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Palmarès Québec Science 2023

Le lien entre le congé de maternité et l'anxiété de séparation au rang des découvertes de l'année

Prendre un congé de maternité de plus de 5 mois pour tisser des liens avec son bébé, c’est un idéal auquel plusieurs femmes doivent renoncer, faute de moyens financiers. Les travaux de la professeure Gabrielle Garon-Carrier prouvent pourtant que mieux vaut rester plus longtemps avec bébé. Ses conclusions sont si importantes pour revoir nos choix de société que le magazine Québec Science pourrait bien en faire la découverte de l’année 2023.

En étudiant l’association entre le congé de maternité et l’anxiété de séparation chez les tout-petits, la professeure Garon-Carrier a pu démontrer que les enfants dont les mères retournent travailler dans les premiers mois de vie ont un niveau d'anxiété de séparation plus élevé durant la petite enfance que ceux de mères qui ont pris un plus long congé de maternité.

Le vote est ouvert jusqu’au 15 février!
Vous trouvez cette découverte remarquable? N’oubliez pas d’aller voter sur le site de Québec Science. Vous avez jusqu’au 15 février 2024 à 23 h 59.

L’anxiété de séparation : une peur normale mais qui peut prendre des proportions démesurées

L’anxiété de séparation, c’est la peur qu’éprouve l’enfant d’être séparé de la personne avec qui il a créé un attachement sécurisant. Elle se manifeste généralement chez tous les enfants entre l’âge de six et douze mois et finit par s’estomper à mesure que l’enfant se développe sur le plan cognitif.

Gabrielle Garon-Carrier, professeure en psychoéducation à la Faculté d’éducation et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la préparation à l’école, l’inclusion des populations vulnérables et l’adaptation sociale.
Gabrielle Garon-Carrier, professeure en psychoéducation à la Faculté d’éducation et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la préparation à l’école, l’inclusion des populations vulnérables et l’adaptation sociale.
Photo : Michel Caron - UdeS

« Normalement, l’enfant comprend que même si son parent n’est plus physiquement près de lui, il demeure présent, il va continuer à prendre soin de lui. Mais dans certains cas, l’anxiété de séparation peut devenir problématique si les symptômes persistent et qu’ils deviennent démesurés par rapport au stade de développement de l’enfant », explique la professeure Gabrielle Garon-Carrier.

C’est le cas chez 4 % des enfants. Avoir constamment besoin de savoir où se trouve son parent, le suivre partout dans la maison, se faire des scénarios catastrophes et croire qu’il ne reviendra jamais, faire des cauchemars…, les symptômes peuvent être très dérangeants tant pour l’enfant que pour sa famille. Les comportements d’opposition peuvent aussi se manifester : refus d’aller à la garderie, au camp de jour, de dormir chez des amis. Certains enfants développent même des symptômes somatiques comme des maux de ventre ou des maux de tête.

« C’est le trouble anxieux le plus fréquemment diagnostiqué chez les enfants de moins de douze ans, ce qui correspond à environ 50 % des demandes de traitement en lien avec l’anxiété, indique la professeure Garon-Carrier. Si les symptômes persistent et en l’absence de traitement et d’intervention, ceci peut entraîner une diminution de la qualité de vie et entraver le développement social et le fonctionnement scolaire de l’enfant. »

On sait d’ailleurs que l’anxiété de séparation est une porte d’entrée vers d’autres difficultés de nature anxieuse, comme l’anxiété sociale ou l’anxiété généralisée.

Professeure Gabrielle Garon-Carrier

En cas de précarité financière, qu’est-ce qui est préférable pour bébé?

On sait que la première année de vie est un temps privilégié pour établir ce lien d'attachement sécurisant entre le parent et l'enfant. Ce lien se développe principalement grâce à une proximité physique entre les deux. Toutefois, pour les familles en situation de vulnérabilité socioéconomique, il peut être difficile pour le parent – et les mères en particulier – de s'absenter du marché du travail pendant plusieurs mois suivant la naissance de leur enfant. Leurs faibles moyens financiers les forcent souvent à écourter le congé de maternité.

Ce que nous avons voulu savoir, c’est si la séparation entre le parent et l’enfant causée par un retour précoce au travail pouvait compromettre la qualité de leur relation et être associée à l’anxiété de séparation. Ou si, pour des familles en situation de précarité financière, ce serait préférable que le parent retourne au travail plus tôt puisque cela apporte des ressources sociales et financières qui contribuent aussi au bon développement de l’enfant.

Professeure Gabrielle Garon-Carrier

Pour y voir clair, Gabrielle Garon-Carrier et son équipe ont comparé le niveau d’anxiété de séparation entre :
1) les enfants de mères en congé de maternité avec un revenu suffisant;
2) les enfants de mères en congé de maternité et en situation de précarité financière;
3) les enfants dont les mères sont retournées au travail dans les 5 mois suivant la naissance de l’enfant.

