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Honorer la contribution de Suzie O’Bomsawin

Initiatives par, pour et avec les Premiers Peuples à l’UdeS!

Suzie O’Bomsawin
Suzie O’Bomsawin
Photo : Fournie

En ce solstice d'été, Journée nationale des peuples autochtones, voici une femme résolument engagée pour la justice sociale envers les Premiers Peuples : Suzie O’Bomsawin, membre influente de la Nation W8banaki et originaire de la communauté d’Odanak.

Anciennement fondatrice et directrice du Bureau du Ndakina, maintenant Directrice générale adjointe du Conseil des Abénakis d’Odanak, Suzie est une personne hautement inspirante, par son parcours, mais aussi par la générosité de sa contribution. Depuis déjà de nombreuses années à titre de coprésidente du Comité institutionnel pour les peuples autochtones, celle-ci accompagne l'UdeS dans la décolonisation.

Dans cette entrevue, Suzie O’Bomsawin nous partage son histoire, son lien avec les Premiers Peuples et son choix de contribuer à la justice sociale.

Quel est votre parcours?

Mon parcours professionnel n’est pas celui que j’avais visé initialement! Ayant fait un M.B.A. en développement international, ce qui m’animait à l’époque, c’était de travailler à l’international. J’ai donc effectué mon stage M.B.A. au Pérou et j’ai vraiment aimé l’expérience. À ce moment-là, mon grand-père (Roland O’Bomsawin), qui m’a toujours inspiré à voyager, ayant lui-même voyagé et travaillé à l’international, m’a dit : « C’est vraiment bien là, tout ce que tu fais et je suis vraiment fier de toi, mais j’aimerais que tu reviennes à la maison et que tu travailles pour les tiens ». Mon grand-père était une figure importante dans mon existence et tout conseil de sa part résonnait chez moi. Électricien sur les bateaux (autodidacte), il avait sa propre entreprise, devenu une référence dans son domaine, son travail l’a amené à différents endroits : Panama, Venezuela, Belgique, etc.

Mon grand-papa a été une source d’inspiration, intolérant aux injustices, mon plus grand fan et aussi celui qui m’a répété encore et encore qu’il n’y a aucune limite à mes rêves et aspirations.

Suzie O’Bomsawin accompagnée de son grand-papa, Roland O’Bomsawin, décédé en 2011 et sa grand-maman, Françoise Gill, décédée en 2020.
Suzie O’Bomsawin accompagnée de son grand-papa, Roland O’Bomsawin, décédé en 2011 et sa grand-maman, Françoise Gill, décédée en 2020.
Photo : Fournie

Je me suis donc dit que j’allais mettre son conseil en action et je suis revenue vivre à Québec, où j’ai commencé à travailler à différents endroits pour finalement être responsable de secteur de formation au ministère de l’Éducation. J’ai ensuite été retenue pour le poste de conseillère aux affaires autochtones. J’ai eu ce rôle-là pendant près de deux ans.

En cours de route, j’ai eu des interactions à plusieurs reprises avec le chef du Conseil des Abénakis d’Odanak, Richard O’Bomsawin, qui me disait : « I know one day you’re gonna come home! ». Et en 2013, un poste de coordonnatrice aux consultations territoriales a été affiché du côté du Grand Conseil de la Nation W8banaki. J’ai appliqué; et j’ai été retenue pour le poste, ce qui m’a permis de mettre en place mon petit bébé qui est aujourd’hui le Bureau du Ndakina. J’ai adoré cette expérience extrêmement exigeante, qui m’a permis de m’affirmer en tant qu’Abénakise et de participer au rayonnement de ma nation.

En 2022, j’ai eu des échanges avec Daniel G. Nolett, directeur général du Conseil des Abénakis d’Odanak, qui me sollicitait pour que je prenne le poste de Directrice générale adjointe – Responsable des ressources humaines au Conseil des Abénakis d’Odanak. C’était la prochaine étape logique pour moi. J’occupe donc ce rôle depuis janvier 2022. C’est super stimulant d’être à la fois près des membres de la Nation et près du politique. C’est une posture idéale pour moi! J’aime l’humain, j’aime que chaque personne puisse développer son plein potentiel et faire en sorte qu’on réponde bien aux demandes des membres de la communauté. Cela me fait du bien au quotidien.

Quels éléments de l’histoire et de la culture w8banakiak vous rendent particulièrement fière?

