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Pour développer l’intérêt des jeunes envers les sciences et la technologie

La démarche scientifique vaut mieux que l’expérimentation ponctuelle

Le professeur Abdelkrim Hasni

Le professeur Abdelkrim Hasni


Photo : Michel Caron

On garde tous un souvenir plus ou moins singulier du moment où, à l’école secondaire, le prof de biologie nous invitait à empoigner un scalpel et à disséquer un batracien pour en découvrir l’anatomie. Plus tard, dans le labo de chimie, on combinait des composés dans un bécher pour former un précipité. Alors que plusieurs études montrent un certain désintérêt chez les élèves pour les domaines scientifiques, plusieurs personnes croient que c’est par l’expérience directe – l’approche hands on  que l’on arrive à semer le germe des études et d’une carrière scientifique. Or, et sans nier son utilité, cette approche n’est pas la meilleure, observe Abdelkrim Hasni, professeur à la Faculté d’éducation et titulaire de la Chaire de recherche sur l’intérêt des jeunes à l’égard des sciences et de la technologie (CRIJEST), avec son collègue Patrice Potvin, de l’UQAM. Ceux-ci mènent différentes recherches sur les facteurs et les pratiques gagnantes qui contribuent à renforcer l’intérêt des élèves vers ces domaines et du rôle que l’école peut jouer pour y arriver. Et ils constatent, sur la base de l’analyse des recherches internationales et sur leur propre enquête menée auprès de jeunes Québécois, que la participation à des démarches scientifiques de longue haleine a des effets plus durables auprès des élèves.

«Ce qui semble avoir un effet très fort sur l’intérêt des jeunes, c’est lorsque les élèves disent participer à l’élaboration du problème de recherche, puis à l’élaboration du protocole, au choix du matériel, qu’ils posent des hypothèses.»

L’appel de la démarche scientifique

La question du plafonnement de l’intérêt envers les sciences et la technologie se pose un peu partout dans les pays industrialisés, dit le professeur Hasni, et plusieurs facteurs socioculturels extérieurs à l’école interviennent dans le phénomène. Toutefois, les chercheurs de la CRIJEST concentrent leurs travaux dans la perspective scolaire.

«On a peu de prise sur les facteurs externes, alors on veut savoir plus spécifiquement ce que l’école fait et ce qu’elle peut faire. C’est pourquoi une partie de nos travaux vise à mener des enquêtes, associées ou non à des interventions ciblées, auprès d’élèves québécois, et aussi auprès des partenaires scolaires : les enseignants, les conseillers d’orientation, les parents et les directions d’école. Puisque le phénomène n’est pas exclusif au Québec, on a aussi fait une recension de quelque 128 recherches publiées dans le monde afin de dégager les pratiques qui semblent avoir des retombées positives», résume Abdelkrim Hasni.

Ainsi, pour ce spécialiste de la didactique des sciences, les interventions pédagogiques sont fondamentales. Par exemple, il constate une très grande corrélation chez les élèves qui disent avoir fait beaucoup de recherches en classe et qui démontrent un intérêt élevé pour les sciences et la technologie, avec l’intention de poursuivre des études dans ce domaine.

«On ne parle pas ici simplement des expérimentations de type hands on, dit le chercheur. Ce genre d’expérience a relativement peu d’impact et il semble y avoir peu de différence entre l’élève qui réalise une expérience, ou le fait de voir le prof réaliser la même expérience devant la classe. Par contre, ce qui semble avoir un effet très fort sur l’intérêt des jeunes, c’est lorsque les élèves disent participer à l’élaboration du problème de recherche, puis à l’élaboration du protocole, au choix du matériel, qu’ils posent des hypothèses; bref, quand ils s’engagent dans toute la dimension intellectuelle de la démarche scientifique.»

Ce constat émane notamment d’une étude longitudinale menée auprès de 1777 élèves québécois, ainsi que d’une revue de la littérature internationale.

En revanche, il apparaît assez clairement que les élèves sont peu enclins à développer l’intérêt pour la science quand la pédagogie se limite à faire des exercices, à lire des manuels ou à entendre l’enseignant donner un cours magistral.

En plus de mener des recherches, la CRIJEST s’est adjoint une communauté de pratique qui comprend une cinquantaine de personnes – dont des enseignants et des conseillers pédagogiques – en vue d’expérimenter sur le terrain des approches innovantes ou qui ont fait leur preuve en enseignement des sciences et technologie. Cette approche vise à faire le pont entre les chercheurs et les personnes qui côtoient les élèves dans des classes.

«Cela permet d’expérimenter et de valider certaines façons de faire dans des conditions de pratique réelle, soumises à certains facteurs hors de notre contrôle, explique le professeur. Plutôt que de chercher à réunir des conditions optimales qui seraient ensuite difficiles à reproduire dans d’autres milieux, nous avons privilégié une approche de recherche qui se veut "écologique", où toute une série de facteurs influencent la dynamique de la classe, et les effets d’une intervention.»

Les chercheurs ont aussi l’intention d’essayer de trouver des enseignants qui semblent avoir instauré des «pratiques gagnantes» pour stimuler l’intérêt de leurs élèves. Ils souhaitent observer ces pédagogues et tenter de dégager des éléments de leur pratique qui peuvent être reproduits ailleurs.

Quelle place pour les sciences?

Pour Abdelkrim Hasni, il existe un certain décalage entre le discours public qui souligne constamment l’importance de l’innovation dans l’économie du savoir et l’offre de l’école en ce qui concerne les sciences et technologies.

«Malgré ce discours, le programme des écoles ne semble pas répondre aux mêmes priorités, dit-il. Au primaire, les cours de sciences n’ont pas une place très importante. Quand les jeunes arrivent au secondaire, on leur dit qu’il est important de suivre les cours de sciences. Mais il y a des lacunes dans la façon d’aborder cette discipline pour la contextualiser et lui donner du sens avec la vie hors de l’école. On enseigne les sciences avec les manuels dans l’objectif de réussir les examens. Mais selon nos sondages, peu d’élèves voient un lien entre l’apprentissage des sciences et la vie à l’extérieur de l’école, et ils sont moins de la moitié à dire vouloir suivre des études en sciences et technologie ou à faire un métier dans le domaine.»

Sans être pessimiste, le professeur Hasni se désole de voir un certain écart se creuser entre une culture scientifique limitée d’une bonne partie de la population et les enjeux auxquels la société sera appelée à faire face. «Ce n’est pas nécessairement une catastrophe, mais quand on voit arriver – par exemple – des enjeux législatifs sur les cellules souches ou des projets de construction de barrage sur les rivières, chaque citoyen devrait avoir assez de culture scientifique pour prendre part aux débats et faire des choix éclairés.»

Il croit aussi que l’école a un rôle à jouer pour rendre la science plus accessible et déconstruire le mythe selon lequel la chose scientifique n’est pas à la portée de tous. «On peut traiter d’un phénomène de manière simple et compréhensible au lieu de commencer par les formules complexes, dit-il. Ça a pris des siècles aux humains pour arriver à ce niveau d’abstraction, et souvent, en classe, on commence avec des formules souvent incompréhensibles pour les élèves. Ce n’est sans doute pas le meilleur moyen de montrer que le domaine est accessible à tous.»


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