Avec son équipe de recherche, la professeure Garon-Carrier mène une enquête jusqu'en 2027 sur la politique en matière de congé parental et son association avec le bien-être des parents et le développement de l'enfant.
Avec son équipe de recherche, la professeure Garon-Carrier mène une enquête jusqu'en 2027 sur la politique en matière de congé parental et son association avec le bien-être des parents et le développement de l'enfant.
Photo : Michel Caron - UdeS

L’équipe s’est assurée au niveau statistique que les trois groupes étaient égaux pour que le fait d'être en congé de maternité ou non, ou de se retrouver en situation de précarité financière, ne soit pas expliqué par d'autres facteurs, comme une situation de monoparentalité, l’absence de diplôme ou un statut de nouvel arrivant au Québec. L'équipe s'est aussi assurée que le niveau d'anxiété de séparation des enfants n'était pas expliqué par d'autres facteurs comme les comportements parentaux, le tempérament de l'enfant ou encore la santé de la mère, par exemple le fait d'avoir vécu une dépression post-partum.

Ce que l’équipe a découvert, c’est qu'il n'y avait pas de grande différence dans le niveau d'anxiété de séparation des enfants de mères qui étaient en congé de maternité et qui avaient un revenu suffisant et celui des enfants de mères qui étaient en congé de maternité mais qui se retrouvaient en situation de précarité financière, lorsque cette situation financière était temporaire.

Ce sont plutôt les enfants des mères qui étaient retournées de façon précoce au travail qui ont développé un niveau plus élevé d’anxiété de séparation entre l'âge de 17 mois et 6 ans. Autrement dit, mieux vaut prolonger son congé de maternité au-delà de 5 mois

Mieux soutenir les familles

Cette recherche démontre l’importance d’un programme de congé parental qui assure un revenu garanti pendant plusieurs mois pour éviter que certaines femmes se voient obligées d’écourter leur congé sans quoi elles plongeront leur famille dans une précarité financière à long terme.

La découverte de Gabrielle Garon-Carrier vient démontrer toute l'importance d'un programme de congé parental qui permettrait d'éviter de devoir choisir entre rester avec bébé ou retourner au travail.
La découverte de Gabrielle Garon-Carrier vient démontrer toute l'importance d'un programme de congé parental qui permettrait d'éviter de devoir choisir entre rester avec bébé ou retourner au travail.
Photo : Michel Caron - UdeS

« Ces résultats mettent en lumière l'importance de se préoccuper des familles qui se retrouvent près du seuil de pauvreté et d'avoir des mesures financières additionnelles pour les soutenir pendant cette période », juge Gabrielle Garon-Carrier.

Le Régime québécois d’assurance parentale prévoit différents scénarios de prestations. Notons toutefois que le régime de base accorde 32 semaines de prestations dont les 7 premières sont à 70 % du revenu et les 25 semaines suivantes, à 55 % du revenu.

La professeure Caroline Fitzpatrick, spécialiste du développement cognitif de l’enfant, a collaboré à la recherche de la professeure Garon-Carrier. Selon elle, cette étude est très importante pour guider nos choix de société.

Cette recherche peut nous éclairer sur le fait que nos programmes sociaux peuvent avoir des effets différents selon les caractéristiques des familles. Ça nous rappelle qu'il faut aussi considérer certains aspects comme le milieu socio-économique, les vulnérabilités des familles lorsqu'on essaie de voir l’impact des programmes sur les populations.

Caroline Fitzpatrick, professeure au Département d’enseignement au préscolaire et au primaire de la Faculté d’éducation

Une portée internationale

Si, au Québec, le Régime québécois d’assurance parentale garantit un revenu lors de la cessation d’emploi, ce n’est pas le cas partout dans le monde. Aux États-Unis par exemple, le congé parental est d'une durée de douze semaines, non rémunérées. « C'est certain que ça positionne des familles dans l'obligation de retourner au travail dans les premières semaines de vie de l'enfant », fait remarquer Gabrielle Garon-Carrier.

La recherche de la professeure Garon-Carrier s'insère dans une étude longitudinale portant sur 4000 familles qui seront suivies pendant les 20 prochaines années. Faire partie de cette vaste étude permet d’accéder à une diversité de familles québécoises d'aujourd'hui avec un fort potentiel de retombées.

Les résultats n’ont donc pas fini de se révéler et vont permettre à l’équipe de recherche d'informer les décideurs politiques des améliorations souhaitables au programme de congé parental : les aspects qui devraient être améliorés, pour quels groupes particuliers, dans quelles circonstances les dispositions du programme peuvent être bénéfiques ou nuire à la santé mentale du parent et à la trajectoire de développement de l'enfant.

Ultimement, c’est de cette façon qu’on est en mesure de générer des stratégies qui permettent de réduire les iniquités.

L'équipe derrière cette découverte remarquable
Gabrielle Garon-Carrier, professeure au Département de psychoéducation de la Faculté d’éducation de l’UdeS, membre du GRISE et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la préparation à l’école, l’inclusion des populations vulnérables et l’adaptation sociale; Caroline Fitzpatrick, professeure au Département de l’enseignement au préscolaire et au primaire, membre du GRISE et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l’utilisation des médias numériques par les enfants et le vivre-ensemble; Rachel Margolis, professeure au Département de sociologie de l’Université Western Ontario; et Arya Ansari, professeur en développement humain et sciences familiales au Département des sciences humaines de l’Université Ohio State.


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