Collaboration avec l'organisme d'alphabétisation Alphare
Plus de transparence pour un consentement éclairé
Imaginez que vous ayez à consulter pour un problème de santé. Vous passez plusieurs examens, puis vous débutez un traitement. Chacune de ces étapes peut générer des données précieuses qui sont consignées dans votre dossier médical. Mais saviez-vous que vos données de santé combinées à celles de milliers de Québécois et de Québécoises peuvent être utilisées au-delà des soins pour développer de nouvelles connaissances scientifiques?
Peu de personnes sont au courant du potentiel de l'utilisation secondaire des données de santé à grande échelle en recherche. À quoi les données servent-elles? Sont-elles bien protégées? Quels sont les résultats de ces recherches?
Ces questions sont au cœur des préoccupations du Groupe de recherche interdisciplinaire en informatique de la santé (GRIIS), co-dirigé par Pr Jean-François Ethier (FMSS - Département de médecine), qui a soutenu le développement du programme de recherche CLARET, avec les professeurs Annabelle Cumyn (FMSS – Département de médecine) et Jean-Frédéric Ménard (Faculté de droit). Ce programme pluridisciplinaire cherche à proposer des solutions numériques destinées aux citoyennes et citoyens du Québec afin de les informer et de solliciter leurs préférences de consentement pour l'utilisation de leurs données de santé en recherche.
Des travaux qui ont toute leur importance, encore davantage depuis la toute récente entrée en vigueur de la Loi 5 sur les renseignements de santé et des services sociaux qui encadrent l'utilisation des données.
Utiliser les données de façon intelligente et responsable
Le programme CLARET est né en réponse aux défis que posent les systèmes de santé apprenants, un concept développé depuis 2010, qui vise à faire une utilisation intelligente et responsable des données de santé pour influencer plus rapidement la recherche et aussi la prise de décision.
« C'est un peu le renouvellement d'un contrat social avec les citoyens dans le sens que oui, on veut faciliter l'accès aux données de santé, mais il faut que ce soit fait de façon responsable et acceptable. Dans les témoignages que nous donnent les citoyens, ils mentionnent vouloir plus de transparence, plus d'information. On travaille justement sur ça, le besoin d'information par rapport à l'utilisation secondaire des données », affirme Pre Cumyn.
Alphare, pour simplifier l'information
Depuis le début de ce programme de recherche en 2017, l'équipe de l'UdeS collabore étroitement avec Alphare, un organisme à but non lucratif d'alphabétisation populaire spécialisé en littératie et situé à Saint-Georges de Beauce, afin d'assurer que la démarche ainsi que les transferts de connaissances soient accessibles à tous, c'est-à-dire dans un langage clair et simple.
Selon Mme Annie Poulin, directrice d'Alphare, une personne sur cinq au Québec a de grandes difficultés en lecture. « Ces personnes peuvent avoir de la difficulté à comprendre des recettes, la posologie d'un médicament, la signalisation routière et les communications du gouvernement. Rendre les informations accessibles, compréhensibles pour tout le monde, plus particulièrement pour les personnes peu alphabétisées, c'est au cœur de notre mission. C'était donc important pour nous de participer à ce projet de recherche pour représenter ces gens-là, de pouvoir parler pour eux. »
Ainsi, Mme Poulin et Mme Céline Leclerc, une enseignante en alphabétisation depuis 25 ans très investie dans le projet, ont posé un regard aguerri sur les outils développés par les chercheurs et chercheuses. « On a simplifié des mots, reformulé des phrases, misé sur l'utilisation d'images, de pictogrammes, de vidéos, pour expliquer les concepts, pour que les gens puissent bien comprendre et visualiser l'information. On a ensuite impliqué nos apprenants pour valider leur compréhension. Quand ils ne comprennent pas, ils nous le disent clairement que c'est du « chinois » pour eux », ajoute Mme Poulin.
