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Anorexie et boulimie chez les jeunes

Troubles alimentaires : les réseaux sociaux pèsent lourd

Avec leurs contenus qui présentent des corps minces, musclés et sans imperfections, les réseaux sociaux influenceraient le développement des troubles alimentaires.
Avec leurs contenus qui présentent des corps minces, musclés et sans imperfections, les réseaux sociaux influenceraient le développement des troubles alimentaires.
Photo : Michel Caron - UdeS

Les réseaux sociaux peuvent-ils déclencher des troubles alimentaires? Alors que de nombreuses publications font la promotion du corps parfait, de l’entraînement excessif et des régimes restrictifs, plusieurs jeunes adoptent des comportements alimentaires malsains pour correspondre à ces supposés idéaux de beauté. Afin d’élucider ce phénomène, les professeures Isabelle Thibault et Caroline Pesant démystifient le rôle des réseaux sociaux dans le développement – et dans le rétablissement – des troubles du comportement alimentaire (TCA).

« Les réseaux sociaux peuvent assurément contribuer au développement d’un trouble alimentaire, mais ils ne peuvent pas le déclencher », indique Isabelle Thibault, professeure en psychoéducation et experte en troubles des conduites alimentaires. Les TCA comme l’anorexie mentale ou la boulimie, qui sont les plus fréquents chez les personnes adolescentes et les jeunes adultes, s’inscrivent dans une vision multifactorielle. Ce n’est donc pas un élément unique qui cause le trouble alimentaire, mais bien un ensemble de facteurs de risque.

La professeure Thibault rappelle que ces facteurs de risque sont divisés en trois groupes. Les facteurs prédisposants font référence aux caractéristiques personnelles, telles que la faible estime de soi, le perfectionnisme, une tendance anxieuse et un milieu familial qui encourage la performance, entre autres. Ces facteurs sont les ingrédients parfaits pour le développement d’un trouble alimentaire. Quant aux facteurs précipitants, ils correspondent souvent aux événements stressants ou vécus difficilement comme l’entrée au secondaire ou à l’université, la puberté, l’intimidation et les premières relations amoureuses. Enfin, d’ordre métabolique, les facteurs de maintien surviennent lorsque des modifications dans les habitudes alimentaires ont été entreprises : c’est alors que le corps entre dans un état de privation alimentaire et que la tête est envahie de pensées obsessionnelles.

Mais, où se situent les réseaux sociaux dans ce mélange de facteurs?

Quand les réseaux sociaux nourrissent les troubles alimentaires

Au stade où son corps est sous-alimenté et ses pensées sont intrusives, une personne devient plus sensible aux contenus liés à l’apparence et à l’alimentation sur les réseaux sociaux. La chercheuse en psychoéducation confirme ainsi que les réseaux sociaux participent au maintien des troubles alimentaires.

La professeure Isabelle Thibault
La professeure Isabelle Thibault
Photo : Fournie

La consultation de ces types de contenu n’est pas suffisante si le trouble alimentaire n’est pas déjà installé. Des études ont démontré des liens entre l’utilisation des médias sociaux et des pensées anxieuses ou dépressives. Comme pour les troubles de conduite alimentaire, on observe le maintien de l’attention de la personne et la contribution de ses pensées envahissantes pour des contenus qui font référence à la maladie.

Isabelle Thibault, professeure en psychoéducation

Ce sont toutefois les algorithmes qui viennent changer la donne. En effet, ils proposent des contenus similaires à ceux consommés, créant ainsi un engrenage sans fin.

Si une personne passe beaucoup de temps sur des comptes qui prônent la restriction alimentaire, elle va être de plus en plus en contact avec ce type de contenu. Ces dernières années, l’influence des médias sociaux est plus directe et plus ciblée.

Isabelle Thibault, professeure en psychoéducation

Au fil du temps, l’exposition à des contenus similaires peut modifier la perception du corps des personnes touchées. La professeure Isabelle Thibault remarque que les filles, par exemple, sont souvent influencées par les modèles de beauté qui promeuvent la minceur, mais parfois aussi par ceux qui affichent des formes de corps distinctes, comme de fortes hanches, des fesses rebondies ou une taille fine.

Attitudes et comportements alimentaires problématiques : en plus grande portion?

Au Québec, au moins 10 % des femmes âgées de 13 à 30 ans souffrent d’un trouble de l’alimentation important. Selon la professeure en pédiatrie Caroline Pesant, ce taux aurait doublé pendant la pandémie. La professeure Thibault reconnaît que le stress occasionné par les mesures de confinement, la perte de soutien social et l’isolement, jumelé à la modification des habitudes alimentaires et à la hausse du temps passé sur les réseaux sociaux, a favorisé le développement de troubles alimentaires chez de nombreuses personnes.

Bien que les taux de prévalence et d’incidence des TCA ont retrouvé une stabilité prépandémique depuis, la professeure Isabelle Thibault constate qu’un phénomène récent intéresse de plus en plus le monde la recherche : les attitudes et comportements alimentaires problématiques (ACAP).

Ces attitudes et comportements visent à correspondre aux idéaux sociétaux en termes d’apparence, mais ils n’ont pas une récurrence aussi grave que celle d’un trouble de conduites alimentaires. Ils produisent tout de même des impacts sur le fonctionnement.

Isabelle Thibault, professeure en psychoéducation

Comme ce phénomène s’inscrit dans un nouveau champ d’études, il n’est pas possible d’affirmer que les ACAP sont en hausse. « Ce qu’on sait actuellement, c’est qu’ils atteignent des proportions alarmantes chez les personnes adolescentes, qui rejoignent les taux de prévalence d’anxiété et de dépression chez les jeunes », précise la professeure Isabelle Thibault.

La professeure Isabelle Thibault affirme que l’anorexie et la boulimie sont les deux troubles de conduites alimentaires les plus fréquents chez les personnes adolescentes et les adultes. Les femmes représentent 90 % des personnes touchées. Les hommes présentent les mêmes symptômes que les femmes. Le trouble qui est le plus présent chez les hommes est la dysmorphie musculaire (l’anorexie inversée et l’anorexie masculine sont également des synonymes). Bien que ce ne soit pas un trouble officiellement reconnu dans les classifications officielles, il fait consensus chez les chercheurs et chercheuses dans le domaine : il s’agit d’un trouble caractérisé par l’augmentation importante de la masse musculaire pour correspondre aux idéaux sociétaux en fait de musculature.

S’alimenter de messages positifs pour guérir

Pour la professeure Thibault, les réseaux sociaux peuvent jouer un rôle dans le développement des troubles alimentaires, mais également dans le rétablissement.

Il a des communautés sur les médias sociaux de rehab anorexia où on retrouve des messages positifs de soutien et d’encouragement pour aider les gens à se rétablir d’un trouble de conduites alimentaires. Les médias sociaux n’ont pas juste des effets négatifs, ils comportent aussi des effets positifs : ils permettent d’obtenir un soutien social, d’échanger avec ses amis, de vivre des moments privilégiés…

Isabelle Thibault, professeure en psychoéducation

Développer un œil aiguisé, faire preuve de jugement, remarquer les photos retouchées, prendre des pauses des médias sociaux et discuter des contenus consultés avec ses proches sont des astuces pour limiter l’effet négatif des médias sociaux sur son comportement alimentaire.

À l’heure où les réseaux sociaux jouent un rôle essentiel dans la vie des jeunes, la professeure Isabelle Thibault rappelle qu’il est primordial d’apprendre à composer avec leurs effets négatifs et d’apprécier leurs effets positifs.


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