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Parution du premier tome d’une édition critique des Œuvres complètes d’Anne Hébert

L’histoire d’un passionnant casse-tête de 6000 morceaux

Patricia Godbout et Nathalie Watteyne, professeures au Département des lettres et communications de l'Université de Sherbrooke.

Patricia Godbout et Nathalie Watteyne, professeures au Département des lettres et communications de l'Université de Sherbrooke.


Photo : Michel Caron

Nathalie Watteyne, professeure de littérature moderne et de création littéraire, planche depuis une dizaine d’années, avec une équipe interuniversitaire chevronnée, sur un projet d’édition critique des Œuvres complètes d’Anne Hébert, considérées comme l’un des joyaux de la littérature québécoise. Ce travail de recherche prend son élan en février 2013 avec la parution du premier tome, Poésie, qui rassemble tous les poèmes d’Anne Hébert, dont de nombreux inédits, dans une édition établie par la professeure Watteyne, ainsi que le Dialogue sur la traduction à propos du Tombeau des rois, par la professeure Patricia Godbout.

Regard global sur la poésie d’Anne Hébert

Une édition critique propose une lecture approfondie de l’œuvre d’un auteur : on a accès à toute l’histoire entourant sa réalisation. Une telle publication rassemble et expose les transformations d’une œuvre par l’auteur et en présente les contextes de production, d’édition et de lecture.

«Nous avons l’habitude de lire Anne Hébert en pensant qu’elle a écrit de la poésie dans les années 1950, qu’elle est ensuite passée aux romans et qu’elle est revenue aux poèmes à la fin de sa vie. Or, avec l’édition critique, nous constatons que c’est faux, explique Nathalie Watteyne. Quand on met ensemble toute son œuvre poétique, incluant les textes parus dans les périodiques et les inédits, on découvre qu’elle a écrit des poèmes toute sa vie et on peut voir une autre trajectoire se dessiner. On retrouve d’ailleurs son travail poétique dans sa prose narrative avec des références et des allusions à ses propres poèmes ou à ceux des poètes qui l’ont accompagnée toute sa vie, tels Baudelaire et Rimbaud.»

Tome I - Poésie, Oeuvres complètes d'Anne Hébert
Tome I - Poésie, Oeuvres complètes d'Anne Hébert

Photo : Les Presses de l'Université de Montréal

Le tome I contient également une édition critique du Dialogue sur la traduction à propos du Tombeau des rois, qui propose une réflexion sur la traduction et la poésie de la part d’Anne Hébert et de son traducteur, Frank Scott.

«Elle est une orfèvre, elle travaille le matériau de la langue, elle en fait ressortir les sonorités, rappelle la professeure Patricia Godbout, spécialiste de la traduction et de la poésie canadienne comparée. Dans ce dialogue, Frank Scott explique à la poète qu’il ne pourra conserver ce travail avec les sons et la richesse propre à la langue française, qu’il devra trouver d’autres façons de rendre justice à son écriture. Elle sait et accepte qu’à travers cette traduction, le poème deviendra un autre poème. Ce dialogue présente bien les enjeux liés à la traduction, plus particulièrement en poésie.»

Anne Hébert en cinq tomes

Anne Hébert

Anne Hébert


Photo : © 1992 Gilbert Duclos. Tous droits réservés.

Quatre autres tomes seront publiés au cours des prochains mois aux Presses de l’Université de Montréal. Chaque tome contient environ 800 pages et a la même structure : une introduction pour rendre compte de la démarche d’écriture; une note sur l’établissement des textes; une chronologie relative à la période couverte; une notice sur le contexte d’écriture et de parution, sur les prix reçus et la réception de l’œuvre; le texte de base (dernière version parue du vivant de l’auteure) avec des notes de bas de page qui apportent des éclaircissements sur le texte; une bibliographie rassemblant tous les travaux reliés à cette œuvre, des photos et des extraits de manuscrits.

