Géomatique de la santé
Mieux soigné en ville, vraiment?
C'est un fait connu : les habitants des régions métropolitaines ont généralement un meilleur accès aux soins de santé. Sont-ils mieux soignés pour autant? Rien n'est moins sûr, selon le professeur Alain Vanasse.
Chercheur et médecin de famille expérimenté, Alain Vanasse dirige le Groupe de recherche interdisciplinaire en géomatique de la santé de l'UdeS (PRIMUS). Au terme d'une étude publiée récemment dans le magazine Rural and Remote Health, son équipe n'a dénoté aucune différence significative dans les traitements prescrits, la morbidité ou la mortalité chez les patients atteints de maladies chroniques telles que l'athérosclérose, l'ostéoporose et le diabète. Et ce, que les patients proviennent des villes ou des régions rurales.
Voir et comprendre les inégalités
Fondé en 1999, PRIMUS regroupe des chercheuses et chercheurs des domaines de la médecine et de la géomatique mais aussi de l'épidémiologie, des mathématiques, de l'écologie et de l'informatique. Précurseur en géomatique de la santé, PRIMUS mène des projets sur les inégalités sociales et géographiques qui affectent les personnes atteintes de maladies chroniques ou mentales.
La plus grande contribution du groupe est certainement le Système d'information spatiotemporel sur les maladies chroniques, aussi appelé Atlas interactif. Parmi les plus sophistiqués dans le monde, ce système peut se révéler très utile pour procurer rapidement une information basée sur des données empiriques.
Il attire actuellement l'attention des décideurs du domaine de la santé au Québec. Un gestionnaire désire connaître le taux de diabète chez les femmes de plus de 40 ans dans la région du Bas-Saint-Laurent? L'Atlas fournit des réponses sous forme de cartes, de tableaux ou de graphiques, selon les découpages géographiques et populationnels demandés.
Patients des villes ou des campagnes
Par ses travaux dont ceux qui ont fait l'objet de la récente publication, Alain Vanasse entend promouvoir une approche intégrée des maladies chroniques. «Trop peu de recherches interrogent le comportement des maladies dans la société, en regard par exemple des processus de soins dispensés, des spécialistes consultés, des infrastructures de santé utilisés dans l'environnement sociogéographique des patients», déplore le chercheur.
La question est d'autant plus importante qu'il est démontré que les populations rurales sont socio-économiquement désavantagées par rapport aux villes, et que le statut socioéconomique a un impact sur l'état de santé des populations. Le Québec, d'ailleurs, est particulièrement préoccupé par l'accès aux soins de santé des citoyens ruraux. Ceux-ci constituent en effet 20 % des Québécois pour 80 % du territoire habité; il s'agit d'une des populations rurales les plus importantes au monde.
Aussi, pour les besoins de recherche sur les trois maladies chroniques, l'équipe sépare la population québécoise en six groupes, selon le niveau d'urbanité des patients. Le plus haut niveau d'urbanité correspond aux quelques régions métropolitaines de plus de 100 000 habitants, tandis que le plus bas taux correspond aux agglomérations de moins de 10 000 habitants qui ne voyagent pas quotidiennement pour aller travailler dans une ville rapprochée.
L'athérosclérose, l'ostéoporose et le diabète ont été ciblés, car ce sont des maladies chroniques à forte prévalence au sein de notre population. De plus, elles ont des impacts sérieux sur la santé, et les lignes de conduite médicales pour ces maladies sont bien connues.
Principale observation : les taux d'utilisation des infrastructures de santé (hospitalisation, chirurgies, etc.) et de consultations de médecins spécialistes sont presque toujours plus faibles dans les petites villes et les régions rurales. De plus, certains services de santé apparaissent sous-utilisés dans les régions rurales, tandis qu'ils sont sur-utilisés en régions urbaines.
En ce qui concerne l'athérosclérose, par exemple, les chercheurs ont noté que si les médecins de famille sont consultés aussi souvent en ville qu'en campagne, le taux de consultation des cardiologues, lui, est nettement plus élevé en région métropolitaine. «Malgré cela, rien ne nous indique que l'état de santé des citadins s'en trouve amélioré», affirme Alain Vanasse.
Curieusement, les chercheurs ont aussi remarqué qu'à la suite d'un infarctus du myocarde, il n'y a pas plus de mortalité en région rurale. Ce qu'il faut savoir, en revanche, c'est que les données utilisées par PRIMUS proviennent de patients hospitalisés. Or, lorsqu'on habite loin de l'hôpital, il y a davantage de risque de mourir avant d'être admis. «Les données à partir desquelles nous avons travaillé proviennent-elles de patients dont l'état de santé est comparable entre les différentes régions? Impossible de le savoir», dit le chercheur.
«Nos travaux soulèvent souvent plus de questions qu'ils n'apportent de réponses», avoue le médecin de famille qui a constaté, par sa pratique, des inégalités sociales aux quatre coins du globe. Il souhaite désormais approfondir son travail et entraîne le groupe PRIMUS dans un virage important.
Vers une approche systémique
Avec la professeure Mélanie Levasseur, de l'École de réadaptation de l'UdeS, le groupe étudiera les interactions entre la participation sociale des aînés et des variables climatiques, géographiques et sociales. L'implication sociale des aînés ou, au contraire, leur isolement, sont en partie déterminés par leur état de santé et l'environnement physique ou bâti dans lequel ils évoluent. Le sexe, la distance entre la maison et le marché ou encore l'état des trottoirs pendant l'hiver constituent tous des facteurs qui influencent de près ou de loin l'implication sociale des aînés.
Ce projet, qui nécessite de nombreuses prises de mesures sur le terrain, a fait l'objet d'une importante demande de subvention et pourrait se dérouler dans trois régions pilotes : Saint-Jean au Nouveau-Brunswick, Adélaide en Australie, sans oublier Sherbrooke.
«L'approche sera davantage systémique, ce qui aura pour effet de complexifier les informations à traiter, signale le directeur de PRIMUS. Les défis méthodologiques sont importants, mais c'est un chantier que nous devons attaquer pour apporter un éclairage supplémentaire aux inégalités sociales que nous observons.»