La coconstruction d’une pédagogie renouvelée
Entrevue avec Pre Diane Clavet, Pre Marie-Claude Arsenault et Mme Véronique Lisée
Valoriser la médecine de famille et communautaire par la création d’un diplôme d’études spécialisées au Mali peut sembler aller de soi mais l’initiative menée par des médecins et personnes enseignantes de l’Université de Sherbrooke, de concert avec leurs partenaires maliens, a été un véritable changement de paradigme dans ce pays d’Afrique de l’Ouest.
La genèse d'une collaboration académique
Nous sommes en septembre 2010. La professeure Diane Clavet accompagne son collègue feu François Couturier au Mali pour la première fois, afin de rencontrer les décideurs des milieux sanitaire et universitaire et mieux comprendre leur réalité. Amis et complices depuis plus de 15 ans, le Dr Mahamane Maïga et le Dr Couturier sont les instigateurs de la coopération entre les facultés de médecine de l’Université de Sherbrooke et de l’Université des Sciences, des Techniques et des Technologies de Bamako. Ils préparent un plaidoyer en vue de la création, deux ans plus tard, d’une solide formation destinée à rapprocher la médecine de première ligne des besoins de la population, soit un Diplôme d’Études Spécialisées (D.E.S.) en Médecine de Famille Médecine Communautaire (MF/MC). En effet, la majorité des étudiants et étudiantes en médecine étaient jusque-là formés en milieux hospitaliers, c’est-à-dire loin des structures sanitaires de première ligne se trouvant en région rurale alors que la majorité de la population y réside.
Une formation distinctive en pédagogie
Rapidement s’est imposée la nécessité de former des enseignants et enseignantes en mesure de s’impliquer dans ce nouveau programme. À travers le projet DÉCLIC (Développement de l’enseignement clinique et communautaire), financé par Affaires mondiales Canada (AMC), l’équipe de l’Université de Sherbrooke a donc coconstruit avec ses partenaires maliens un programme de formation en pédagogie destiné aux médecins enseignants de ce nouveau diplôme en MF/MC. Soulignons l’apport précieux des professeures Line Langlois, aujourd’hui décédée, et Luce Pelissier-Simard à la conception et la coordination du programme. « À l’Université de Sherbrooke, nous sommes allés chercher la pédagogie d’enseignement de médecine de première ligne qui n’existait pas au Mali », soulignait le Dr Mahamane Maïga en 2018.
Tout notre travail a été inspiré par la volonté de favoriser l’autonomie de nos partenaires pour que les avancées réalisées survivent à nos interventions.
Diane Clavet, professeure associée du Département de médecine de famille et de médecine d'urgence
Il convient de souligner quelques caractéristiques qui ont fait la richesse des activités d'accompagnement de l'équipe de l'Université de Sherbrooke.
- Les besoins de formation furent dûment documentés, y compris au moyen d’observations sur le terrain de certaines activités d’enseignement en stage, ce qui a permis d’adapter les approches au contexte malien.
- Un total de 17 enseignants et enseignantes ont pu profiter de la formation, étalée sur plusieurs années et précédée d’un séjour d’immersion au Québec.
- La réunion des médecins spécialistes et de médecins généralistes, appelés à devenir des encadreurs dans les stages du D.E.S. MF/MC, a constitué une nouveauté fructueuse. Les professeurs et professeures ont pu acquérir des méthodes pédagogiques innovantes pour enseigner le raisonnement et l’examen clinique. « Un bon coup, souligne Diane Clavet, puisque nous atteignons de cette manière deux objectifs : la mise à niveau des compétences cliniques et la formation pédagogique. »
- La création d’un recueil de guides pédagogiques modulaires, conçu pour que les encadreurs puissent l’adapter en continu.
Le tout s’inscrit dans une vision multiplicatrice que le projet CLEFS (Communautés locales pour des femmes et des filles en santé), également financé par AMC, a voulu poursuivre à partir de 2020 et porter encore plus loin. Le focus est désormais bien fixé sur la relève.
