Nouveau Guide de rédaction inclusive
Neutraliser l’exclusion sur le terrain de la langue
Miroir de notre société, la langue se révèle l'un des terrains sur lesquels lutter contre l'exclusion. Portée par les principes d’équité, de diversité et d’inclusion pour l’ensemble de sa communauté universitaire, l’UdeS prône l’utilisation de la rédaction inclusive dans ses communications. C’est dans cette perspective qu’elle a révisé son guide de rédaction épicène, de manière à mieux représenter les membres de sa communauté sans biais, discrimination ou préjugé.
L’institution disposait déjà depuis 2008 d’un Guide relatif à la rédaction épicène : respect des genres masculin et féminin, afin d’assurer une représentation équitable des femmes et des hommes dans ses écrits. Presque 15 ans plus tard, l’heure était venue de chercher à mieux prendre en compte toute la diversité de la communauté universitaire dans l’ensemble de ses communications.
Le nouveau Guide de rédaction inclusive, qui se base sur les recommandations de l’Office québécois de la langue française (OQLF), privilégie l’emploi d’une langue qui soit plus neutre et qui recourt à des formes favorisant la lisibilité des textes. Il présente différents outils et exemples pour améliorer les pratiques de rédaction inclusive, et s'adresse à toutes les personnes de l’UdeS appelées à communiquer auprès de leurs pairs.
Qu’entend-on par « écriture inclusive »?
Selon l’Office québécois de la langue française (OQLF), l’écriture inclusive désigne au Québec un type de rédaction qui « permet de s’adresser à des groupes diversifiés (pour que chaque membre s’y sente inclus), aux personnes dont on ignore le genre ou aux personnes non binaires ». Elle fait appel à la formulation neutre, notamment par l’emploi de noms collectifs ou de tournures épicènes. La rédaction inclusive cherche à éviter les mots marqués en genre, lorsqu’il est question de personnes, sans toutefois faire appel à des néologismes.
Sensibiliser à la diversité et à l’inclusion dans nos communications
La lexicographe et professeure Nadine Vincent, du Département de communication de la Faculté des lettres et sciences humaines, a collaboré à l’élaboration du Guide. Elle souligne le rôle important qu’il joue pour sensibiliser la communauté universitaire aux enjeux de diversité et d’inclusion dans ses communications.
Le Guide a une immense fonction de sensibilisation. L’idée, c’est de se rendre compte plus largement de tous les gens à qui l’on peut s’adresser. Et une fois cette sensibilité développée, il s’agit de faire de son mieux pour communiquer.
Car la professeure Vincent reconnaît qu’il est à peu près impossible de penser rédiger un texte qui puisse satisfaire tout le monde. Entre les femmes et les personnes non binaires, celles dont le français n’est pas la langue maternelle ou encore celles présentant des limitations visuelles ou des difficultés orthographiques, les paramètres sont à la fois nombreux et varient selon différents besoins.
Sans toutefois prétendre à la perfection, la rédaction inclusive est celle dont la sensibilité satisfait le plus grand nombre. « Elle est inclusive, elle a la qualité de sa dénomination, mais elle peut aussi se révéler… déshumanisante, en quelque sorte », ajoute la lexicographe. Une surabondance de termes neutres, comme le corps professoral, la direction, le personnel, peut contribuer à ne plus sentir du tout la présence humaine dans un texte.
Il ne faut pas abuser des formules neutres si l’on veut sentir la présence humaine dans un texte et se l’approprier. La solution réside dans l’équilibre. Il faut alterner entre des termes inclusifs et des termes épicènes, des doublets, etc.
Quelques éléments de lexique
Terme neutre : le neutre englobe les noms collectifs (ex. la direction, la communauté, la population, etc.) et les noms ou adjectifs épicènes.
Terme épicène : lorsque le nom ou l'adjectif peut être précédé d’un déterminant féminin ou masculin (ex. responsable, pauvre, mandataire, etc.).
Doublet : un doublet est l’ensemble formé par la répétition des emplois féminin et masculin (ex. la candidate et le candidat, les professeurs et professeures, le directeur ou la directrice, etc.).
Le point médian : symbole… d’exclusion?
Bien que de nouvelles tendances lexicales et syntaxiques se réclamant de la rédaction inclusive s’observent actuellement chez certains groupes, ces procédés ne figurent pas parmi ceux que privilégie l’UdeS dans son Guide de rédaction inclusive. L’on y proscrit en effet la panoplie de formes tronquées par l’utilisation d’un point médian, tiret, majuscule, barre oblique ou parenthèse, de même que les néologismes et néo-accords, qui ne sont d’ailleurs pas recommandés par l’Office québécois de la langue française (OQLF).
Quelques exemples de formes hachurées proscrites dans le Guide de rédaction inclusive
Étudiant(e)s; étudiant/es; étudiantEs; étudiant·e·s; étudiant.e.s, etc.