Cette édition critique n’est publiée qu’en version papier et le tirage est limité. Les tomes 2 à 4 contiendront tous les romans d’Anne Hébert et le dernier portera sur ses pièces de théâtre, ses nouvelles et ses essais brefs. Un relevé des variantes significatives des textes est également offert en version numérique.

Des milliers de documents répertoriés et analysés

Dactylographie annotée de «Acte de foi», Poèmes pour la main gauche.

Dactylographie annotée de «Acte de foi», Poèmes pour la main gauche.


Photo : Fonds Anne-Hébert de l'Université de Sherbrooke

À son arrivée à titre de directrice du Centre Anne-Hébert de l’Université de Sherbrooke en 2003, Nathalie Watteyne caressait déjà l’idée de publier une édition critique de la poésie complète d’Anne Hébert. «Après mon entrée en poste, j’ai communiqué avec diverses personnes possédant des documents d’archives concernant Anne Hébert afin de les rassembler au Centre ou au Service des archives de l’Université, dit-elle. C’est à l’occasion de cette recherche que nous avons décidé de créer une édition critique des Œuvres complètes. Christiane Bisson, la responsable du Centre, avait réuni déjà 5000 documents relatifs à son œuvre, auxquels s’ajoutent les archives privées d’Anne Hébert – manuscrits, carnets d’écriture, entrevues, photos, lettres à la famille, aux amis et aux éditeurs – et nous avons entrepris de les dépouiller, puis de les analyser pour comprendre le travail d’écriture de cette auteure et les divers liens qui unissent ses écrits. Nous avons aussi utilisé 1000 autres documents provenant de divers fonds d’archives littéraires de l’Université de Sherbrooke ou d’ailleurs, afin de donner le portrait le plus complet, et le plus juste, du dossier.»

Le Centre Anne-Hébert a été fondé en 1996 et il a pour mission de promouvoir la recherche et les études sur l’œuvre d’Anne Hébert et l’écriture au féminin. Il s’agit du seul centre dédié à un auteur québécois avec son fonds d’archives privées. Les responsables de ce centre organisent des activités telles que des colloques, des rencontres littéraires et des séminaires de recherche, et publient Les Cahiers Anne Hébert, un ensemble de textes, de communications et d’articles scientifiques concernant l’auteure. Ces Cahiers ont une portée internationale. Ainsi, le dernier numéro, qui s’intitule Regards asiatiques sur l’œuvre, rassemble des textes de professeures et professeurs coréens et japonais, qui livrent leurs lectures des écrits d’Anne Hébert.

Dans le but de soutenir cette mission, la Faculté des lettres et sciences humaines a récemment pris la décision de créer la Chaire Anne-Hébert. Cette chaire pourra encourager la réalisation et la valorisation des travaux de spécialistes mondialement reconnus (recherche, traduction, création), former des étudiantes et étudiants de tous les cycles et favoriser la créativité d’une relève de haut niveau en littérature.

Une auteure incontournable

Depuis Les songes en équilibre, son premier recueil de poèmes publié en 1942, jusqu’à Un habit de lumière, son dernier roman publié en 1999, moins d’un an avant sa mort, Anne Hébert aura fait preuve d’un souffle créateur, d’un génie littéraire, qui a marqué le Québec et traversé toutes les frontières. La plupart de ses œuvres ont été traduites en plusieurs langues et largement diffusées dans le monde.

Elle a obtenu de nombreuses distinctions pour ses écrits, dont le prix Fémina 1982 pour Les Fous de Bassan, adapté pour le cinéma par Yves Simoneau. Son roman Kamouraska, publié en 1970, a également fait l’objet d’une adaptation, cette fois par Claude Jutra, avec qui elle a collaboré pour l’écriture du scénario. Une nouvelle publiée en 1950, Le torrent, a aussi été adaptée pour le cinéma par Simon Lavoie en 2012.

De nombreux spécialistes et étudiants ont travaillé sur l’œuvre d’Anne Hébert au fil du temps, qui a abordé tous les genres littéraires. Ces diverses générations de lecteurs témoignent de la modernité et de l’universalité de cette écriture de la passion, de la révolte et du désir au féminin.


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