Une relève pour la formation en médecine communautaire
Le D.E.S. malien a d’abord été dirigé par un interniste auquel a succédé l’actuelle directrice, la professeure et pédiatre Fatoumata Dicko. Désormais, les collègues maliens se chargent de la formation professorale du D.E.S. MF/MC avec le soutien des membres de son comité de direction. Deux d’entre eux ont même complété une formation pédagogique approfondie en se joignant à une cohorte de participants professeurs du Québec inscrits au Microprogramme de 2e cycle de pédagogie des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke. De plus, le comité pédagogique du projet CLEFS de l’UdeS auquel ont contribué Diane Clavet et Luce Pélissier-Simard, a convenu avec ses partenaires de nouveaux objectifs : améliorer leurs compétences en tant que gestionnaires de programme et les aider à bonifier progressivement leur curriculum académique en matière de pédagogie.
La constitution d’une équipe solide pour assurer la pérennité du D.E.S MF/MC est au cœur des préoccupations du projet CLEFS. Dans ce cadre, l’équipe bénéficie notamment de l’expertise pédagogique de deux autres précieuses ressources de l’Université de Sherbrooke, la professeure Marie-Claude Arsenault ainsi que madame Véronique Lisée, conseillère pédagogique au Centre de pédagogie et des sciences de la santé (CPSS). Avant d’intégrer le projet CLEFS, la Pre Arsenault avait déjà fait l’expérience du travail dans des centres de santé communautaire au Mali. Elle s’est d’abord rendue sur place à titre de stagiaire en 2006, avant d’y retourner comme superviseure. Marie-Claude Arsenault constate l'effet bénéfique de la participation à ces stages cliniques d’un mois, offerts dans le cadre du microprogramme de santé internationale de l’Université de Sherbrooke :
Les résidents québécois apprenaient beaucoup par cette expérience du terrain, notamment en termes de débrouillardise et d’ouverture culturelle.
L’intérêt de Véronique Lisée pour le Mali a pour sa part été fortement marqué par sa participation à un stage de solidarité, réalisé en 2000. C’est donc avec un grand enthousiasme qu’elle a joint le groupe d’experts au projet CLEFS. Sa riche contribution s’appuie sur l’expertise développée en regard de l’apprentissage de compétences en lien avec l’engagement communautaire et la responsabilité sociale des intervenants, ainsi que sur son large bagage d’expérience en formation professorale.
En raison du contexte d’insécurité qui ne leur permet plus de se rendre au Mali, Diane Clavet, Marie-Claude Arsenault et Véronique Lisée soutiennent à distance les membres de l’équipe pédagogique malienne afin d’optimiser la qualité d’enseignement du D.E.S MF/MC « avec eux, par eux et pour eux ». Selon ces dernières, l’impossibilité actuelle d’aller sur place est regrettable. Cependant, elles constatent que les efforts réalisés pour bien comprendre la réalité locale, les différentes perceptions des uns et des autres, ainsi que la nature des interactions entre les personnes apprenantes et les médecins enseignants a renforcé les liens de confiance.
L’alliance pédagogique qui a été créée, axée sur la collaboration et la complémentarité, est un gage de pérennité
Véronique Lisée, Conseillère pédagogique
En effet, ce climat d’apprentissage est fructueux et favorise l’expression des opinions dans ce contexte africain qui confère généralement au statut professoral une autorité indiscutable.
Nos interventions s’effectuent à différents niveaux, mais toujours avec cette même approche visant à renforcer l’engagement de chacun auprès des communautés pour améliorer les soins qui leur sont offerts.
Marie-Claude Arsenault, Professeure du Département de médecine de famille et de médecine d'urgence
Cette dernière ajoute que la conviction partagée de faire une différence en travaillant en équipe est un acquis inestimable pour tous les partenaires.
Ayant intégré la notion de formation continue, les collègues maliens ont développé leurs propres stratégies comme l’explique Dr Drissa Sididé dans l’entrevue qu’il nous a accordée (voir l’article Un engagement indéfectible sur le terrain). Diane Clavet s’en réjouit :
Nos partenaires orchestrent désormais leur propre perfectionnement, ce qui démontre plutôt bien que notre objectif d’autonomisation est en voie d’être atteint : nous les avons ainsi soutenus dans leur désir de prendre en charge leur destinée en matière de pratique et de formation en médecine de première ligne.
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