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Troubles de la personnalité

Lever le voile sur un tourment au long cours

Certaines séries télévisées et films dépeignent les troubles de la personnalité avec justesse, mais plusieurs contribuent aux stéréotypes et à la stigmatisation autour de la santé mentale. Photomontage : Michel Caron - UdeS
Certaines séries télévisées et films dépeignent les troubles de la personnalité avec justesse, mais plusieurs contribuent aux stéréotypes et à la stigmatisation autour de la santé mentale. 

Photomontage : Michel Caron - UdeS

Du Joker névrosé à l’obsessionnelle traqueuse de Baby Reindeer, en passant par l’hôtelier matricide d’Alfred Hitchcock et l’effrayant carnassier Hannibal Lecter, les protagonistes aux prises avec un trouble de la personnalité sont dépeints dans bon nombre de films et séries télévisées. Si ces représentations permettent de ressentir et de mieux comprendre les difficultés vécues par ces personnes souffrantes, elles contribuent toutefois souvent à perpétuer, aux fins d’une intrigue narrative dramatique, plusieurs stéréotypes tant spectaculaires que péjoratifs. Entre l’exagération, les amalgames et la simplification, comment naviguer dans ces eaux troubles et saisir plus fidèlement ce que sont les troubles de la personnalité?

Spécialisé en psychopathologie développementale et en développement identitaire, le professeur Michaël Bégin du Département de psychologie en connaît un rayon en matière de troubles de la personnalité, de difficultés relationnelles et de trauma complexe. Pour le spécialiste, si l’on veut mieux comprendre ce qu’est le trouble de la personnalité, il importe de d’abord s’intéresser à ce qu’est la personnalité.

Selon les définitions qui font consensus, la personnalité réfère à un patron de perceptions de soi, des autres, de différentes situations et de réactions et comportements affectifs qui s’est développé à l’enfance et à l’adolescence. Stable dans le temps, ce patron perdure à l’âge adulte, poursuit le professeur Bégin.

La personnalité caractérise le fonctionnement d’une personne dans un éventail de situations, tant au travail que dans ses relations, ses loisirs.  C’est ce qui la rend unique, et c’est ce qui fait qu’on la reconnaît, qu’on n’a pas le sentiment d’être face à quelqu’un de différent à travers les contextes.

Professeur Michaël Bégin, du Département de psychologie

Un écart avec la réalité et des difficultés relationnelles

Dans le cas du trouble de la personnalité, l’on assiste à un écart avec la réalité des patrons de perception et des réactions affectives et comportementales chez un individu. Le professeur Bégin parle d’une « distorsion assez sévère » et de « réactions et comportements démesurés » dans la façon de se percevoir et de voir les situations, par rapport au contexte réel.

Sur le plan interpersonnel, le manque général d’empathie et la difficulté à nouer et à conserver des relations où il y a une proximité, une intimité, sont des caractéristiques qui peuvent être communes aux différents troubles de la personnalité.

Ce sont des gens qui sont affectivement plus réactifs que la norme, et ils ont un défi supplémentaire pour parvenir à se décentrer de leur propre expérience, à se réguler, pour faire de la place à l'expérience de l'autre.

Professeur Michaël Bégin

Le professeur Michaël Bégin se spécialise en psychopathologie développementale et en développement identitaire.
Le professeur Michaël Bégin se spécialise en psychopathologie développementale et en développement identitaire.
Photo : Michel Caron - UdeS

Il indique également qu’en général, ces personnes sont conscientes que quelque chose ne fonctionne pas dans leurs relations, sans nécessairement savoir ce qui leur appartient ou ce qui appartient à l’autre.

Si pendant plusieurs décennies les spécialistes ont travaillé avec un système permettant de catégoriser les différents troubles – narcissisme, personnalité limite, paranoïa, etc. – l’on s’entend aujourd’hui sur une définition plus contemporaine, ajoute le psychologue. Comme décrit plus haut, un noyau commun d’éléments propres à l’identité et au fonctionnement de la personne, de même qu’à son fonctionnement interpersonnel, caractérise les troubles de la personnalité, qui ne sont pas complètement dissociés les uns des autres.

