Recherche sur le vieillissement
Pour une société qui participe à la bientraitance
S’il faut tout un village pour élever un enfant, la recherche nous apprend qu’il faut toute une communauté pour nous aider à bien vieillir dans la dignité et le respect de nos valeurs, de notre culture, de notre parcours de vie et de nos besoins.
Au Centre de recherche sur le vieillissement, on constate que les initiatives et les ressources investies en bientraitance rapportent gros. Une des clés d’un tel succès repose sur une collaboration de tout le monde impliqué de près ou de loin auprès des personnes aînées.
Pionnière dans la prévention de la maltraitance des personnes aînées, la professeure Marie Beaulieu est titulaire de la Chaire de recherche sur la maltraitance envers les personnes aînées. Avec son équipe, elle bâtit des ponts entre les institutions, les organismes du milieu, les décideurs et les personnes aînées. Pour la professeure Mélanie Levasseur, la qualité de vie des personnes aînées passe par le maintien de leur participation sociale et d’une vie active, ce qui demande parfois de l’aide d’autrui. Quant au professeur Jean-Claude Coallier, il croit que le maintien de l’autonomie et de la sécurité des aînés, c’est aussi une affaire d’éducation et d’accès à l’information. Tous trois nous expliquent comment, comme société, nous pouvons contribuer au mieux-vieillir.
La bientraitance n’est pas simplement l’absence de maltraitance. Au Québec, ce concept est inscrit dans le Plan d’action gouvernemental pour contrer la maltraitance envers les aînés. La bientraitance vise le bien-être, le respect de la dignité, l’épanouissement, l’estime de soi, l’inclusion et la sécurité de la personne. Elle s’exprime par des attentions, des attitudes, des actions et des pratiques respectueuses des valeurs, de la culture, des croyances, du parcours de vie, de la singularité et des droits et libertés de la personne aînée.
La professeure Marie Beaulieu insiste sur l’importance de travailler sur deux tableaux : « On lutte contre un problème précis, la maltraitance. Et on fait une promotion de quelque chose qui est beaucoup plus large et qui demande énormément de sensibilité : la bientraitance. Si on ne montre pas aux gens à reconnaître la maltraitance et comment la prévenir et qu’on se contente de promouvoir la bientraitance, on ne sera pas plus outillés pour réagir, puisque de la maltraitance, il y en aura toujours. »
Une clé : la recherche partenariale
Le sort des aînés est une préoccupation partagée par un nombre grandissant de personnes et de milieux. Si la pandémie a provoqué une prise de conscience citoyenne, il y a déjà longtemps que la maltraitance envers la population âgée retient l’attention dans des milieux aussi variés que la sécurité publique, la justice, l’habitation, la philanthropie, la santé et la recherche universitaire. La professeure Marie Beaulieu mise depuis plusieurs années sur ces partenaires de tout ordre pour faire de la recherche-action sur le terrain, et ainsi proposer des armes concrètes pour contrer la maltraitance.
« Depuis 2010 au Québec, le plan d’action gouvernementale précise que la lutte contre la maltraitance, ce n’est pas l’affaire d’un seul intervenant ou d’un seul service, et qu’il faut absolument y aller avec des approches intersectorielles. »
Bien sûr tout notre réseau public de santé et de services sociaux est largement mis à contribution. Mais il n’y a pas que lui. D’emblée on a pensé au rôle de la police, au rôle du curateur public pour les gens qui sont sous régime de protection, à différents partenaires comme l’Office des personnes handicapées, etc.
Marie Beaulieu, professeure titulaire de la Chaire de recherche sur la maltraitance envers les personnes aînées
C’est pour cette raison qu’en 2010, on a positionné dans chacune des 17 régions du Québec une coordonnatrice ou un coordonnateur régional de la lutte contre la maltraitance, dont le mandat est d’animer le milieu pour que les différents secteurs puissent travailler ensemble. Mais dans les faits, même si les services existent, la personne aînée peut avoir beaucoup de mal à s’y retrouver. C’est pourquoi la recherche tente de documenter ces pratiques intersectorielles. « L’un des constats les plus troublants pour moi, c’est de voir le nombre de portes auxquelles les gens cognent pour réussir à avoir du soutien », s’étonne Marie Beaulieu.