Je pense que ce dont je suis particulièrement fière, c’est entre autres toute la question des valeurs qui ont été transmises au sein de notre communauté : le respect des uns et des autres, de la terre et des ressources, la générosité, l’accueil et l’ouverture. Ces valeurs sont extrêmement centrales pour nous. J’ai aussi une certaine fierté par rapport à nos pratiques traditionnelles. Par exemple, la pratique du battage de frêne est restée très forte, malgré toutes les tentatives de colonisation traversées par la Nation. On est capable de reconnaître quand les gens font un bon rythme de battage! Aussi, de voir les efforts qui sont faits pour la conservation de notre langue, pour moi c’est une grande fierté. On ne la laisse pas partir et on s’y accroche, même si elle est super fragile. Dans nos archives, on voit qu’il y a eu de multiples pétitions faites dans le passé pour la conservation de la langue abénakise. J’espère que nos ancêtres voient nos efforts pour la conserver!

Finalement, je suis fière de voir tout le parcours fait par les femmes abénakises. Chez nous, plusieurs mouvements ont été initiés afin que nos droits soient égaux à ceux des hommes, et les femmes ne vont jamais accepter d’être moindres. On le sent, c’est présent, les femmes ont une place. On dit que le cœur d’une nation est toujours fort tant que les femmes sont promptes, c’est donc extrêmement inspirant d’avoir grandi dans ce militantisme. Il y a encore pleins d’améliorations à apporter, mais leurs voix sont importantes, elles l’ont fait et continuent de le faire. L’activisme chez les Abénakis, ça fait partie de qui nous sommes. Malgré notre situation géographique, les tentatives d’évangélisation et les guerres coloniales, nous sommes encore là et j’en ressens une grande fierté.

Quelles sont vos implications et collaborations avec l’UdeS? Pourquoi vouloir contribuer à la décolonisation de notre institution?

En fait, la raison initiale était d’un point de vue très pragmatique : l’UdeS faisant partie du territoire ancestral de la nation W8banaki, il était donc important pour moi de collaborer avec les institutions situées sur notre territoire. Toutefois, ma motivation principale va bien au-delà du territoire, je veux m’assurer que notre prochaine génération aura une vie plus simple. Je veux m’assurer que mes enfants puissent choisir qui ils souhaitent devenir plus tard et être accueillis sans clivages, car ils sont d’origines différentes.

J’ai personnellement eu plusieurs barrières dans mon parcours universitaire et j’ai trouvé cela très confrontant. On me disait par exemple que je nuisais aux statistiques de mon institution puisque je ne voulais pas cocher mon statut autochtone. On m’a aussi fait des remarques et on m’a dit : « Suzie, toi ton sujet va être sur Odanak, ou sur comment ça se passe dans les « réserves indiennes » (communautés autochtones) ». Je veux que ces barrières tombent.

J’ose espérer que la prochaine génération qui intégrera des milieux universitaires aura une expérience plus positive et sentira moins cet écart entre qui ils sont et leur institution. Qu’ils puissent être libres, sans attentes. Qu’ils puissent se concentrer sur l’aspect académique et moins sur l’aspect identitaire. Je crois que c’est important de le faire maintenant et d’influencer les institutions à faire différemment.

Quels conseils donneriez-vous aux institutions comme l’UdeS afin de parvenir à ce changement?

Il faut certaines connaissances et une volonté profonde d’avancer pour chacun des sujets. Le Plan d’action pour et avec les peuples autochtones de l’Université de Sherbrooke a permis de mettre un cadre important sur les relations qu’elle souhaite établir avec les Premiers Peuples. Il reste maintenant à s’assurer d’avoir une vue cohérente des actions proposées par l’Institution et s’assurer qu’on rame tous vers la même direction. L’Université de Sherbrooke, de par sa localisation, est située dans une ville qui n’est pas trop grande, avec des milieux naturels à proximité, facilitant les occasions de connecter avec le territoire. C’est un gros avantage qu’elle devrait mettre à l’avant-plan!

Il serait aussi important pour les institutions de s’investir à 100 % dans ses relations avec les Premiers Peuples et d’offrir des opportunités pour les communautés d’être impliquées dans plusieurs décisions et comités de travail. Nous sommes des collaborateurs importants qui pouvons faire ressortir certaines subtilités et sensibilités et c’est donc prudent et même sage de nous consulter sur certaines questions. Ensuite, les institutions ont libre cours de faire ce qu’elles veulent, mais chaque fois que nous sommes sollicités, nous répondons à l’appel avec une perspective constructive. Nous sommes des gens patients, conciliants et prêts à chercher des solutions. Nous ne sommes pas là pour imposer nos volontés. C’est donc important d’avoir cette confiance mutuelle et d’échanger ensemble sur des sujets délicats.

Quels sont les enjeux sociétaux actuels qui vous préoccupent particulièrement?

La diplomation des jeunes autochtones est un enjeu qui me préoccupe, car on a besoin de ces jeunes pour assurer le relais de nos organisations. Je sais que ça s’améliore, mais j’ai encore des préoccupations à cet égard, car ce qui explique qu’ils ne poursuivent pas, ce sont souvent des barrières au cours de leurs parcours. Aussi, oui, il y a de plus en plus d’inclusion des perspectives autochtones dans les organisations, mais j’ai des préoccupations sur l’authenticité de certaines démarches. Est-ce qu’on interpelle les bonnes personnes? Est-ce que le contenu auquel les gens ont accès est pertinent? Mon inquiétude est toutefois inférieure à mon désir de vouloir poursuivre la démarche.

