L’interdisciplinarité en informatique de la santé
Quand informatique, mathématique, philosophie et droit s’allient pour s’attaquer au défi de l’accès aux données
Les données de santé étant stockées à plusieurs endroits – dans les hôpitaux, dans les pharmacies, dans les biobanques et même sur votre montre intelligente - leur accessibilité représente un défi colossal. Et pourtant, cet accès aux données est essentiel pour personnaliser les soins, mieux prévenir les maladies et établir de meilleurs diagnostics.
C'est à ce défi que s'attaque toute l'équipe du Groupe de recherche interdisciplinaire en informatique de la santé (GRIIS) au sein de laquelle on retrouve notamment Jean-François Éthier (médecine), Christina Khnaisser (informatique), Félix Camirand Lemyre (mathématique) et Emmanuel Bilodeau (Philosophie). Ces derniers collaborent avec des chercheurs et chercheuses ainsi que des personnes étudiantes issues de différents domaines qui apportent leur expertise afin de résoudre les enjeux technologiques et éthiques liés à l'utilisation des données.
Dans cette équipe, l'interdisciplinarité prend tout son sens. Et la bonne nouvelle, c'est que tout ce monde est maintenant réuni sous un même toit dans le nouveau Pavillon de santé de précision et de recherche translationnelle (PSPRT).
Notre déménagement au PSPRT est un symbole de nouvelles collaborations, de nouveaux projets que nous souhaitons concrétiser. Pour nous, c'est un réel privilège de nous retrouver tous physiquement dans les mêmes locaux. Cela nous permet de mener des recherches pertinentes, de gagner en efficacité, de partager les ressources et de développer de nouveaux champs d'expertise.
Professeur Jean-François Éthier
L'informatique comme pivot central
Christina Khnaisser, professeure-chercheuse au Département de médecine de la FMSS et au Département d'informatique de la Faculté des sciences, collabore avec Pr Éthier depuis plus de 10 ans et cherche plus spécifiquement à construire des modèles de données destinés aux systèmes de santé apprenants.
« Pour mettre en place un système de santé apprenant, il y a plein d'étapes à entreprendre. Puis, à chaque étape, on a besoin d'outils informatiques pour faciliter le travail des collègues. Le travail interdisciplinaire est très important à chacune de ces étapes pour s'assurer que les informations soient bien transmises », mentionne Pre Khnaisser, qui est aussi co-titulaire de la Chaire de recherche en numérique de la santé sur les maladies rares avec Pre Anita Burgun, également impliquée dans le GRIIS.
Relever le défi de réunir toutes les données
Actuellement, les données sont dispersées partout dans le réseau de la santé et sont parfois mal structurées. Comment faire alors pour que toutes les données d'une personne soient accessibles pour un analyste ou une infirmière? « Il y a beaucoup de machines, beaucoup de systèmes d'information qui sont utilisés pour soigner des patients. Mais tous ces systèmes ne communiquent pas ensemble. Le défi est de pouvoir avoir une vue unifiée de toutes ces données afin de mieux comprendre certains phénomènes », affirme Pre Khnaisser.
Les modèles qu'elle développe permettent donc l'arrimage entre les connaissances et les données produites dans la vie réelle, lors d'activités de soins ou de recherche. Ils regroupent un ensemble de renseignements de santé, comme les mesures de pression artérielle, les résultats de laboratoire ou les médicaments prescrits, qui sont structurés de façon efficace et cohérente afin de faciliter le travail des analystes et ainsi assurer une meilleure interprétation des données. Celle qui est aussi chercheuse au Centre de recherche du CHUS réfléchit également à la pérennité de ces modèles.
Les mathématiques : indispensables dans l'équation
Félix Camirand Lemyre, professeur au Département de mathématiques de la Faculté des sciences et directeur du Centre de consultation statistique de l'UdeS, travaille avec Pr Éthier depuis cinq ans et apporte une perspective statistique aux travaux. Il développe plus spécifiquement des techniques qui permettent d'ajuster des modèles statistiques à partir de données issues de plusieurs sources sans devoir les copier sur un serveur hors de l'organisation qui les détient.
Comme les données en santé sont généralement confidentielles, elles ne peuvent pas voyager d'un endroit à un autre. Si on veut analyser des données qui sont situées à différents lieux physiques, par exemple dans deux hôpitaux différents, il faut des techniques statistiques qui sont adaptées et qui ne requièrent pas de centraliser les données dans un même endroit.
Professeur Félix Camirand Lemyre.
Réunir des expertises pour aller plus loin
Ici aussi, la collaboration est essentielle à l'avancement d'un tel projet. Le mathématicien peut penser à des équations, mais doit pouvoir compter sur des professionnels de la santé pour valider si elles sont applicables, comme le spécifie Pr Camirand Lemyre : « Il a fallu réfléchir ensemble parce que les équations mathématiques, les statistiques, c'est mon domaine. Mais les spécificités des données de santé, c'est le domaine de Pr Éthier. C'est lui qui apporte la perspective pratique, qui pense en termes d'applicabilité, d'acceptabilité ».
La philosophie : pour analyser les impacts de la transparence des données
Emmanuel Bilodeau, étudiant à la maîtrise en Philosophie et éthique appliquée, collabore à un programme de recherche du GRIIS qui étudie les enjeux éthiques, juridiques et sociaux en lien avec l'utilisation des données de santé en recherche. Ce programme, mené en collaboration avec l'organisme communautaire en alphabétisation Alphare, vise à proposer des solutions numériques destinées aux citoyennes et citoyens du Québec afin de les informer et solliciter leurs préférences de consentement.
La transparence... un peu, beaucoup, passionnément?
Plus spécifiquement, Emmanuel cherche à définir quels sont les impacts – positifs ou négatifs - d'un niveau de transparence insuffisant, optimal ou excessif. Ses travaux ont aussi permis de mieux connaître la perception du public envers une communication transparente.
Pour nous, la transparence est une caractéristique de la communication. C'est de donner une information pertinente à une personne. C'est aussi d'éviter de donner trop d'information pour maintenir une relation de confiance entre les parties. Avec nos sondages, on a constaté que la majorité des personnes étaient favorables à l'utilisation de leurs données pour l'avancement des connaissances. Mais elles veulent être informées et avoir un certain contrôle sur ce qui se passe.
Emmanuel Bilodeau
Avec l’équipe de recherche du GRIIS, Emmanuel explore aussi les attentes des citoyens et citoyennes quant à l'information sur l'utilisation de leurs données de santé en recherche. Des sondages et des groupes de discussion sont en cours pour consulter les membres du public afin de déterminer quelles informations ils souhaiteraient obtenir et quels seraient les impacts de ces informations sur leur confiance.
Lire l'article
Utilisations secondaires des données de santé : impacts de la transparence (erudit.org) – Revue canadienne de bioéthique
Il n'y a pas à dire, l'interdisciplinarité se vit réellement sur l'étage consacré au numérique de la santé du PSPRT. Et c'est en combinant les forces de chacun et chacune que la recherche atteindra de nouveaux sommets et contribuera plus que jamais à l'amélioration des soins offerts à la population.
À lire également dans ce dossier
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- Plus de transparence pour un consentement éclairé
- Utilisation des données - partie 1 : Une mine d'or pour les équipes de recherche
- Utilisation des données - partie 2 : Recourir à l’IA pour extraire l'information des banques de données
- L’intelligence artificielle incarne le futur de l’aide au diagnostic en neuro-imagerie