Prix du public parmi les découvertes de l’année de Québec Science
Trois générations de chercheurs propulsent le ramjet rotatif
Le ramjet rotatif, un nouveau concept de moteur à hydrogène qui offre une densité de puissance jamais vue, vient de recevoir le Prix du public parmi les 10 découvertes de l’année du magazine Québec Science. Grâce à une turbine d’à peine quelques centimètres de diamètre, ce petit moteur atteint des vitesses tangentielles de l’ordre du km par seconde générant des ondes de choc, lesquelles sont savamment utilisées pour réaliser un cycle thermodynamique complet sur une seule pièce mobile. Pour ce faire, les chercheurs ont développé un nouveau procédé de combustion ultra-compact qui exploite avantageusement les accélérations centrifuges extrêmes, de l’ordre de 700 000 G, engendrées par le moteur : une première. «C’est rare qu’un projet de génie mécanique nous mène aux frontières de la physique connue», explique le professeur Jean-Sébastien Plante, l’un des idéateurs du projet. Autre fait inusité : trois générations de chercheurs ont permis de concrétiser le prototype.
Le professeur Martin Brouillette a été le premier mentor dans ce projet : il a su déceler le potentiel de deux futurs chercheurs, dès le cégep. «Jean-Sébastien a commencé à travailler dans mon labo en 1993 alors qu’il sortait tout juste du secondaire!», dit-il. «J’ai connu David Rancourt à l’Expo-sciences provinciale de 2002, alors que je lui ai remis, à titre de vice-doyen à la planification stratégique de la Faculté de génie, une bourse de l’UdeS qui payait son baccalauréat au complet. Disons que mon flair pour identifier le talent scientifique paraît assez bon en rétrospective!», relate-t-il.
Un premier défi
L’histoire du ramjet rotatif débute en 1998. Au départ, le professeur Brouillette soumet à ses étudiants un problème à résoudre : Serait-il possible, demande-t-il, de créer un moteur qui utiliserait la physique des ondes de choc, comprimerait le carburant de façon ultra-compacte, pour en décupler la puissance mécanique?
Jean-Sébastien Plante s’attaque à ce défi et en fait le cœur de son projet de maîtrise. «Au début, plusieurs concepts ont été proposés, certains loufoques, d’autres moins, mais ce sont les idées initialement les plus folles qui permettent éventuellement d’innover», affirme Martin Brouillette. Le mémoire que Jean-Sébastien Plante dépose comprend les fondements théoriques du ramjet rotatif, et fait l’objet d’un premier brevet. Pendant quelques années, alors que l’étudiant poursuit ses études doctorales au Massachusetts Institute of Technology (MIT), le projet existe seulement sur papier. Après l’obtention de son doctorat, Jean-Sébastien Plante revient à l’UdeS, non plus comme étudiant, mais comme professeur de génie mécanique.
La 3e génération entre en scène
En 2008, c’est au tour du professeur Plante de poser un défi à ses élèves : assurer la réalisation physique du ramjet rotatif, à partir de son modèle théorique. Cette fois, deux étudiants de maîtrise répondent à l’appel. Le cas est d’une rare complexité : David Rancourt et Mathieu Picard unissent leur talent pour le résoudre. «Par rapport au prototype, j’étais principalement responsable de la conception du système d’allumage et de la structure du moteur, explique David Rancourt. Mathieu était surtout responsable des calculs aérodynamiques et de la combustion dans le moteur.»
Des idées qui font grand bruit!
Pour en arriver au prototype final, les chercheurs ont procédé par étapes. Pour ce faire, ils ont dû tester différents éléments sur des bancs d’essai. «Par exemple, bien avant qu’un prototype fonctionnel soit conçu, des essais en rotation à 180 000 tours à la minute de disques en métal étaient réalisés. La vitesse à la périphérie du disque était sensiblement la même qu’un avion de chasse à vitesse maximale», explique David Rancourt. Durant près de deux ans, ce sont cinq prototypes de plus en plus raffinés qui sont réalisés. «Ce dont je suis le plus fier, c’est le développement de la combustion dans un champ centrifuge extrême. L’état de l’art ne dépassait pas 11 000 G et nous avons, grâce à un modèle analytique simple et des simulations numériques, conçu et testé une chambre de combustion jusqu’à 700 000 G», dit Mathieu Picard.
Pour arriver à des résultats pareils, les chercheurs ont dû opérer le banc d’essai de nuit, puisque le bruit généré par les expériences dérangeait les occupants des cinq étages de la Faculté de génie!
Simple mais sophistiqué
«La simplicité est l’ultime sophistication», disait Léonard de Vinci. C’est ce qui résume le mieux le projet, selon Jean-Sébastien Plante. Le concept du ramjet rotatif, relativement simple, comprend une seule pièce mobile. Le secret réside dans la finesse des calculs et de la conception optimale des pièces qui le composent. Pour arriver à ce résultat, il a fallu équiper les laboratoires avec de nouveaux appareils de pointe, mais surtout, il a fallu embaucher et former des gens. «On ne le réalise pas toujours, mais pour concrétiser ce genre de découverte, nous avons certainement besoin de bancs d’essai qui nous permettent de mener des expériences ‘‘de haute voltige’’, mais le plus important, ce sont les gens qui opèrent ces équipements. Les idées géniales viennent des cerveaux passionnés», dit Jean-Sébastien Plante.
«Contrairement à la majorité des projets de maîtrise qui sont faits individuellement, le succès de ce projet d’envergure repose sur la collaboration quotidienne entre les membres de l’équipe, incluant les professeurs Plante et Brouillette, Marc Denninger – un professionnel de recherche qui a été un contributeur significatif –, ainsi que quelques stagiaires», ajoute David Rancourt.
Transmettre la passion
Les deux étudiants poursuivent chacun des études doctorales aux États-Unis : David Rancourt étudie à Georgia Tech, tandis que Mathieu Picard évolue actuellement au MIT. Pour eux, leurs mentors de l’UdeS ont grandement contribué à leur passion pour la recherche. D’une part, ils soulignent la contribution du professeur Brouillette, un «guide» pour la compréhension de la dynamique des gaz et de l’aérodynamique supersonique. D’autre part, ils parlent du professeur Plante comme d’une «machine à générer des idées». «Après chaque réunion, David et moi passions presque une journée à évaluer les idées, à les intégrer à notre développement et à replanifier notre échéancier», explique Mathieu Picard. «Sa créativité nous permettait de générer des idées tout à fait nouvelles!, ajoute David Rancourt. C’est assurément un superviseur exigeant, mais qui réussit à transmettre sa passion de l’ingénierie comme nul autre!» Pour Martin Brouillette, premier mentor dans ce projet, le travail des deux générations de chercheurs qu’il a guidé est remarquable : «Je ne suis pas tellement plus vieux qu’eux, mais je me sens comme Yoda dans Star Wars qui prodigue de sages conseils à une jeunesse fougueuse. On ne peut imaginer un travail plus intéressant», conclut-il.