Il y a des gens qui sont là et qui y croient, toutefois cette individualité est exigeante et épuisante. On voit souvent un roulement de personnel, car les gens dans les organisations ou dans les institutions qui travaillent à faire avancer la cause s’épuisent. Un aspect qui me préoccupe pour ces personnes, c’est de savoir : sont-elles suffisamment soutenues? Ont-elles un canal pour ventiler leurs frustrations? Est-ce qu’elles sont prises avec tout le sérieux professionnel qu’elles devraient recevoir? Bref, il faudrait s’assurer que les personnes en place puissent rebondir et que les démarches d’inclusion des perspectives autochtones soient senties et ne donnent pas l’impression d’une liste à cocher.

Un autre enjeu préoccupant est lié aux personnes qui s’autoproclament autochtones et qui vont même parfois s’attribuer des titres, comme chef héréditaire, guide spirituel ou chef de clan. Ces personnes justifient le fait de s’autoproclamer autochtones parce qu’elles ont des ancêtres remontant au début de la colonisation. Ces gens s’expriment en notre nom, à notre place, et prétendent avoir une portée territoriale et la même existence que nous. Il est important d’avoir ce point de vigilance là, car les institutions universitaires, comme l’UdeS, sont des terreaux intéressants pour ces individus qui veulent faire valoir leur cause et qui réclament des droits ancestraux, au même titre que les communautés autochtones reconnues. Nous sommes les seuls gardiens de notre territoire, de notre héritage et de notre identité. Ces personnes n’ont rien à voir avec nous et ils ne sont pas des porteurs de savoirs d’un héritage millénaire. Cela se doit d’être dit, et être pris en considération. Il faut prendre le temps de faire les vérifications nécessaires auprès des collaborateurs. Je me suis moi-même fait questionner plusieurs fois par des organisations sensibles sur le sujet : « Tu viens de quelle nation? De quelle communauté? ». Dans le monde autochtone, ce sont des questions courantes.

Cet enjeu ne soulève pas seulement des préoccupations à égard folklorique. Que quelqu’un prétende être moi, c’est de la fraude identitaire, et de la fraude à bien des égards. C’est pourquoi il faut être sensible à ces questions. Cela étant dit, on peut être allié sans s’autoproclamer.

Avez-vous un dernier conseil à nous partager?

Oui et en fait, j’aurais envie de dire que moi je reste positive dans tous ces sujets. Peut-être par naïveté où parce que j’aime ça être dans un monde de licornes à quelques moments! Puis je reviens dans mon réalisme pragmatique après, mais je me dois d’être positive dans ce genre de démarche. Le jour où je vais sentir que je n’ai plus une approche positive, que je ne vois plus la petite lumière au bout du corridor, là ça va être le temps pour moi de me retirer et de passer le flambeau à quelqu’un d’autre qui lui va l’avoir. Cette inspiration là, de poursuivre, je pense qu’elle est importante. Puis tu sais, je pense que mon parcours de vie a fait en sorte que j’ai entendu toutes sortes de choses, j’ai eu plusieurs commentaires exprimés à mon égard, des critiques ou des recommandations sur comment je devrais me comporter. Mais ça, ça n’a rien changé pour moi, je continue et persiste à être qui je suis. Et j’espère que mon enthousiasme se reflète sur les gens autour de moi et les inspire à continuer de cheminer.

Quelques anecdotes propres au nom O’Bomsawin :

• Il y a une diaspora abénakise dans le coin de Sudbury en Ontario : au tournant du 20e siècle, une famille O’Bomsawin est allée s’établir là-bas et a généré plusieurs descendants, qui sont toujours connectés à la nation. Entre autres, Michelle O’Bonsawin, maintenant juge de la Cour Suprême du Canada, et Mimi O’Bomsawin, chanteuse et musicienne populaire.

• Plusieurs w8banakiak portent le nom de famille O’Bomsawin, mais ne sont pas nécessairement de la même lignée. Lorsqu’on traverse la frontière, on nous demande souvent d’expliquer comment on est lié les uns aux autres. Comment expliquer qu’on n'est pas parents proches, même si nous portons le nom O’Bomsawin?

Kchi Wliwni Suzie pour ce riche partage!

Article réalisé et rédigé par Chloé Corbeil-Smith, coordonnatrice aux affaires autochtones et Patricia-Anne Blanchet, conseillère en pédagogie autochtone.

Une collaboration du comité institutionnel pour les peuples autochtones et du comité M8wwa ᒪ ᒧ mamu de l’Université de Sherbrooke.


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