Ces usages, malgré leurs visées inclusives, évoluent rapidement et varient énormément au sein des membres d’une même communauté et d’une région à l’autre. Tout cela peut sensiblement nuire à la compréhension et à la clarté des textes.
Le point, la barre oblique… on les ajoute après quelle lettre? Ces formes tronquées, qui ne sont pas toujours uniformes, deviennent rapidement compliquées et anarchiques. Ça relève en soi d’une grammaire complexe… mais elle n’existe pas à l’heure actuelle!
Pre Nadine Vincent, lexicographe
Cette dernière indique que même si plusieurs ont l’impression que le recours à des formes télescopées constitue un raccourci efficace qui sert bien les besoins d’inclusion, il pose davantage de problèmes qu’il n’en règle. Elle évoque que ce même débat autour de formes hachurées rappelle celui qu’on a connu dans les années 1980, au Québec :
À l’époque, pour faire image, on disait qu’on ne mettait pas les femmes entre parenthèses. Ce qui est mis entre parenthèses semble toujours moins important. On remet de l’avant ces formes qu’on pense être économiques, mais qui n’atteignent pas l’objectif visé de reconnaître à l’écrit la présence des femmes, puisqu’on ajoute à la forme masculin, écrite au long, une lettre ou deux pour représenter le féminin.
L’un des problèmes, ajoute-t-elle, « c’est qu’en cherchant à satisfaire les besoins d’inclusion de certains groupes, on se trouve à en exclure d’autres. Tout ceci sans bien sûr en être consciente ou conscient ».
Des difficultés bien tangibles dont il faut tenir compte
Fraîchement diplômé de la maîtrise en travail social, Marc Robidoux est non-voyant depuis sa naissance. Pour parvenir à décoder des documents, il doit recourir à un logiciel de revue d’écran. Il explique que ce type de lecteur nomme chacun des mots par synthèse vocale, de même que les symboles et les caractères rencontrés.
L'extrait extrait audio ci-dessous, ponctué de points médians et d’espacements, témoigne de la difficulté de bien décoder le message suivant :
Plusieurs éducateur·trice·s spécialisé·e·s ont signé une tribune pour encourager d’autres professionnel·le·s comme les infirmier·ère·s, les pharmacien·ne·s, enseignant·e·s et les journalistes à donner l’exemple.
Source : Service Adaptation de l'information en médias substituts, Institut Nazareth et Louis-Braille - CISSS Montérégie-Centre
Marc confirme que ce type de texte, même s’il vise l’inclusion, devient rapidement plus lourd lorsque vient le temps de l’entendre. Il reconnaît que l’emploi de termes neutres, comme les « personnes étudiantes », permet d’inclure tout le monde de manière simple et claire.
Les formules les plus courtes sont les plus efficaces.
Originaire de la Chine, Yunwen Gai mène actuellement une maîtrise en études françaises. À son avis, l’emploi du point médian nuit véritablement à l’efficacité de lecture et pose des défis sur le plan rédactionnel :
Pour moi, la rencontre du point dans un texte correspond instantanément à une rupture de lecture. Je ne trouve pas que c’est une ponctuation appropriée pour la rédaction inclusive et neutre.
De son côté, la doctorante en littérature Francesca Caiazzo, dont la langue maternelle est l’italien, mentionne que pour être inclusive, une langue doit donner la priorité à des termes qui existent déjà, plutôt que de passer par l’apprentissage de nouvelles formes de suffixation ou de néologismes qui ne sont pas encore officiellement entrés dans l’usage.
Ce qui est inclusif, pour moi, c’est ce qui est simple, compréhensible et accessible, tout de suite.
Elle ajoute aussi que, parfois, selon le message à véhiculer, il n’est pas nécessaire de constamment ramener à l’écrit la question du genre. Elle donne pour exemple le mot neutre « lectorat », qui se focalise sur la fonction de lecture et non sur le genre de la lectrice ou du lecteur, ce qui peut davantage être pertinent, selon l’intention souhaitée.
Avancer et être à l’écoute
La professeure Nadine Vincent rappelle par ailleurs que le français, par essence, est une langue genrée, et que l’équilibre demeure fragile entre la sensibilisation à l’inclusion et la crainte de ne plus oser écrire, parce que l’on risque invariablement de blesser des personnes. Il faut éviter que la rédaction inclusive devienne à ce point obsédante qu’elle en vienne à évacuer le message.
Il y a des conversations de fond à avoir et des comportements à changer, mais une fois que tout ça sera fait, le portrait va se compléter. C’est dans l’écoute et le dialogue qu’on va avancer et évoluer vers quelque chose.
Si pour elle l’UdeS envoie un message clair de sensibilisation à l’équité et à l’inclusion avec son nouveau Guide de rédaction inclusive, il n’en demeure pas moins que « la vraie discrimination, c’est partout dans la société qu’il faut la traquer si l’on veut la voir disparaître de la langue et voir s’amorcer de véritables et profonds changements de mentalités ».