Un des textes gagnants du Concours de vulgarisation scientifique 2021
Cerveau et médication : quand on frappe un mur
Notre cerveau est une forteresse bien gardée. Sa sentinelle, la barrière hématoencéphalique, surveille scrupuleusement le cerveau et assure son bon fonctionnement. Son travail est d’une telle efficacité qu’elle peut entraver le passage d’un médicament jusqu’au cerveau, ce qui peut poser problème dans le cas de certains traitements.
Emilie Eiselt et l’équipe de recherche du professeur Louis Gendron de l’Université de Sherbrooke ont leur petite idée pour contourner cette difficulté dans le contexte du traitement de la douleur : utiliser une navette pour permettre le passage d’un dérivé de la morphine à travers la barrière hématoencéphalique.
La barrière hématoencéphalique : la sentinelle du cerveau
Les vaisseaux sanguins nourrissent les cellules du corps, du petit orteil au cerveau. Ce dernier est alimenté par des microvaisseaux sanguins appelés capillaires. Les cellules de la paroi interne de ces capillaires forment une structure à la fonction hautement spécialisée, la barrière hématoencéphalique. Cette barrière joue à la fois le rôle de garde et de pont-levis entre le sang et le cerveau. Elle contrôle le passage des nutriments et de l’oxygène nécessaires, tout en expulsant les déchets dans la circulation sanguine. Cependant, la présence de cette sentinelle constitue un obstacle pour les médicaments qui doivent se rendre au cerveau. C’est notamment le cas pour la morphine, un médicament opioïde utilisé lors du traitement de la douleur modérée à sévère.
Quand le foie s’en mêle
La barrière hématoencéphalique n’est pas le seul obstacle que rencontre la morphine lors de son voyage jusqu’au cerveau. En effet, seulement une quantité infime de ce médicament se rend au cerveau, soit 0.02 %. L’autre coupable est le foie. Cet organe transforme rapidement la morphine dans le but de faciliter son élimination par l’urine. Cette étape mène à la production de composés appelés métabolites, la morphine-3-glucoronide (M3G) et la morphine-6-glucoronide (M6G). Le M3G est un problème en soi, puisqu’il possède un effet contraire à ce médicament opioïde. Il provoque en effet une augmentation de la sensibilité à la douleur et un développement de la tolérance à la morphine. À l’opposé du M3G, le M6G est quant à lui responsable de la majorité de l’effet analgésique induit lors de la prise de morphine. Son effet antidouleur est même 50 fois supérieur. Toutefois, sa course n’est pas gagnée d’avance, puisque le M6G traverse lui aussi difficilement la barrière hématoencéphalique.
Un arrêt sans détour jusqu’au cerveau
L’équipe de recherche du professeur Gendron a élaboré une stratégie pour contourner les défis posés par le cerveau et le foie. Ils ont testé l’administration du M6G plutôt que de la morphine. Cette tactique permet d’abord d’éviter la production du M3G par le foie, mais aussi, comme l’a vérifié l’équipe de recherche, la constipation, qui est un effet secondaire bien connu de la morphine. Pour aider le M6G à traverser la barrière hématoencéphalique, une liaison avec le peptide Angiopep-2 (An2) est la clé. Un peptide est une courte protéine. Dans ce contexte, An2 joue le rôle de navette. Il se lie aux cellules de la barrière et permet un passage sans encombre à travers ces dernières, jusqu’au cerveau. Des résultats encourageants ont été observés lors des essais précliniques : 80 à 90 % du médicament s’est retrouvé dans le cerveau après son administration. De plus, le M6G combiné au peptide offre un effet antidouleur supérieur et prolongé comparativement à la morphine.
Emilie Eiselt et l’équipe du professeur Gendron offrent ainsi une avenue intéressante pour optimiser le traitement de la douleur. Le M6G combiné à son peptide navette s'est montré prometteur en laboratoire. Serait-ce le cas chez l’humain également?
À propos de Maude Hamilton
Maude Hamilton est étudiante à la maîtrise en biologie cellulaire dans le laboratoire de la professeure Véronique Giroux à la Faculté de médecine et des sciences de la santé. Son projet de recherche vise à découvrir ce qui rend les cellules souches de l'œsophage uniques. Par ses pièces de vulgarisation scientifique, elle souhaite partager sa passion de la science et, par le fait même, contribuer à son accessibilité.
À propos du concours
L’Université de Sherbrooke tient annuellement un concours de vulgarisation scientifique dont les objectifs sont de stimuler des vocations en vulgarisation scientifique et d’augmenter le rayonnement des travaux de recherche qui s’effectuent à l’Université, qu’ils soient de nature fondamentale ou appliquée.