Une recherche de l’UdeS et Héma-Québec permettra d'assouplir les critères de dons de sang de certains groupes à risque
Fruit de l’expertise combinée du Département de mathématiques de l’Université de Sherbrooke et d’Héma-Québec, de nouvelles données probantes pourraient contribuer à l’assouplissement des critères permettant à certains groupes de donner du sang, dont les hommes ayant eu des relations sexuelles avec d’autres hommes, une clientèle assujettie à des restrictions contraignantes. Une première publication dans la revue scientifique Vox Sanguinis fait état d’une première phase de ce projet débuté il y a plus de deux ans.
À la suite de l’émergence du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) dans les années 1980, des critères d’exclusion de dons de sang ont été instaurés pour certains groupes considérés davantage comme à risque de contracter le virus, dont les hommes ayant eu des relations sexuelles avec d’autres hommes.
Le VIH : mieux détectable et moins pathogène
Dans les dernières années, considérant les avancées en ce qui concerne la sensibilité des tests de dépistage du VIH dans les produits sanguins, le critère d’exclusion chez Héma-Québec a été ajusté à trois mois suivant la dernière relation sexuelle avec un autre homme.
Trois mois depuis la dernière relation sexuelle : c’est le critère jugé sécuritaire que doivent respecter les hommes ayant relations sexuelles avec d'autres hommes pour pouvoir donner du sang au Québec.
Or, en plus de la sensibilité améliorée des tests de dépistage, des technologies de réduction des pathogènes ont fait leur apparition. Ces procédés permettent de réduire la concentration du virus dans les produits sanguins destinés à la transfusion. Ils sont entre autres appliqués sur les lots de plasma destinés au fractionnement, un processus permettant de créer des médicaments à partir d’un mélange de plusieurs dons de plasma.
À ce jour, aucune étude n’a pris en considération l’apparition des technologies de réduction des pathogènes du VIH dans l’évaluation du risque associé au don de sang chez les hommes ayant eu des relations sexuelles avec d’autres hommes.
Le professeur Félix Camirand Lemyre, de l’Université de Sherbrooke, et Eliana Aubé, étudiante à la maîtrise en mathématiques, se sont alliés à Héma-Québec pour réaliser une étude de risque. Celle-ci avait pour objectif d’évaluer le potentiel d’accueillir des donneurs de sang présentant un niveau de risque moins élevé parmi des groupes actuellement visés par une interdiction, dont les hommes ayant eu des relations sexuelles avec d’autres hommes, tout en garantissant une sécurité dans les produits sanguins.
Ce qui est particulier, lorsqu’on fait des études de risque de ce genre, c’est qu’on ne peut pas fonctionner comme dans les études cliniques traditionnelles. Dans ces dernières, lorsqu’on veut étudier une intervention ou un changement dans un protocole de traitement, on étudie un groupe qui ne reçoit pas le nouveau traitement et un groupe qui le reçoit, et on compare les deux groupes. Dans le cas des dons de sang, il est impossible de procéder ainsi, pour des questions d’éthique et de logistique. Donc, la science se tourne vers les études de modélisation.
Professeur Félix Camirand Lemyre
Simuler mathématiquement l’innocuité des dons de plasma
La faible quantité de données disponibles pour déterminer le risque de contamination par des individus du groupe cible représentait effectivement un obstacle majeur pour démarrer le projet. Pour y arriver, l’équipe a donc simulé des dons de plasma de 750 ml afin de composer jusqu’à 300 000 lots de plasma fictifs, contenant chacun de 4000 à 6000 litres de ce composant sanguin.
Pour amorcer la simulation, chacun des donneurs fictifs se voyait attribuer un profil déterminant ultimement la quantité de virus présente dans son don de plasma. Il fallait d’abord spécifier son âge, suivi de son sexe, de son inclusion parmi le groupe cible (hommes ayant eu des relations sexuelles avec d’autres hommes), de son statut de donneur (nouveau ou connu), puis d’autres caractéristiques essentielles, dont son statut infectieux (infecté ou non). L’ordre des variables simulées dans le profil n’était pas établi au hasard : l’équipe a déterminé les liens entre ces variables afin de simuler chaque caractéristique en fonction des données qu’on retrouve dans la réalité. Par exemple, comme la proportion de personnes infectées s’avère différente chez les nouveaux donneurs comparativement aux donneurs connus, il fallait d’abord simuler le statut du donneur.
Une fois le profil du donneur établi, une charge virale lui était attribuée. S’ensuivait la simulation du test de dépistage. Si le dépistage s’avérait négatif, le don était inclus dans un lot de plasma. Or, dans la vraie vie, certains dons contiennent une faible quantité de virus tout de même hasardeuse, mais se situant sous la limite de détection du test. Cette réalité était bien prise en compte dans la simulation. Ces dons en zone de non-détection étaient donc ajoutés dans le lot, entraînant l’accumulation d’une certaine quantité de virus. Pour compléter la simulation, il ne restait qu’à appliquer la technologie de réduction des pathogènes sur le lot de plasma pour vérifier la quantité résiduelle de virus. La conclusion : aucun des 300 000 lots ne dépassait le seuil de contamination fixé à 1 copie d’ARN du virus!
La simulation a démontré un fait fort encourageant : aucun des 300 000 lots ne dépassait le seuil de contamination fixé à 1 copie d’ARN du virus.
Enfin, pour que ces simulations permettent de justifier un changement du critère de qualification actuel au Québec, l’équipe a considéré plusieurs scénarios possibles. Ces scénarios, représentant les réalités susceptibles d’être rencontrées, faisaient entre autres varier la proportion d’hommes considérés « à plus haut risque » dans leurs comportements. Un scénario catastrophe a notamment été simulé, selon lequel tout homme atteint du VIH ayant eu des relations avec d’autres hommes irait donner du sang, de la même façon que le fait un homme non infecté appartenant au même groupe. Cette situation est une nette exagération des proportions retrouvées chez les donneurs, puisque les personnes au courant de leur infection se conforment habituellement aux restrictions de dons de sang imposées.
Même dans le pire des scénarios simulés, les quantités résiduelles du VIH étaient négligeables dans les dons de plasma.
Nos résultats suggèrent donc que le risque de contamination au VIH d’un lot de plasma demeure minime à la suite de l’abolition du critère d’exclusion pour les dons de plasma destinés au fractionnement. Cette étude est donc une nouvelle positive pour les membres du groupe visé par le critère.
Antoine Lewin, chef épidémiologie, vigie, gestion des risques biologiques chez Héma-Québec, co-auteur de l’étude.
En continuité avec ce qui a été fait pour le plasma, des technologies semblables sont en développement pour les dons de plaquettes et de globules rouges. Ainsi, les recherches se poursuivent pour étudier le risque associé à une modification du critère pour ces types de dons, toujours dans l’optique d’adopter des critères davantage inclusifs!
Cette étude a été rendue possible grâce au financement obtenu par Antoine Lewin d’Héma-Québec, issu du programme Canadian Blood Services MSM Research Grant. Cette étude s’inscrit dans un programme international plus large encadré par le Surveillance Risk assessment Policy (SRAP) subgroup de l’International Society of Blood Transfusion (ISBT) visant à évaluer les risques à la suite de l’allégement des critères de don de sang imposés aux hommes ayant eu une relation sexuelle avec un autre homme. Ce sous-groupe est constitué de spécialistes internationaux ayant une vision plus globale dans l’évaluation des risques en fonction des critères mis en place selon les banques de sang.