Projet de recherche multidisciplinaire
Découverte d’une arme utilisée par les bactéries dans la guerre du fer
Le déroulement du projet de doctorat de Vincent Charron-Lamoureux ressemble à la quête qu’on retrouve dans un jeu de rôle : il faut résoudre des énigmes, passer différentes étapes et s’associer à d’autres joueurs. C’est en combinant les expertises d’autres chercheuses et chercheurs en microbiologie, en biogéochimie, en électrochimie et en chimie de synthèse qu’il a pu découvrir les rôles essentiels de la pulcherrimine dans la guerre du fer.
Et c’est ici que Vincent Charron-Lamoureux et l’équipe de recherche de l’Université de Sherbrooke commencent leur quête.
D’un simple changement de couleur à la découverte d’un nouveau mécanisme de gestion du fer chez les bactéries
L’histoire débute lorsque Vincent et sa superviseure, la Pre Pascale B. Beauregard, notent l’apparition d’une couleur rougeâtre lorsque leur bactérie favorite était mise en croissance en présence d’une bactérie compétitrice. Des indications dans la littérature et quelques expériences plus tard, ils ont pu confirmer que la couleur était due à la liaison entre l’acide pulcherriminique, produit par leur bactérie favorite, et le fer présent dans le milieu sur lequel la bactérie croît.
Un premier mystère se présente : la liaison de cette molécule au fer mène à sa précipitation, alors que la majorité des bactéries du sol relâchent des molécules pour solubiliser le fer. De plus, la littérature soutient que le fer piégé dans cette liaison serait irrécupérable. Puisque les bactéries dépendent de cet élément pour leur survie, pourquoi se donner tant de mal à produire une molécule qui l’enferme et le précipite?
L’équipe s’est alors donné le défi de comprendre pourquoi la bactérie va à l’encontre des moyens traditionnels en produisant l’acide pulcherriminique et en précipitant le fer dans la pulcherrimine.
De l’importance du fer pour les organismes vivants
Le fer est un élément indispensable à la survie des organismes vivants, de la bactérie aux mammifères. Il joue de multiples rôles dans le fonctionnement des organismes, tels que la synthèse de l’ADN, le transport de l’oxygène ou encore le transfert d’électrons essentiels à la génération d’énergie. Cependant, dans un environnement oxydant où il précipite et forme des granules avec d’autres éléments, il est très peu biodisponible pour les organismes, qui doivent rivaliser de stratégies pour le solubiliser et le rendre accessible à nouveau. L’acquisition du fer fait donc l’objet d’une compétition féroce entre les organismes vivants qui ont développé diverses stratégies visant à récupérer ce micronutriment essentiel.
Les molécules porteuses de fer, les « sidérophores »
Une des stratégies d’acquisition du fer par les bactéries consiste à produire de petites molécules organiques avec une grande affinité pour le fer afin de former des complexes solubles dans l’eau et accessibles aux bactéries. Parmi ces molécules, les sidérophores (du grec ancien sidêrophoros, « porteur de fer ») sont les plus efficaces et sont produits par de très nombreux microbes sur la planète. De nombreux microorganismes ont également évolué des structures de stockage intracellulaire du fer, leur permettant une gestion plus efficace des besoins indépendamment des fluctuations de la disponibilité du fer à l’extérieur de la cellule. Bien qu’efficaces, ces stratégies s’accompagnent d’un coût énergétique important.
Deux rôles démontrés de la pulcherrimine
Pour compléter sa quête, Vincent Charron-Lamoureux a choisi ses outils : Bacillus subtilis, comme bactérie modèle qui produit l'acide pulcherriminique, et la bactérie Pseudomonas protegens, comme modèle de compétition.
Nous avons observé que le contenu en fer du biofilm de Bacillus subtilis augmentait lorsqu’il produit de l’acide pulcherriminique, ce qui était une première évidence que la bactérie peut récupérer le fer de la pulcherrimine.
Vincent Charron-Lamoureux, doctorant en biologie
Grâce à ses expériences, Vincent a démontré un premier rôle : en présence du compétiteur, la production de l'acide pulcherriminique crée une réserve extracellulaire locale de fer, qui peut être ensuite récupérée par le sidérophore bacillibactine de B. subtilis.
Cette stratégie est contre-intuitive, car elle vise à précipiter le fer à l’extérieur de la cellule, le rendant ainsi moins disponible. Cependant, cette étude démontre que cette stratégie est viable, car elle est intimement liée à la stratégie habituelle d’acquisition du fer par les sidérophores. Pour garder l’analogie de la guerre du fer, cette stratégie s’apparente à la destruction d’un pont lors d’un conflit pour perturber les voies d’approvisionnement de l’ennemi.
Pour poursuivre les diverses étapes de leurs recherches sur la pulcherrimine, Vincent Charron-Lamoureux et Pascale B. Beauregard se sont associés à trois professeurs du Département de chimie, soit Jean-Philippe Bellenger, spécialiste en biogéochimie, l Claude Legault, expert en chimie de synthèse, et Philippe Dauphin-Ducharme, spécialiste en électrochimie. Cette association a permis de mettre en lumière le fait que la pulcherrimine a un deuxième rôle, essentiel pour la survie des cellules.
Un deuxième rôle de la pulcherrimine que nous avons confirmé, c’est qu’elle réduit le stress causé par des molécules d’oxygènes réactives. Ce stress oxydatif, s’il n’est pas pris en charge, peut notamment causer des dommages à l’ADN et mener à la mort des bactéries. Donc, la bactérie utilise la pulcherrimine pour contrecarrer l’élévation du stress oxydatif engendré par le compétiteur dans son environnement.
Vincent Charron-Lamoureux
Dans son ensemble, cette étude révèle que l'acide pulcherriminique est au cœur d'une stratégie complexe de gestion du fer qui met à profit la précipitation extracellulaire contrôlée du fer lorsque B. subtilis fait face à certains compétiteurs. Elle vient modifier la compréhension de la gestion du fer par les bactéries non seulement dans le sol, mais aussi dans leurs interactions avec les humains et les animaux.
Cette nouvelle stratégie insoupçonnée de la « guerre du fer » a été publiée dans la revue scientifique Nature Communications.