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Grande Conférence de l'UdeS

Plonger dans l'informatique quantique

Le professeur Gilles Brassard était à l'Université de Sherbrooke le 11 décembre.
Le professeur Gilles Brassard était à l'Université de Sherbrooke le 11 décembre.
Photo : Michel Caron UdeS

Alors que l'ordinateur quantique n'existait qu'en théorie, le professeur Gilles Brassard a présenté à la communauté scientifique le premier protocole de cryptographie quantique lors d'un symposium tenu en Inde, du 9 au 12 décembre 1984. Afin de souligner les 40 ans de ce jalon majeur de l'histoire de l'informatique quantique, il était l'invité de l’Université de Sherbrooke dans le cadre des Grandes Conférences.

Devant une foule de spectatrices et spectateurs attentifs réunis dans la salle Maurice-O'Bready, le réputé chercheur a présenté une conférence intitulée L'art du secret dans un monde quantique.

Comme l'a raconté Gilles Brassard à l'auditoire, son aventure de la cryptographie quantique a pris un virage inattendu au début des années 1980, alors que, jeune professeur participant à un colloque scientifique, il prenait quelques instants de détente dans les eaux bleues de la mer des Caraïbes.

Un homme, qui avait assisté à sa présentation quelques heures auparavant, l'a abordé pour lui parler de ses propres travaux. Il voulait discuter avec lui de travaux qu'il menait depuis quelques années. Cet homme, c'était Charles Bennett, un chercheur œuvrant chez IBM. Il croyait que Gilles Brassard pouvait l'aider à développer un protocole de cryptographie quantique.

« Quand nous sommes revenus sur la plage, notre premier article était pratiquement écrit », a-t-il résumé en souriant. Et quelques années plus tard, la preuve de concept était faite et présentée à la communauté scientifique sous le nom de protocole BB84 (pour Bennett Brassard 1984).

La cryptographie : une lutte ininterrompue entre codeurs et briseurs de codes

Photo : Michel Caron UdeS

Gilles Brassard s'est positionné dès le début de sa conférence : « Ce qui m'a attiré vers la cryptographie, c'est la protection de la vie privée qui, à mon avis, est un principe essentiel. Je suis du côté de la protection de la vie privée. »

De tout temps, les humains ont voulu pouvoir communiquer entre eux sans que la teneur de leurs discussions soit accessible à d'autres personnes, a rappelé le professeur de l'Université de Montréal. Et de tout temps, des personnes, que Gilles Brassard nomme les briseurs de code, ont tenté de trouver des façons de percer le mystère de ces conversations secrètes.

Poe avait raison

Évoquant tour à tour les efforts de codification de Jules César pour garder secrètes ses stratégies militaires et le talent remarquable de l'écrivain américain Edgar Allan Poe pour décoder les messages cryptés, le père de BB84 a tracé l'histoire de la cryptographie avec en tête cette affirmation de l'auteur de Double assassinat dans la rue Morgue : « Les briseurs de code gagneront toujours. »

Rappelant qu'il avait fallu plus de 300 ans aux briseurs de codes pour découvrir le secret du chiffre mis au point par le cryptologue français du XVIsiècle Blaise de Vigenère, et que le one-time pad mis au point en 1917 était encore utilisé pour les communications entre Nikita Khrouchtchev et John F. Kennedy dans les années 1960, il a cependant dû se rallier à Poe et admettre qu'aucun des codes conçus jusqu'à aujourd'hui n'a résisté aux attaques des décrypteurs.

L'art du secret dans un monde quantique

Les ordinateurs quantiques promettant une vitesse de calcul bien supérieure aux ordinateurs classiques, les calculs nécessaires pour décrypter les protocoles traditionnels pourront être réalisés rapidement et les secrets qu'ils recèlent seront révélés au grand jour.

La quantique serait donc une malédiction? Peut-être pas, a répondu Gilles Brassard à sa propre question. Si la quantique rend les protocoles de l'informatique traditionnelle caducs, c’est aussi dans cette science que pourrait se trouver la solution.

En constituant les clés de chiffrement en se basant sur la propriété qu'ont les photons d'être polarisés selon un axe déterminé et sur leur grande sensibilité aux perturbations, il est possible de “ voir ” si la communication est espionnée avant de commencer les échanges et de ne communiquer que lorsque “ la voie est libre ”.

C'est ainsi que quelques systèmes de communication fonctionnent actuellement. La Chine est aux avant-postes dans ce domaine, mais la technologie progresse en Europe et en Amérique du Nord. Cela signifie-t-il que les codeurs ont gagné et que Poe avait tort? Pas tout à fait, car Gilles Brassard croit que, comme ces clés quantiques sont protégées et quasi impossibles à percer, les briseurs de code trouveront sans doute des failles ailleurs dans les systèmes de communication. La lutte codeurs-briseurs continuera sans doute pendant encore quelques millénaires.