Amoindrir l’anxiété de séparation
Le congé de maternité : prélude bénéfique à la santé mentale de l’enfant
Bien que la prise d’un congé de maternité puisse entraîner une diminution substantielle du revenu pendant la période du congé, une récente étude publiée dans une revue américaine par la professeure Gabrielle Garon-Carrier montre que se prévaloir de ce congé serait bien loin de constituer un revers de fortune.
L’étude conclut que la prise d’un congé de maternité atténuerait de manière significative le risque de développer un problème d’anxiété de séparation pendant la petite enfance. À l’inverse, les enfants dont les mères sont retournées au travail dans les 5 mois suivant la naissance de leur enfant auraient un niveau d’anxiété de séparation significativement plus élevé que les autres.
Trois grands groupes ont été sondés dans le cadre de cette recherche, soit les mères qui, 5 mois après la naissance de leur enfant, étaient 1) en congé de maternité et n’étaient pas en situation de précarité financière, 2) étaient à la fois en en congé de maternité et en situation de précarité économique et, 3) étaient retournées au travail.
Les résultats montrent qu’entre l’âge de 17 mois à 6 ans, les enfants de mères qui étaient en congé de maternité lorsque ces derniers étaient âgés de 5 mois avaient un niveau d’anxiété de séparation moins élevé que ceux des mères qui étaient retournées sur le marché du travail, et ce, même si la famille éprouvait temporairement des difficultés financières en raison de l’absence d’un salaire à temps complet.
Une conclusion qui a agréablement surpris la chercheuse au Département de psychoéducation de la Faculté d’éducation, également titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la préparation à l’école, l’inclusion des populations vulnérables et l’adaptation sociale :
J’ai été très étonnée de constater que pour les mères en situation de précarité financière, le congé de maternité était plus bénéfique pour le bien-être et la santé mentale de l’enfant que de retourner sur le marché du travail.
Professeure Gabrielle Garon-Carrier
La professeure avait plutôt l’impression que la situation financière de la famille lors de cette période cruciale du développement de l’enfant, et le stress qui accompagne souvent les parents en situation de difficultés financières, seraient davantage associés au niveau d’anxiété de séparation de l’enfant que l’emploi du temps de la mère.
Cependant, les impressions de la professeure Garon-Carrier n’était pas entièrement fausses. Les résultats de cette étude ont permis de démontrer qu’un retour précoce de la mère au travail est préférable pour favoriser la santé mentale de l’enfant dans les cas où les familles sont en situation d’insécurité financière chronique. C’est seulement lorsque les difficultés financières sont temporaires que la prise d’un congé de maternité demeurerait favorable pour le niveau d’anxiété de séparation de l’enfant.
Dans tous les cas, ce sont les enfants de mères qui étaient en congé de maternité et qui n’éprouvaient pas de difficultés financières qui avaient le plus faible niveau d’anxiété de séparation à la petite enfance.
Des iniquités sociales compromettantes
Gabrielle Garon-Carrier souligne que le stress engendré par les difficultés pécuniaires chroniques, tout comme celui lié au fait de travailler dans les 5 premiers mois suivant la naissance du bébé, accentue le risque d’anxiété de séparation pendant la petite enfance.
Un minimum de congés payés garantis, qui permettrait d’éviter la précarité financière à long terme de certaines familles et de retourner au travail dans les 5 mois suivant la naissance de l’enfant, pourrait contribuer à améliorer la santé mentale des enfants.
Au Québec, le régime québécois d’assurance parentale assure une compensation financière pour la perte de revenu associée à la cessation d’emploi. La professeure précise toutefois que ce ne sont pas tous les pays qui offrent une telle couverture. Elle rappelle qu’aux États-Unis par exemple, où l’étude a été publiée, les familles ont droit à un congé parental non rémunéré d’une durée de 12 semaines.
Dans ces circonstances, disposer d’un financement adéquat et prendre un plus long congé avec le bébé semble le plus optimal pour diminuer le risque associé au développement de l’anxiété de séparation pendant la petite enfance. C’est ce que notre étude vient de démontrer.
Professeure Gabrielle Garon-Carrier
Qu’est-ce que l’anxiété de séparation?
Les symptômes d’anxiété de séparation sont normaux dans le développement de l’enfant. La forte peur qu’éprouve un enfant d’être séparé de la personne avec qui il a créé un attachement sécurisant se manifeste généralement entre 6 et 12 mois, et culmine vers l’âge de 3 ans, pour ensuite s’amenuiser à mesure que l’enfant se développe. Dans certains cas, l’anxiété de séparation peut devenir pathologique si, vers l’âge de 6 ans, les symptômes persistent toujours de façon très prononcée. L’anxiété de séparation serait d’ailleurs le trouble anxieux le plus fréquemment diagnostiqué chez les enfants de moins de 12 ans.
Allier économie, sociologie et psychologie développementale
Selon Gabrielle Garon-Carrier, qui signe l’article en compagnie de la professeure Caroline Fitzpatrick, du Département de l’enseignement au préscolaire et au primaire de la Faculté d’éducation, d’une professeure de l’Université Western Ontario et d’un autre professeur de l’Université d’État de l’Ohio aux États-Unis, il s’agirait de la première étude à mesurer le niveau d’anxiété de séparation selon la participation des mères sur le marché du travail (retour au travail versus congé de maternité) et la situation financière des familles.
Alors que la littérature scientifique dans ce domaine se centre sur les aspects économiques liés au retour des femmes sur le marché du travail, la professeure constatait un manque de connaissances important quant aux retombées sur le bien-être de l’enfant :
En situation de précarité financière lors de la première année de vie du bébé, qu’est-ce qui est mieux pour l’enfant : que la mère s’occupe de son bébé ou qu’elle retourne au travail?
Professeure Gabrielle Garon-Carrier
Avec sa lunette de chercheuse en psychologie développementale, c’est ce qu’elle a tenté d’éclaircir à travers cette étude, à laquelle 1295 familles québécoises ont participé.
Avant d’obtenir son poste de professeure, Gabrielle Garon-Carrier a d’ailleurs travaillé quelques années pour le gouvernement fédéral, où elle menait des recherches sur les retombées de politiques sociales qui s’adressent aux familles canadiennes ayant de jeunes enfants, comme les services éducatifs à l’enfance, par exemple. De fil en aiguille, elle s’est intéressée à l’impact de certaines politiques phares au Québec, dans le cadre de sa programmation de recherche.
Vers des résultats encore plus complets
Alors que l’Institut de la statistique du Québec vient tout juste de lancer une nouvelle étude longitudinale qui permettra de suivre 4000 familles pendant les 20 prochaines années, la professeure Garon-Carrier a récemment obtenu un financement du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada pour poursuivre ses recherches dans le cadre de cette étude longitudinale. Grâce à un partenariat établi avec le régime québécois d’assurance parentale, elle pourra compter sur de nouvelles données pour documenter de manière plus exhaustive l’impact des congés parentaux sur les dynamiques familiales et le développement cognitif et social de l’enfant.