Ne jamais sauter aux conclusions

Tant dans les représentations fictives – séries télé, films – que par rapport à ce que l’on observe dans nos dynamiques avec certaines personnes, le professeur Bégin note une tendance pernicieuse à conclure parfois trop rapidement à la présence d’un trouble de la personnalité :

Il ne faut pas se fier, à titre expérientiel, à une ou deux caractéristiques prototypiques d’un trouble de la personnalité, comme le manque d’empathie et la manipulation, pour sauter aux conclusions.

Le spécialiste rappelle que le trouble de la personnalité se développe au long cours et caractérise le fonctionnement de la personne de façon stable et cohérente dans le temps, et ce, dans un ensemble de situations, tant avec des inconnus que des proches.

Pour ce dernier, les meilleures représentations à l’écran de personnes souffrant d’un trouble de la personnalité sont celles qui fournissent le plus d’information sur le passé des personnages, qui permettent d’avoir une idée de l’évolution de leur situation dans le temps, et non pas uniquement de leur fonctionnement actuel.

Les problématiques liées à la personnalité découlent en effet de traumas ou de difficultés qui apparaissent tôt dans le développement, à l’enfance et l’adolescence, et qui se sont exacerbées et chronicisées au fil du temps.

Naître avec un trouble, ou le devenir?

Lorsque l’on tente d’expliquer comment un trouble de la personnalité se développe chez quelqu’un, le modèle développemental diathèse-stress prédomine, mentionne le professeur Bégin. Cette théorie suggère que le développement des troubles mentaux peut résulter d’une interaction entre une vulnérabilité préexistante (diathèse) et des facteurs de stress environnementaux.

Les tempéraments et traits de caractère chez les tout-petits sont innés et variés. Certains vont davantage vers les autres, alors que d’autres sont plus réactifs, plus sensibles ou plus renfermés. L’environnement dans lequel les enfants grandissent peut induire un stress supplémentaire, suivant leurs caractéristiques spécifiques.

Un lien est par exemple bien établi entre le développement de troubles de la personnalité chez de jeunes enfants ayant grandi dans des environnements traumatiques, où il y a pu y avoir de la violence, des abus ou de la négligence, explique le psychologue.

Toutefois, la problématique peut se développer dans des milieux tout à fait adéquats, et à l’inverse, quelqu’un qui aurait vécu dans un milieu traumatique ne développera pas forcément de trouble, il n’y a pas qu’une seule trajectoire.

Professeur Michaël Bégin

Les problématiques en lien avec la personnalité apparaissent tant dans des environnements sains que dans des milieux plus difficiles.
Les problématiques en lien avec la personnalité apparaissent tant dans des environnements sains que dans des milieux plus difficiles.
Photo : Michel Caron - UdeS

Il donne pour exemple celui d’un jeune bébé, davantage réactif que la moyenne des tout-petits, qui souffre de surcroît d’eczéma sévère. Lorsque sa mère le prend pour le consoler, sa peau lui fait tellement mal, qu’il associe ce geste de sa mère à un geste de violence envers lui. Déjà, il développe une vision du monde beaucoup plus hostile qu’elle ne l’est en réalité, simplement par ses caractéristiques propres et sa condition médicale, raconte le professeur Bégin.

À la lumière de l’ensemble de l’information permettant de mieux cerner ce qu’est un trouble de la personnalité, comment il se développe et se vit, l’on comprend que le phénomène est hautement complexe, et qu’il importe d’user de prudence lorsque vient le temps de l’aborder. Si certaines séries télévisées et productions cinématographiques permettent de sensibiliser le public aux enjeux découlant des troubles de la personnalité, il n’en demeure pas moins qu’elles sont aussi susceptibles de créer des stéréotypes et de la stigmatisation autour de la santé mentale. C’est important d’en prendre conscience et de faire la part des choses, conclut Michaël Bégin.


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