Un pas de géant pour l’immunothérapie
Une innovation en ingénierie virale promet de révolutionner le traitement du cancer
Une stratégie innovante d'ingénierie virale a permis d'accélérer le développement de la plus imposante collection de virus oncolytiques armés pour combattre les cancers qui résistent aux traitements. Cette avancée technologique, publiée dans la prestigieuse revue Nature Biomedical Engineering, fut réalisée par l'équipe de Taha Azad, professeur-chercheur à l'Institut de recherche sur le cancer de l'Université de Sherbrooke (IRCUS). Preuve de son fort potentiel d'innovation en oncologie, les outils développés ont permis de valider en un temps record une nouvelle stratégie curative pour les cancers qui pourraient récidiver après avoir été traités avec un virus oncolytique armé.
L'immunothérapie oncolytique est une stratégie thérapeutique en plein essor qui repose sur l'administration de virus oncolytiques. Ces virus, qui ont la propriété d'infecter et d'éliminer (lyser) les cellules cancéreuses, sont connus pour leur capacité à stimuler une réponse immunitaire antitumorale menant à une réponse durable. Au cours des 20 dernières années, les scientifiques se sont concentrés à les optimiser génétiquement pour qu'ils deviennent de puissantes « pharmacies mobiles » capables de déjouer la résistance aux traitements.
« Pharmacies mobiles »
Les virus oncolytiques peuvent être transformés en « pharmacies mobiles » en insérant de nouveaux gènes dans leurs génomes, appelés transgènes, afin de livrer directement dans la tumeur les protéines thérapeutiques (armes) nécessaires pour éliminer les cellules cancéreuses. Ces virus oncolytiques peuvent même être armés pour produire simultanément le traitement d'immunothérapie et les armes requises pour corriger la nature immunosuppressive du microenvironnement tumoral, telles les cytokines, afin d’améliorer la réponse au traitement livré.
Bien qu'il s'agisse d'une idée attrayante, l'ingénierie de tels virus s'est avérée plus difficile que de simplement « copier-coller » des gènes dans leur génome. La complexité de nombreux génomes viraux et la nature laborieuse des méthodes classiques d'ingénierie virale ont entravé le développement des virus oncolytiques thérapeutiques.
Les antibiotiques à la rescousse
La stratégie novatrice développée par le Pr Azad et son équipe a permis de réduire de plusieurs mois à moins d'une semaine le temps requis pour l'ingénierie des virus oncolytiques. Celle-ci implique, entre autres, l'utilisation d'un système plus robuste que « CRISPR-Cas9 » pour insérer les transgènes, appelé « Sleeping Beauty », ainsi que des cycles exploitant la sensibilité préférentielle des virus utilisés à certains antibiotiques.
Cette stratégie s'est avérée jusqu'à 80 fois plus efficace pour sélectionner les virus oncolytiques modifiés par l'insertion de grands transgènes, un requis pour pouvoir les transformer en « pharmacies mobiles ». De plus, des 20 000 sites potentiels d'insertion d'un transgène, l'équipe a démontré que seulement 135 sites n'affectent pas la capacité des virus oncolytiques à se multiplier dans les cellules cancéreuses et devraient donc être utilisés pour créer les « pharmacies mobiles ».
Une collection armée pour propulser l'immunothérapie oncolytique
Avec leur nouvelle stratégie, l'équipe a réussi à créer en un temps record la plus imposante collection de virus oncolytiques armés (40 au total), tout en validant simultanément leur efficacité thérapeutique. Les transgènes de 20 cytokines différentes, sélectionnées pour leur capacité à moduler la réponse immunitaire antitumorale, ont été insérés dans le génome de deux virus oncolytiques différents : le virus de la vaccine et le virus Herpès simplex de type 1. Ces virus à ADN ont été sélectionnés, entre autres, pour leur capacité à supporter l'insertion de grands transgènes, une caractéristique essentielle des « pharmacies mobiles ».
En utilisant cette collection de virus oncolytiques armés, l'équipe du Pr Azad a réussi à identifier rapidement les cytokines capables d'augmenter l'efficacité thérapeutique des virus oncolytiques in vivo dans deux modèles précliniques de cancers différents : le mélanome et le cancer du côlon. Cinq (5) cytokines armées dans le virus de la vaccine ont permis d'obtenir une réponse complète pour le cancer du côlon. Toutefois, la cytokine IL12 s'est démarquée comme l'une des meilleures protéines thérapeutiques pour armer les deux types de virus oncolytiques étudiés en provoquant une réponse complète pour les deux cancers testés.
Réattaquer différemment pour déjouer le système immunitaire
Un défi de taille est apparu lorsque le Pr Azad et son équipe ont découvert qu'armer les virus oncolytiques avec l'IL12 stimule un mécanisme de protection problématique pour l'immunothérapie oncolytique en cas de récidive. Lorsqu'un virus oncolytique est administré, il active le système immunitaire à le reconnaître et à l'éliminer. Par conséquent, si le cancer récidive, l'administration du même virus oncolytique sera vouée à l'échec.
Pour pallier ce problème de taille, l'équipe a testé une nouvelle stratégie thérapeutique dans leur modèle préclinique de mélanome. La stratégie novatrice implique, entre autres, l'administration d'un deuxième virus oncolytique (le virus de la vaccine) armé avec la même cytokine (IL12) mais immunologiquement différent du premier virus oncolytique administré (le virus Herpes simplex de type 1). D'une manière remarquable, la stratégie du Pr Azad a conduit à une réponse complète chez tous les animaux : le traitement a éliminé toutes traces de cancer chez 100 % des animaux traités.
Une relève étudiante formée par un expert en biologie synthétique
L'intégration du professeur-chercheur Azad au sein de l'IRCUS, à la suite de son recrutement par le Département de microbiologie et d'infectiologie de la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l'Université de Sherbrooke, a permis de propulser la recherche sur le cancer dans le domaine de la biologie synthétique à l’Institut. Expert dans ce domaine émergent, le Pr Azad utilise ses connaissances poussées en biologie synthétique pour simplifier et accélérer l'ingénierie de virus oncolytiques novateurs. Depuis son arrivée en juin 2022, il a relevé un défi de taille, celui de recruter au sein de son tout nouveau laboratoire six personnes étudiantes à la maîtrise et au doctorat.
En plus de recevoir une formation à la fine pointe de la technologie en biologie synthétique, l'excellence en recherche du Pr Azad a permis à ces personnes étudiantes de participer à une publication d'importance dans une revue scientifique prestigieuse.
À propos de Taha Azad
- Professeur-chercheur au Département de microbiologie et d'infectiologie de la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l'Université de Sherbrooke
- Professeur-chercheur à l'Institut de recherche sur le cancer de l'Université de Sherbrooke (IRCUS)
- Chercheur au Centre de recherche du CHUS (CRCHUS)
Une recherche qui s'élève à la puissance dix!
Ce n'est pas un hasard si l'Université de Sherbrooke se démarque en recherche. Son secret? Le mariage judicieux du partenariat, de la mutualisation et de l'interdisciplinarité, trois forces qui font désormais sa renommée. Apprenez-en plus sur ce qui a propulsé l'UdeS 10e en recherche au Canada.