Réintégrer sa communauté avec l'aide d'une autre personne citoyenne
Aller faire des courses, sortir prendre un café avec une amie, recevoir une visite, interagir avec des proches ou s’impliquer dans sa communauté, cela peut sembler banal. Mais pour une personne aînée, c’est ce qui permet de conserver sa confiance, son autonomie, sa dignité et sa santé. Et d’assurer sa bientraitance.
Rester actif, c’est souvent plus facile à dire qu’à faire. Les défis à relever sont de tout ordre : transport, accès à l’information, état de santé, niveau d’autonomie, manque de confiance et manque de temps des proches aidants, ressources limitées. Pourtant, il suffit parfois qu’une personne vous accompagne pour que les embûches s’atténuent et que l’activité redevienne un plaisir. C’est ce qui a donné l’idée à la professeure Mélanie Levasseur d’étudier un service d’Accompagnement-citoyen personnalisé d’intégration communautaire (APIC) et d’en mesurer les effets sur la santé des aînés. Une façon de contrer la maltraitance et le déconditionnement.
Le déconditionnement est l’ensemble des conséquences physiques, mentales et sociales liées à l’inactivité lors d’une période de sédentarité ou liées à la sous-stimulation intellectuelle et sociale. Bien que ses effets soient généralement réversibles, le déconditionnement a un impact négatif sur l'indépendance.
Les visites amicales existent depuis plusieurs années, mais utiliser ces visites dans le but de se réintégrer dans la communauté sur quelques mois à une année, c’est la nouveauté de l’APIC. L’accompagnement personnalisé est temporaire pour permettre à la personne de reprendre confiance et de reconnecter avec sa communauté. Lorsque la personne a retrouvé son indépendance, qu’elle s’est réintégrée dans sa communauté, la personne accompagnatrice va aider une autre personne aînée.
Ce programme sur mesure consiste à aider une personne aînée ayant des incapacités à cibler et à réaliser des activités importantes pour elle. La personne aînée est alors mise en présence, à raison de 3 heures par semaine, d’une personne accompagnatrice-citoyenne formée et supervisée par un organisme communautaire (par exemple un Centre d’action bénévole, une Accorderie). Ensemble, les personnes de ce duo participent à des activités comme aller manger au restaurant, faire une marche ou participer à une activité offerte par un organisme du milieu. Le service est offert en collaboration avec le réseau de la santé pour l’expertise de santé et de services sociaux.
« C’est vraiment une relation égalitaire d’un citoyen à un autre, qui s’investit et qui a été formé à certaines ressources dans la communauté », explique la professeure Levasseur. Et l’investissement en vaut vraiment la peine.
Le fait d’être intégré dans la communauté et d’avoir des relations sociales satisfaisantes est un facteur protecteur de la mortalité. Ce n’est pas rien! Considérant la montée de l’âgisme durant la pandémie, je pense que c’est aussi une façon de rapprocher les gens.
Mélanie Levasseur, professeure spécialiste des déterminants de la santé et de la participation sociale des personnes aînés
Toutes et tous unis contre la maltraitance
La professeure Marie Beaulieu explique que, dans la très grande majorité des cas de maltraitance, la première personne à qui on s’ouvre est quelqu’un de son entourage.
Il faut que l’information soit accessible à tout le monde, à vous, à moi, à mes voisines, parce qu’on ne sait pas si notre mère, notre tante, un voisin ne va pas s’ouvrir sur une situation de maltraitance à un moment donné.
