Visualiser des univers géométriques en mathématiques
« Travailler l’imaginaire est l’une des parties qui m’intéressent le plus dans ma recherche. Si on avait une géométrie qui n’est pas comme la géométrie plate de notre monde, qu’est-ce qu’on verrait, qu’est-ce qu’on vivrait, qu’est-ce qui se passerait si on s’y promenait? C’est comme imaginer des univers géométriques potentiels. »
C’est ainsi que le professeur Jean-Philippe Burelle décrit comment il aborde ses recherches en mathématiques. Il s’intéresse aux visualisations et aux expériences par ordinateur, car celles-ci permettent d’explorer l’univers mathématique avant de se lancer dans les démonstrations formelles, une philosophie inspirée par son directeur de thèse de l’University of Maryland.
L’univers de Pac-Man
On comprend tous le fonctionnement de l’univers de Pac-Man : lorsque le personnage se déplace en ligne droite et franchit le bord de l’univers dans lequel il vit, il réapparaît de l’autre côté. C’est l’analogie qu’utilise Pr Burelle pour illustrer certains concepts : « Quand tu déplaces un objet dans un certain univers géométrique, tu ne le téléportes pas d’un endroit à un autre, tu le déplaces de manière continue », partage-t-il. Dans le cadre de ses recherches, il étudie les interactions entre les symétries discrètes et continues d’univers géométriques complexes.
Il est fascinant d’imaginer que, si Pac-Man regarde par en avant, il voit une copie de lui-même : il peut voir son propre dos parce que la lumière se déplace en ligne droite dans l’univers en question. Et si Pac-Man franchissait la limite de son univers et se trouvait dans un univers parallèle identique au premier au lieu de réapparaître de l’autre côté?
Cela apporte deux façons d’étudier le même objet : « On peut étudier l’univers de Pac-Man en pensant plutôt au pavage du plan par des carrés, où chaque carré est une copie identique de l’univers de Pac-Man. Dans ce cas, lorsqu’il franchit la frontière de son univers, il continue tout droit, mais une copie de lui-même le remplace à l’autre bout. » Les recherches du professeur Burelle traitent de ces exemples, mais en dimensions supérieures aux groupes de symétrie plus complexes.
Le cœur, une illusion?
Saviez-vous que le cœur apparaissant dans l’image en début de texte n’est qu’une illusion? En effet, présents sur l’image ne sont que des cercles, et notre cerveau reconstruit la forme d’un cœur! Cette forme (la courbe de Véronèse) est présente, car tous les cercles sont osculateurs à la même courbe, c’est-à-dire qu’ils sont les meilleurs pour approximer la courbe autour d’un point donné.
« Il y a plusieurs courbes de Véronèse, soit une dans chaque dimension, allant d’une dimension jusqu’à l’infini. Ce sont des courbes qui ont beaucoup de symétrie, plus de ce à quoi on s’attendrait. » Par exemple, une sphère a trois dimensions de symétrie, car on peut tourner autour de trois axes perpendiculaires. Le cœur a aussi trois dimensions de symétrie : « La différence est que ce ne sont pas des symétries perceptibles pour nos yeux à nous. Contrairement à des symétries euclidiennes à trois dimensions, celles de la courbe de Véronèse vivent dans le groupe symplectique, un sous-ensemble de symétries à dix dimensions. »
Cette session-ci, six étudiants au baccalauréat en mathématiques se sont joints au Laboratoire de géométrie expérimentale de l’Université de Sherbrooke sous la supervision du professeur Burelle. Lors de leurs rencontres hebdomadaires, il leur montre comment programmer des images pour en faire des mathématiques de niveau de recherche, ce qui est une opportunité unique pour les étudiants qui souhaitent poursuivre une carrière en recherche.
« Voir » les mathématiques pour optimiser le cycle de recherche
Les images mathématiques servent avant tout aux chercheurs : « Grâce aux ordinateurs et aux puissances de calculs, on peut faire des dessins, comme l’image du cœur, qui ne seraient pas évidents à dessiner à la main. » Cela aide aux chercheurs à déterminer quelles propriétés sont satisfaites par quels objets, qu’on peut ensuite tenter de démontrer par un argument formel. « Avec les visualisations en mathématiques, il est plus facile de savoir quoi démontrer, et cela contribue à rendre le cycle de recherche plus efficace. » Pour tout dire, il est impressionnant de voir de belles images produites grâce à des mathématiques avancées et la manière dont celles-ci contribuent à voir les mathématiques sous un autre angle.
Sur les recherches du professeur Jean-Philippe Burelle
C’est l’été dernier que le Département de mathématiques de l’Université de Sherbrooke accueille le professeur Burelle. Ses thèmes de recherche incluent les sous-groupes discrets des groupes de Lie, la théorie de Teichmüller en rang supérieur et les structures géométriques localement homogènes. La courbe de Véronèse et ses symétries permettent de construire des exemples intéressants de sous-groupes par déformation.