Mobilité durable
Se déplacer à vélo, à pied, en autobus : la réalité des femmes
C’est une route criblée de nids-de-poule qu’emprunteraient les femmes aspirant à des modes de transport plus verts, pratiques et abordables, nous apprend le travail de fin de parcours d’une étudiante à la maîtrise en environnement, aujourd’hui jeune professionnelle dans le domaine. Carrefour giratoire sans issue? Aucunement. Des solutions existent et peuvent être implantées ici même, à Sherbrooke.
Notre dépendance à l'automobile nous conduit vraisemblablement vers une catastrophe collective. Pourtant, selon la Société de l’assurance automobile du Québec, le nombre de véhicules sur nos routes a augmenté de 43 % depuis 2000. Où est-ce que ça accroche?
Pour mieux comprendre, Michael Daoust a décortiqué, dans le cadre de sa maîtrise, les obstacles qui nous empêchent de délaisser le voiturage en solo. Pour ce faire, elle s’est attardée aux différences dans les habitudes de déplacement et de transport chez les hommes et chez les femmes.
Partant de l’hypothèse que les femmes utilisent moins les transports durables, l’étudiante a découvert que la réalité n’est pas aussi contrastée. « C’est vrai que les femmes se servent moins du vélo pour leurs déplacements utilitaires, rapporte Michael. À Sherbrooke, c’est 1 femme pour 7 hommes. Mais en ce qui a trait aux transports en commun, les femmes les utilisent autant que les hommes, sinon plus. »
Le vrai problème serait les infrastructures et les services, qui sont mal adaptés aux besoins des usagères, tant pour le transport actif (marche et vélo) que pour les transports en commun (autobus et covoiturage). Cela fait en sorte que le voiturage en solo demeure un choix plus logique pour elles au quotidien.
Sentiment d’insécurité
« Par exemple, le sentiment d’insécurité est très répandu, explique l’étudiante. Devoir changer de trajet pour éviter de passer sur une rue mal éclairée, beaucoup de femmes font ça. Ou encore, décider à la dernière minute de prendre un taxi au lieu de marcher pour éviter une situation potentielle de harcèlement. En fin de compte, ces femmes rallongent leur temps de déplacement et se retrouvent avec des dépenses imprévues. »
La situation serait d’autant plus préoccupante pour les femmes appartenant à des groupes marginalisés, comme la communauté LGBTQ, les Autochtones et les personnes en situation de handicap. « Les femmes qui ne correspondent pas aux standards de la société se font harceler encore plus », précise la jeune professionnelle.
Les services de covoiturage posent eux aussi des enjeux de sécurité : l’idée de se retrouver dans le véhicule d’un parfait inconnu ajoute un stress que beaucoup de femmes ne sont pas prêtes à s’imposer.
Le vélo est lui aussi associé à un manque de sécurité chez les femmes, mais cette fois, en raison de l’éducation reçue et des infrastructures en place : « C’est une peur qui vient de la socialisation genrée, laquelle dévalorise notamment la prise de risque. Par conséquent, les femmes se sentiront moins aptes à, par exemple, pédaler en bordure d'une route ou monter une côte abrupte. »
Plus cher, plus compliqué
À cela s’ajoutent des horaires et des itinéraires de transport en commun qui ne conviennent pas du tout à leur réalité.
La plupart des femmes ont une double charge de travail, soit celle liée à leur emploi régulier et celle liée à la sphère familiale : faire les courses, transporter les enfants, s’occuper d’un proche âgé, etc. Elles ont donc des déplacements plus complexes. On le voit à Sherbrooke, les trajets d’autobus sont souvent linéaires en partant du point A pour se rendre au point B, alors que les femmes font des déplacements étoilés sur de plus petites distances, avec de nombreux arrêts pour répondre aux besoins qui viennent avec cette double charge de travail.
Au bout du compte, le transport en commun entraîne une plus grande dépense pour les femmes, ce qu’on appelle la « taxe rose », une situation d'autant plus déplorable qu’elles sont plus nombreuses à travailler à temps partiel et à vivre dans une situation financière plus précaire que les hommes.
Des solutions d’ailleurs applicables ici
On n’a qu’à jeter un coup d’œil du côté de Copenhague, au Danemark, pour constater que la mobilité durable, une fois bien implantée, profite à toute la collectivité. « Un haut taux de cyclisme est remarqué au Danemark, peut-on lire dans l’essai de l’étudiante. Cela ne fait pas exception chez les enfants, les femmes et les personnes âgées. Dans ce pays, une place importante est accordée à la sécurité. »
C’est donc dire qu’améliorer les conditions de mobilité durable au féminin, c’est bon pour toute la collectivité. « Rendre les pistes cyclables plus sécuritaires ne profiterait pas seulement aux femmes, mais à tout le monde! », se réjouit Michael.
À ce titre, pourquoi ne pas adopter une politique de déneigement féministe, comme à Stockholm, en Suède, où l’on déneige en priorité les artères les plus utilisées par les femmes, comme les trottoirs, au lieu des rues? « En Suède, cette mesure est bénéfique non seulement aux femmes, mais aussi au système de santé, car moins de gens se présentent désormais aux urgences pour soigner des blessures causées par des chutes sur les trottoirs enneigés ou glacés. Les retombées sont aussi économiques, puisque les coûts liés aux chutes dépassaient les coûts engendrés par la voirie! »
L’Europe est aussi un modèle à suivre en ce qui a trait au covoiturage. « En France, il y a le service BlaBlaCar, qui permet aux membres d’avoir accès au nom de la personne qui offre ses services, à sa photo et aux commentaires des autres usagers. C’est rassurant pour une femme de savoir à qui elle a affaire. »
Consulter et entendre les femmes
Ajouter des éléments physiques, comme des terre-pleins, entre les rues et les pistes cyclables figure aussi parmi les solutions proposées, tout comme revoir les horaires, les itinéraires et la tarification du transport en commun, ou mettre en place un système permettant d’obtenir rapidement du secours en cas d’agression.
« Ce serait bien aussi si les employeurs prévoyaient des mesures incitatives, comme de mettre des douches, des casiers et des supports à vélo à la disposition des membres du personnel qui pédalent jusqu’au travail. »
Or pour l’étudiante, l’ingrédient le plus important pour améliorer la mobilité durable au féminin, c’est d’inclure les femmes dans les prises de décision. « Et il faut comprendre la réalité de toutes les femmes : à faible revenu, issues de l’immigration, etc., insiste Michael. C’est tellement plus facile d’expliquer les enjeux quand tu les vis toi-même! »
Avec une nouvelle mairesse à la tête de la ville de Sherbrooke, qui développera un plan de mobilité durable intégré d’ici 2025, c’est assurément un pas dans la bonne direction.