Des patients partenaires qui posent les bonnes questions
Denis Boutin, patient-partenaire très impliqué, était au nombre des personnes qui ont donné leur opinion sur les outils en question. « Essentiellement, j'étais là pour rappeler aux chercheurs qu'ils en savaient plus que la moyenne des gens. Je posais des questions sur certains termes plus abstraits; c'est quoi la transparence, c'est quoi le méta-consentement, c'est quoi les données primaires et secondaires? Et l'équipe proposait ensuite des modifications, changeait de vocable, pour rendre les écrits plus faciles à comprendre. »
« En recherche, c'est essentiel de pouvoir compter sur des personnes comme Denis. Si on est incapable d'expliquer clairement nos objectifs à Denis, on sait qu'on est mal parti! Les questions que pose Denis sont fondamentales et nous orientent depuis le début du projet », explique Pre Annabelle Cumyn, qui est aussi présidente du comité institutionnel d'éthique de la recherche.
Les grandes étapes du projet
Les premières étapes du projet avaient pour but de tester un modèle de consentement alternatif, soit le méta-consentement, qui offrirait la possibilité de consentir à plusieurs projets regroupés par catégories.
À l'automne 2022, le projet est entré dans sa seconde phase, axée davantage sur la transparence et les besoins d'information des citoyens et des citoyennes. L'objectif est de créer une solution, qui pourrait prendre la forme d'un portail Web, grâce auquel les personnes seraient informées sur l'utilisation de leurs données en recherche et en mesure d'identifier leur préférence en matière de consentement. Un sondage a été complété en 2023. Avec l'appui financier de l'Observatoire international sur les impacts sociétaux de l'intelligence artificielle et du numérique (OBVIA), des groupes de discussion auront lieu en 2024 pour mieux cerner les préférences des Québécois et des Québécoises en matière de transparence.
Jean-Frédéric Ménard, professeur-chercheur à la Faculté de droit de l'UdeS, s'occupe pour sa part de l'aspect juridique du projet et s'intéresse aux droits des personnes : « Les données de santé sont encadrées et relèvent du droit à la vie privée. Donc, en vertu de la loi, ce que nous cherchons à savoir, c'est qu'est-ce que les gens veulent connaître à propos de l'utilisation secondaire des données de santé. Possiblement, ça pourrait prendre la forme d'un portail Web, comme le Carnet santé Québec », indique Pr Ménard.
Les travaux du programme CLARET ont d'ailleurs eu des impacts très concrets. La loi 5 inclut explicitement une référence au métaconsentement.
Placer la personne au centre de ses données
En pleine réforme du réseau de la santé, le Gouvernement du Québec s'est donné pour objectif de repenser le cadre juridique de l'utilisation des données. Le sujet est somme toute assez sensible et l'accessibilité des données comporte des risques. Dans l'actualité, on fait état d'incidents de fuites de données au sein de grandes organisations, comme ce fut le cas pour l'entreprise Innomar Stratégies qui a été victime d'une cyberattaque relatée dans La Presse récemment.
« Donc, c'est plus important que jamais que les gens soient informés sur l'utilisation de leurs données, qu'ils aient confiance en la façon dont sont utilisées les données de santé au Québec et plus spécifiquement, comment elles sont utilisées de manière secondaire. Si les gens ne savent pas comment leurs données en santé sont utilisées, ils peuvent développer un sentiment de suspicion et la confiance peut s'effriter », ajoute Pr Ménard.
Il est rassurant de savoir que les chercheurs et chercheuses de l'UdeS consacrent des efforts afin de trouver des façons de privilégier une bonne utilisation des données en santé et de s'assurer que les citoyennes et les citoyens soient considérés dans cette démarche, qui les concerne d'abord et avant tout.
À lire également dans ce dossier.
- Deux chaires de recherche en numérique de la santé
- Quand informatique, mathématique, philosophie et droit s’allient pour s’attaquer au défi de l’accès aux données
- Utilisation des données - partie 1 : Une mine d'or pour les équipes de recherche
- Utilisation des données - partie 2 : Recourir à l’IA pour extraire l'information des banques de données
- L’intelligence artificielle incarne le futur de l’aide au diagnostic en neuro-imagerie