Faits vécus et histoires vraies : une médiapoétique dans la presse et l’édition populaire (1928-1951)
Sous la direction de Mélodie Simard-Houde (UQTR)
Soutien à la recherche pour la relève professorale (FRQSC), 2023-2026
Lire ou regarder des productions culturelles tirées de faits vécus, qui s’inspirent du vécu d’un individu pour le romancer, sont des pratiques courantes de nos jours : pensons aux formes du témoignage dans la littérature ou aux multiples séries télévisées et balados relatant des « histoires vraies ». Cet appétit pour la mise en récit du matériau biographique a une histoire, que ce projet se propose d’éclairer. Il le fera en étudiant l’essor des récits vécus (histoires vraies, romans vécus et autres dérivés) dans le creuset de la presse écrite et de l’édition populaire, en France, entre 1928 et 1951. Cette période est celle d'une diversification des supports imprimés. Naissent alors des périodiques français spécialisés dans des thèmes (sentimentalité, criminalité) qui favorisent la fabrique sérielle du vécu, en s’inspirant des magazines américains True Story (1919) et True Detective (1924), tels les hebdomadaires Détective (1928) et Confidences. Histoires vraies (1938).
Le métissage de la fiction et des faits est une pratique ancienne, qui a connu maintes variations au gré des cultures et des époques. Cependant, la notion de vécu, au sens où on l’entend encore aujourd’hui, en offre une incarnation historique particulière, dont l’apparition est contemporaine du développement de la culture de masse. Au début du XXe siècle, on observe la montée de nouveaux genres journalistiques qui fictionnalisent le réel et racontent des fragments de la vie d’individus ordinaires, comme les faits divers et le reportage. Une culture de la factualité et de l’ordinaire médiatisé prend alors essor. Avec l’entrée dans la modernité éditoriale et l’arrivée de nouveaux types d’imprimés bon marché produits en série, comme le fascicule, les conditions sont réunies pour l’exploitation médiatique des faits vécus et des histoires vraies, qui foisonnent au cours de la période cernée dans ce projet (1928-1951).
Comprendre les raisons de cet essor, les formes qu’il adopte, les significations portées par ces textes dits factuels mais parfois bien proches de la fiction, et la façon dont ils ont pu constituer un jalon entre les écritures du réel du début du XXe siècle et celles qui sont répandues dans la culture actuelle constitue le cœur de ce projet. En quoi cette popularité des récits vécus est-elle intimement liée aux nouveaux supports de la presse écrite et de l’édition populaire entre 1928 et 1951 ? L'examen de cette question s’appuiera sur les récentes avancées en histoire de la presse et de l’édition françaises, et sur une perspective médiapoétique, c’est-à-dire attentive aux effets produits par les supports et dispositifs éditoriaux, par le prisme d’une lecture près du texte, visant à identifier les procédés de mise en récit et de mise en fiction.
Une médiapoétique historique des récits « vécus » sera ainsi retracée dans une palette de genres apparentés, du « roman vécu » à « l’histoire vraie ». Elle apportera un éclairage nécessaire sur l’une des origines des récits vécus, plus présents que jamais dans les productions culturelles des dernières décennies.