Portrait de Freddy Franco Morales et Santiago Pérez Bedoya
De la Colombie à Sherbrooke, une histoire d’amour qui résiste
Freddy et Santiago, les connaissez-vous? Non? Voici une version courte de leur histoire : ce sont deux étudiants mariés originaires de la Colombie, ayant vécu un parcours parsemé d’embûches, et effectuant présentement leur doctorat à la Faculté d’éducation de l’UdeS. Mais, pourquoi ne pas vous laisser tenter par la version longue?
Vous voyez, Freddy, il n’aime pas vraiment veiller tard. Lorsque ses amis l’invitent à des soirées festives, il se trouve souvent une excuse pour ne pas y aller. Par ailleurs, de temps à autre, il se force à se rendre à la fête… Comme cette fois, il y a 18 ans, quand sa décision (de dernière minute!) lui a permis de rencontrer Santiago, la personne qui deviendra son mari.
Avançons dans le temps de quelques années et retrouvons Freddy, en Colombie, en 2007, qui planifie sa maîtrise, après avoir travaillé pendant 13 ans comme enseignant. À la quête d’un pays plus « ouvert » politiquement, il souhaite venir étudier au Canada. Ainsi, il commence ses recherches pour découvrir l’université qui lui conviendra le mieux. Après une lecture rigoureuse des différentes possibilités, bingo! c’est trouvé : l’UdeS est, selon lui, le meilleur choix.
J’ai lu qu’elle avait une bonne renommée, qu’elle était bien classée dans les rangs au Canada et en général. Et il y avait des chercheuses et des chercheurs qui possédaient des expertises qui m’intéressaient. Alors, ce qui m’a fait opter pour l’Université de Sherbrooke, c’est son corps professoral et sa réputation.
Pouvez-vous patienter quelques années?
C’est donc un départ pour le Canada! Cela dit, Freddy est à peine arrivé et installé qu’il voit ses plans bousculés : il envoie une demande de parrainage afin que Santiago puisse le rejoindre, mais l’agente d’immigration juge qu’ils ne sont pas véritablement ensemble… qu’ils ne sont pas véritablement amoureux.
Selon le rapport qu’elle a écrit, Santiago, c’était uniquement un ami qui voulait venir au Canada. Et, moi, j’essayais de le faire entrer au pays. Le processus a pris sept ans et une bataille juridique.
C’est une période qui n’a vraiment pas été facile pour le couple, à la fois émotionnellement et — compte tenu de la distance — financièrement. En effet, pendant ces années, Freddy devait régulièrement prendre l’avion entre le Québec et la Colombie afin de poursuivre ses études et entretenir sa relation. Quelques mois ici, quelques mois là-bas… ça n’avait rien d’agréable. À la fin du procès, la juge s’est excusée pour l’erreur, mais ses mots ne permettront jamais aux mariés de récupérer le temps passé loin l’un de l’autre.
Quel est le nom de votre femme?
Aujourd’hui, Freddy et Santiago sont réunis depuis cinq ans à Sherbrooke et ont rarement été victimes de racisme ou d’homophobie directement. Mais ils constatent qu’ils font face régulièrement à des micro-agressions1, des commentaires d’apparence banale qui deviennent discriminatoires. Prenez, par exemple, une discussion téléphonique entre Freddy et un individu. Généralement, ce dernier présumera, lorsque le doctorant mentionne la personne avec qui il partage sa vie, qu’il parle d’une femme. En fait, il n’est pas rare que les gens lui demandent : « Quel est le nom de votre femme? »
Une question qui semble anodine, mais qui ne l’est pas; lorsqu’elle est posée à répétition et combinée à d’autres propos… elle devient dérangeante. C’est une interrogation hétéronormative, qui dépeint la relation entre un homme et une femme comme la seule norme. Ce qui fait en sorte que Freddy et Santiago se sentent moins représentés dans la société ou craignent parfois qu'ils y ont moins leur place.
Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’hétéronormativité et l’hétérosexisme sont des systèmes de croyances culturels. Les micro-agressions, dans la presque totalité des cas, sont inconscientes. J’essaie de ne pas les prendre de façon personnelle, parce que ce n’est pas le problème de la personne, c’est plutôt celui de la société. Nous devons changer la position de celle-ci en ce qui a trait à la diversité sexuelle.
Freddy
Oui, la société peut changer!
Les deux doctorants considèrent qu’il reste beaucoup de travail à accomplir. Or ce n’est pas impossible! Santiago souligne que la visibilité, notamment par l’entremise des associations et des publicités qui montrent les groupes minoritaires, joue un très grand rôle dans notre changement d’attitude.
Se sentir inclus dans les politiques, dans les programmes, dans la vie étudiante en général, ça renforce le sentiment d’appartenance. Quand je vois quelque chose de l’Université de Sherbrooke sur la diversité sexuelle ou interculturelle ou sur un autre sujet qui me touche, ça me rend fier. On remarque qu’il y a un effort.
Santiago
Pour Freddy, l’éducation est la pierre angulaire du changement : plus les gens seront informés sur la diversité, plus leur attitude sera positive. À ses yeux, l’UdeS participe à cet apprentissage.
Je ressens qu’elle est engagée et que ce n’est pas seulement pour respecter la loi. Elle veut faire avancer la justice sociale qui concerne les minorités. Je crois avoir choisi le bon endroit pour faire mes études de maîtrise, et de doctorat. Je me sens fier de l’Université de Sherbrooke.
Qui plus est, selon les deux étudiants, l’UdeS peut servir de terreau fertile à une meilleure ouverture de la société, soit en outillant davantage la communauté étudiante afin qu’elle se rende compte, entre autres, de son niveau de racisme et d’homophobie. Ainsi, lorsqu’elle sera sur le marché du travail, elle pourra, à son tour, aider les autres personnes à prendre conscience des micro-agressions qu’elles commettent dans leur quotidien.
Au moment d’écrire ces lignes, Freddy est sur le point de déposer sa thèse, et Santiago entamera sa deuxième année de doctorat. Alors, regrettent-ils leur choix? Pas du tout! À leur arrivée respective au Canada, ils considéraient faire leurs études doctorales dans une université anglophone, mais une fois leur maîtrise terminée, toutes les conditions étaient là pour qu’ils restent à l’Université de Sherbrooke. « On est bien ici, c’est très agréable », affirment Freddy et Santiago.
1.Micro-agression
Intentionnelles ou pas, les micro-agressions sont des comportements ou des propos d’apparence banale ou anecdotique envers une communauté, généralement socialement marginalisée, pouvant heurter celle-ci.