui venait avec ce saut en milieu communautaire, cet apprentissage aux côtés de personnes moins avantagées fera d’elles de meilleures professionnelles de la santé.
Parce que soigner, c’est bien plus que prescrire des médicaments. Le logement, la sécurité alimentaire et le réseau social sont autant d’éléments qui influencent la santé d’une personne, et vice versa.
Ces plongeons dans des réalités poignantes avaient le potentiel de bouleverser Béatrice et Mariane. Or les deux étudiantes y étaient préparées, et ce, grâce au doigté de personnes dont l’esprit d’innovation et la bienveillance ne font qu’un.
Ce texte est le dixième d’une série qui illustre chaque mois l'intégration du développement durable dans la formation à l'UdeS, par l'entremise d'initiatives et d'exemples liés à l'un des 17 objectifs de développement durable (ODD) de l'ONU. L’apprentissage par le service à la communauté utilisé à la Faculté de médecine et des sciences de la santé (FMSS) met en valeur l’ODD 1 – Pas de pauvreté.
Amoindrir le choc de la détresse humaine
Si le service dans la communauté est une approche pédagogique qui porte ses fruits à la Faculté de médecine et des sciences de la santé (FMSS), elle présente le risque de chavirer émotivement les futures professionnelles et futurs professionnels de la santé.
Parfois, les étudiantes et étudiants vont vivre une sorte de choc culturel, comme s’ils étaient allés à l’étranger. Il faut les préparer.
Véronique Foley, ergothérapeute, chargée de formation pratique au programme d'ergothérapie et conseillère pédagogique
Dans les programmes d’ergothérapie et de médecine, par exemple, on utilise le jeu de société Coup de grâce pour casser la glace en douceur. « Le jeu permet de voir comment le statut socio-économique et l’environnement d’une personne teintent son parcours de vie, explique Mme Foley. On les sensibilise par petits pas. »
En sciences infirmières, la préparation prend différentes formes. De nouvelles initiatives sont d’ailleurs en préparation, dont certaines impliquant des patientes et patients partenaires ayant eu des parcours de vie difficiles. Des études de cas en classe et des activités de simulation en ligne sont d’autres nouvelles approches qui seront testées.
Ainsi, avant d’aller vers des activités plus intégratives, les étudiantes et étudiants ont déjà eu à travailler dans des contextes similaires.
Professeure Isabelle Ledoux, directrice du développement pédagogique et professionnel de l’École des sciences infirmières
En deuxième année de médecine, les groupes sont sensibilisés à la réalité des Premiers Peuples, dont les déterminants de santé sont beaucoup plus défavorables :
Je travaille avec Kevin Bacon, une personne innue spécialiste de la question de la sécurisation culturelle, et nous avons révisé une partie du curriculum pour y intégrer des activités pédagogiques traitant de santé et bien-être autochtones, de colonialisme médical et de racisme systémique.
Professeur David-Martin Milot, responsable du programme Apprentissage par le service dans la communauté (ASC) pour le programme de médecine, et médecin spécialiste en santé publique et médecine préventive
Ce contact privilégié avec l’histoire, les mots et les souffrances des Autochtones n’est qu’un exemple d’approche utilisée pour aborder des questions difficiles dans un climat de sécurité psychologique pour les étudiantes et étudiants.
Viennent ensuite les expériences concrètes.
Faire ses classes dans une autre réalité
Divers chemins sont empruntés pour aider les personnes étudiantes à mieux comprendre les racines de la pauvreté.
En ergothérapie, par exemple, on les réunit en groupes de dix et on les jumelle à des classes en ligne avec des étudiantes et étudiants en Haïti, où des enjeux de sécurité et de violence compromettent parfois le bon déroulement des cours. « En les exposant à des réalités différentes, on les aide à mieux comprendre la complexité de certaines situations de vie », explique Mme Véronique Foley.
En médecine, durant les deux premières années d’études, l’activité pédagogique Apprentissage par le service dans la communauté prévoit notamment 30 heures de service dans un organisme qui dessert des groupes présentant certaines vulnérabilités, comme des personnes âgées, des familles à faible revenu ou des individus sans domicile fixe.
« Nous travaillons avec une centaine d’organismes partenaires, qui ont la double mission d’exposer les étudiantes et étudiants à leur réalité et de leur faire vivre l’expérience d’entrer en contact avec des bénéficiaires et des bénévoles », explique le professeur David-Martin Milot.
C’est d’ailleurs dans le cadre de cette initiative que Béatrice a fait des apprentissages impérissables entre les murs d’un refuge pour personnes en situation d'itinérance :
C’est déjà difficile pour les personnes itinérantes de se rendre à l’urgence, mais il arrive que, sur place, elles reçoivent des soins incomplets parce que toute la faute est jetée sur leur consommation. Grâce à cette expérience, j’ai envie d’approcher ces patientes et ces patients différemment, soit avec curiosité afin de comprendre leurs besoins.
Béatrice Brailovsky, étudiante en médecine
Celle qui aspire à aider son prochain continue de donner à la société en travaillant bénévolement dans une clinique mobile pour Médecins du Monde : dépistage d’ITSS, prises de sang, etc. « Recevoir ces soins gratuits et anonymes les incite à prendre soin d’eux et à être davantage dans la prévention. »
En sciences infirmières, les groupes créent de toutes pièces des activités éducatives destinées à la population dans le cadre du cours Éducation à la santé auprès des groupes, fondé sur le service à la communauté. L’expérience de Mariane au centre de jour Ma Cabane suffit, à elle seule, à nous convaincre de l’efficacité de la formule.
Un des enjeux chez les personnes en situation d'itinérance, ce sont les plaies causées par les engelures et le diabète, mais elles n’ont pas à accès à tout le matériel nécessaire et elles sont souvent laissées à elles-mêmes. J’ai pu voir ce que c’est de ne pas avoir accès aux ressources, et cela m’a amenée à avoir une vision différente, à aborder les soins d’un autre angle.
Mariane Larrivée, étudiante en sciences infirmières
D’ailleurs, ce cours se verra bonifié dès l’automne 2024 par l’intégration d’un stage de six à sept jours dans des milieux communautaires volontaires. « Le nouveau rôle qu’on tente de développer en sciences infirmières est celui d’advocacy, ou de défense des droits des patientes et patients », explique la professeure Isabelle Ledoux.
Ainsi, les personnes étudiantes sont incitées à aller au-delà de leur rôle professionnel pour endosser aussi celui de citoyenne et de citoyen responsable socialement.
Des professions en transition
Selon le professeur et physiothérapeute Shaun Cleaver, de l’École de réadaptation de la FMSS, les nouvelles générations de professionnelles et de professionnels de la santé font preuve d’ouverture :
« Ma profession ne s’est pas beaucoup intéressée à la pauvreté jusqu’ici; notre contrat social a toujours été de répondre aux besoins qui nous sont présentés, et non aux besoins qui ne sont pas forcément exprimés. Or la profession est dans un moment transitoire. Il y a beaucoup d’intérêts chez les étudiantes et étudiants. »
Voilà qui laisse présager le mieux pour les plus vulnérables.