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20 ans d’études de la neige sur 4000 km

Professeur Alain Royer en Arctique
Professeur Alain Royer en Arctique

Photo : fournie

Il est difficile de croire que la crise du COVID-19 puisse parfois avoir des retombées positives. C’est pourtant ce qui est arrivé dans cette histoire. Au début du premier confinement en février 2020, alors que notre « terrain de jeu » hivernal, le Nord, se ferme et que nous sommes tous coincés chez nous, j’ai entrepris de rassembler tout ce que nous avions récolté comme données sur la neige depuis 20 ans, avec mes collègues nivologues Pr Florent Dominé de l’Université Laval, Pr Alexandre Langlois de l’Université de Sherbrooke et Alexandre Roy de l’UQTR. Ce fut une année de « deep searching » dans nos archives, une recherche plutôt fastidieuse, mais finalement très probante.

Base de données unique

Ces 20 ans de mesures des propriétés physiques de la neige ont permis de rassembler une base de données unique, résultats de 25 campagnes de terrain sur près de 45 sites différents répartis le long d’un transect sud-nord de 4 000 km, de la Mauricie (47°N) à l’extrême nord du Canada Ward Hunt (83°N) au Nord-Est du Canada. Cela représente approximativement 200 tonnes de neige creusée !

Deux résultats très intéressants ressortent de cette étude qui vient d’être publiée dans le journal Écoscience [1], numéro spécial réalisé pour le 60e anniversaire du Centre d’études nordiques auquel nous sommes rattachés. On y montre explicitement que la neige que l’on croit uniquement définie par le climat est, en fait, aussi fortement liée au couvert végétal. En particulier, les arbustes qui envahissent le Nord sous l’effet du réchauffement climatique modifient la microstructure des couches basales du manteau neigeux en favorisant le développement du « givre de profondeur », aux grains de neige parfois énormes de plus de 1 cm. Ces couches de fond de faible densité contribuent à augmenter significativement les propriétés d’isolation thermique du manteau et donc à réchauffer le sol.

Nouvelle classification des types de neige

Ces résultats nous mènent aussi à proposer une nouvelle classification actualisée des types de neige en trois classes : neige de forêt boréale (47-58°N), neige de toundra (58-74°N) et neige du désert polaire (74-83°N); classification distincte de celle utilisée depuis 25 ans par la communauté des sciences de la cryosphère. Dans le contexte du « verdissement du Nord », très bien caractérisé par satellite (Figure 1), cette analyse suggère que ces interactions neige-végétation pourraient accentuer les rétroactions de la neige sur le réchauffement nordique, notamment accélérer le dégel du pergélisol dans l’Arctique.

Figure 1. Évolution de l’indice spectral normalisé de végétation (NDVI) sur le transect étudié au Nord-Est du Canada (en pourcentage par décennie) dérivée des images satellites.

Figure 1. Évolution de l’indice spectral normalisé de végétation (NDVI) sur le transect étudié au Nord-Est du Canada (en pourcentage par décennie) dérivée des images satellites.

Comme le montre la Figure 1, à partir d’une des plus longues séries d’images satellites existantes avec le capteur AVHRR (NASA Global Inventory Modeling and Mapping Studies dataset from AVHRR : GIMMS3gv1, 1982 à 2016), il est possible de suivre sur 35 ans l’évolution de la végétation terrestre avec ce fameux « NDVI » (Normalized Difference Vegetation Index). Malgré une forte variabilité régionale sur le pourtour circumpolaire, les résultats de cette évolution montrent une tendance au « verdissement » spectral nettement prédominante comparée à celle du « brunissement spectral » dérivé de cet indice satellite. On observe respectivement une augmentation de 42 % de végétation (12,8 % pour l’Arctique et 29,1 en zone boréale >45°N) par rapport à 2,5 % (0,8 % Arctique et 1,7 % en zone boréale) d’augmentation de sol nu, sur la période étudiée [Park, T. et al. Changes in growing season duration and productivity of northern vegetation inferred from long-term remote sensing data. Environ. Res. Lett. 11, 084001 (2016)]. Le point WH indique la position de la station de recherche Ward Hunt, à 83°N, le point le plus nordique du Canada, entretenue par le Centre d’études nordiques.

Plusieurs générations d’étudiantes et d’étudiants ont été impliquées dans cette collecte de données, parfois dans des conditions climatiques extrêmes! Nous, les co-auteurs de cet article, leur en sommes très reconnaissants.

Le professeur Alain Royer est membre du Centre d'applications et de recherches en télédétection (CARTEL) de l'Université de Sherbrooke et du Centre d'études nordiques de l'Université Laval.

[1] Royer A., F. Dominé, A. Roy, A. Langlois, N. Marchand and G. Davesne (2021). New northern snowpack classification linked to vegetation cover on a latitudinal mega-transect across Northeastern Canada. Écoscience, sous presse (ID 201250865).