Environnement
Construire des maisons pour des bactéries
Lorsque notre thématique de recherche privilégiée depuis plusieurs années explose partout sur la planète comme secteur de recherche prisé, on ne peut que vouloir peser sur l'accélérateur. De 2005 à 2014, le professeur en génie civil et génie du bâtiment Alexandre Cabral a travaillé assidûment sur les biosystèmes d’oxydation passive du méthane dans le but de réduire les émissions de méthane. Il savait que c’était important. Il savait que, un jour ou l'autre, on allait en parler. Plus fort. Alors qu'il travaillait sur des thématiques complémentaires, le financement est arrivé en 2020, et d’autres projets se sont pointés.
Les grands émetteurs de méthane s’incarnent principalement dans les exploitations pétrolières, dans l’agriculture et dans l'enfouissement. Selon Agriculture et Agroalimentaire Canada, une vache laitière produit en un an une quantité de méthane équivalant aux émissions de gaz à effet de serre émis par une voiture moyenne qui parcourt 20 000 kilomètres!
Mais ramenons le focus sur le secteur de l’enfouissement.
Construire des maisons pour les bactéries
L’objectif ultime des projets du Pr Cabral est de réduire les émissions de méthane. Il existe des bactéries dites méthanotrophes qui sont partout. Si on leur fournit une maison confortable et des conditions parfaites – une bonne bouffe, un air à respirer et une bonne humidité – elles vont travailler gratuitement pour nous. Elles s'installent dans un biofiltre, elles se développent rapidement puis s’attellent à la tâche : transformer le méthane en CO2. D’où l’idée de passivité : elles font tout le travail!
Donc elles se nourrissent du méthane et rejettent du CO2. Mais en quoi rejeter du CO2 devient intéressant? C’est un GES après tout. La réponse simple : le méthane est 86 fois plus nocif que le CO2, et sa durée de vie dans l’atmosphère est d’environ 15 à 20 ans. Avec une courte fenêtre de temps pour faire basculer les choses environnementalement parlant, cette information devient plus que significative.
Les bactéries méthanotrophes sont des microorganismes aérobies qui se développent en utilisant le méthane (CH4) comme source de carbone et d’énergie.
Complexe environnemental de Saint-Michel
Un projet de biofiltre avec dôme existe actuellement en phase de démonstration au Complexe environnemental de Saint-Michel.
C’est vraiment impressionnant comme endroit. Et ça fonctionne. Le biofiltre en place à cet endroit a démontré au cours des dernières années une efficacité de l’ordre de 95 % et même plus dans le traitement actuel de 10 % du débit de biogaz d’une tranchée latérale. L’idée était d’éviter que le méthane se propage dans un certain quartier. Maintenant, on nous demande un traitement à pleine échelle d’ici 2025, ce qui représenterait une réduction de 2 % de toutes les émissions de CO2 équivalent de la Ville de Montréal.
Pr Alexandre Cabral
Ce projet de 850 000$ est possible grâce au programme Mission Alliance 2023 du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG). D'autres partenaires font partie intégrante du projet, soit la Ville de Montréal, la Regional Municipality of Waterloo, Environnement Canada, Dillon Consulting, Englobe et ISWM Consulting.
Avec ce projet qui se poursuit, l’idée est désormais de récupérer tout le biogaz qui est capté par cette tranchée et de le faire transiter par notre biosystème. On effectue trois mesures à l’entrée, trois mesures à la sortie, et ce, chaque 15 minutes. Ces mesures s’effectuent dans les délais prescrits par tous les systèmes de crédits de carbone et permettront de mieux orienter les actions ultérieures grâce à un bilan hyper-précis d’entrées et de sorties de méthane, soit un bilan de masse.
Les biofenêtres : un biofiltre encastré dans le sol!
Un autre biosystème pourrait permettre de gérer les émissions de méthane de plusieurs dizaines de vieux sites d’enfouissement au Canada, tous émetteurs de méthane à différents degrés.
Quand un système avec biofenêtres est bien instrumenté, cela fonctionne très bien. J’y crois vraiment. Ce n’est pas toujours facile d’en faire le dimensionnement, mais cela peut être très efficace. En fait, c’est comme un biofiltre mais encastré dans le sol. On a moins le contrôle, mais c’est un système qui pourrait par exemple permettre de diminuer les GES émis par les 65 sites d’enfouissement actuellement fermés au Québec.
Un projet est en activité actuellement à Bury, en Estrie. Le but visé par ce projet est très simple : développer des modèles prédictifs. Si j’ai un terrain de x m2, combien dois-je prévoir de biofenêtres, quelle taille devraient-elles avoir, quels matériaux devrait-on choisir selon la capacité d’oxydation de mon système en place?
Ce projet est rendu possible grâce au programme Alliance 2023 du CRSNG. D'un montant de 1,1 M$, il met en action plusieurs partenaires en plus de l'UdeS, soit la Regional Municipality of Waterloo, Valoris, Dillon Consulting, Environnement Canada, University of Guelph et Carleton University.
C’est un beau projet très motivant. Non seulement il permet d’intégrer de jeunes professeures et professeures – entre autres Vanessa Di Battista et Frederico Galli, de la Faculté de génie, Cameron Farrow (University of Guelph) et Cole Van De Ven (Carleton University) –, mais il permet aussi de faire des essais terrain de grande envergure, qui durent plusieurs mois. On ne pourrait pas faire ça en industrie. Un jour, j’aimerais être capable de fournir aux personnes qui s’intéressent au domaine un tableau, un article qui donne beaucoup d’informations pertinentes et précises pour optimiser ce type de biosystème.