Professeure Marie Beaulieu
Elle juge qu’il faut absolument sensibiliser le grand public et toutes les personnes qui interviennent auprès des aînés. « Les personnes qui, par exemple, offrent de l’aide ménagère ou de l’aide au bain, peuvent constater des situations et recevoir aussi beaucoup de confidences. Ces personnes travaillent plus près du cadre de la confidentialité des gens. Elles ont un rôle majeur. »
La pandémie a aussi fait émerger un constat : il faut que tout proche d’une personne aînée soit sensibilisé à ce qu’est le déconditionnement et ce qu’on peut faire pour s'en éloigner. Par contre, les proches aidants en ont souvent plein les bras et ne peuvent pas toujours accompagner la personne aînée dans les activités qui l'aiderait à se maintenir active dans sa communauté.
Par ailleurs, les bénévoles sont souvent des gens déjà âgés. Pour Mélanie Levasseur, il est temps de s’ouvrir à autre chose : « Je pense qu’on peut recruter des bénévoles plus jeunes, rapprocher les générations, faire des activités plus intergénérationnelles, et que ce rapprochement ait un effet positif sur la tolérance des générations les unes envers les autres, et des humains les uns envers les autres.
On a tous nos forces et nos défis personnels. C’est en côtoyant d’autres personnes qu’on s’aperçoit qu’on est complémentaires et que c’est ensemble qu’on fait quelque chose de beau et non pas individuellement.
Professeure Mélanie Levasseur
Surtout n'oublier personne
Le professeur Jean-Claude Coallier mène présentement une étude sur l’adoption de comportements préventifs chez les personnes aînées en situation de vulnérabilité en contexte d’épidémie ou pandémie. Il s’intéresse particulièrement aux aînés qui vivent dans leur domicile – qui constituent 85 à 90 % de la population de 65 ans et plus – et qui sont considérés comme plus vulnérables pour des raisons de santé, de statut économique ou d’isolement social.
Pour lui, ce qui constitue le premier défi, c’est de repérer les personnes dites vulnérables qui vivent hors des institutions. Les populations qu’il sonde sont ciblées à l’aide d’indices de défavorisation et couvrent les réalités propres aux milieux urbains, semi-urbains et ruraux.
L’un des constats importants de l’étude du professeur Coallier, c’est que lorsque les personnes sont bien informées, elles prennent les bonnes mesures pour leur sécurité.
Malgré leur situation de vulnérabilité, les personnes aînées de notre étude semblent s’en être bien tirées. Ce constat milite en faveur du maintien à domicile et d’un soutien éducatif qui prend en compte la diversité des réalités au sein de ce segment de la population aînée.
Jean-Claude Coallier, professeur-chercheur, spécialiste de la psychologie et de l’éducation des personnes aînées
Une personne aînée peut être ou devenir plus vulnérable pour diverses raisons : parce qu’elle est isolée, parce que ses ressources financières sont limitées, parce qu’elle a des problèmes de santé mentale ou physique... ou parce que, tout à coup, quelqu'un de son entourage est mal intentionné.
La maltraitance est une conséquence, et non une condition. Voilà pourquoi chacun et chacune d'entre nous doit s'en préoccuper en tant que membre d'une société qui participe à la bientraitance.
Quelques exemples de partenariat avec la Chaire de recherche sur la maltraitance envers les personnes aînées
Avec la Fondation Jasmin Roy Sophie Desmarais, la Chaire de la Pre Beaulieu a conçu et anime Les Ateliers 360 pour les aînés et les personnes qui les côtoient. Ces ateliers misent sur la réalité virtuelle pour développer l’empathie et les compétences émotionnelles et relationnelles afin de favoriser la bientraitance.
Dira-Estrie, un centre d’aide aux aînés victimes de maltraitance, a eu recourt à la Chaire pour mieux comprendre les freins et les leviers à la demande d’aide chez les personnes âgées. Un projet si pertinent qu’il leur a valu le 1er prix de la recherche partenariale du CIUSSS de l’Estrie – CHUS, et qui se poursuit.
Un partenariat entre la Chaire et le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a permis de mener une recherche-action durant trois ans pour documenter les pratiques policières, puis cibler les besoins des policiers en matière d’intervention auprès des aînés maltraités. Les résultats ont permis de développer le modèle IPAM (intervention policière auprès des aînés maltraités), devenu pérenne et désormais cité comme exemple par l’Organisation mondiale de la santé.