Aller au contenu

Carnets de voyage

Haïti chérie

Chez le barbier
Chez le barbier

Finissant au doctorat en médecine, Louis-Pierre Poulin a mis à l'épreuve ses connaissances et son expérience à l'occasion de plusieurs voyages à l'étranger. Au cours de la dernière année, il a notamment voyagé au Ghana et à Taïwan ainsi qu'en Haïti, où il a effectué un stage dans une clinique soignant principalement des sidéens. Il a découvert à Port-au-Prince un peuple qui sait demeurer fier et festif, en dépit de la misère et des clivages entre riches et pauvres.

Débarquement à Port-au-Prince, Haïti. Les seules recommandations prédépart étaient : «Ou fou net monchè!» La seule référence que j'avais : le film Ghost of Cité-soleil. Pas de stress, nous sommes jeunes, il n'y aura pas de problème! J'atterris donc avec deux copains sur ce terrain étranger.

Un aspect de Port-au-prince
Un aspect de Port-au-prince

En sortant de l'aéroport, mon cœur palpite un peu. Est-ce que nous allons nous faire kidnapper? Est-ce qu'une bande de voyous nous attend avec machettes et fusils? Je laisse mes copains derrière et je leur dis de m'attendre à l'intérieur pendant que je vais régler le tout. Régler quoi? Je ne sais pas vraiment. Je reprends mon souffle et je me dis : marche droit, ait l'air confiant. Finalement, surprise, sortie d'aéroport tout à fait normale en contexte : bande de chauffeurs de taxis et de personnes voulant aider pour les bagages. Jusqu'à présent, rien de mauvais!

Nous nous dirigeons alors dans les collines, vers Pétionville, où une famille nous héberge. Première constatation du voyage : différence entre «en bas la ville» et «en haut la ville». En haut est habituellement synonyme de bourgeoisie, de pureté; en bas est plutôt pauvreté, violence, pollution. Au cours de notre trajet, mon œil d'étranger se heurte à des barricades. De si jolies maisons masquées derrière des barreaux et des gardiens armés. Cependant, lorsque je porte une plus fine attention derrière cette apparence trompeuse, je retrouve les fleurs, les sourires chaleureux, et probablement tout cet Haïti d'autrefois. Comment puis-je m'offusquer de ces défenses lorsque leur utilité principale est de protéger des familles?

La plage de Jacmel
La plage de Jacmel

Bébette, la bonne de la maison, nous accueille accompagnée de Dudjè, l'homme à tout faire. Je ne sais pas si j'ai entendu une fois dans mon voyage quelqu'un utiliser un vrai prénom. Rajouter un «ti», doubler les sons, et voilà, vous vous faites ainsi renommer. Pas étonnant que l'ancien président Jean-Bertrand Aristide était surnommé «Titide». Cependant, cela ne fait que démontrer la convivialité que ce peuple démontre.

Première soirée typique : jouer aux dominos en buvant du rhum Barbancourt et en écoutant du kompa. Il n'y a pas un Haïtien qui ne comprendra pas de quoi je parle! C'est comme jouer aux cartes, boire de la bière et écouter du Céline Dion pour un Québécois! Bébette nous prépare un riz à pois collés avec du griot. Je me sens presque haïtien!

Soigner les personnes atteintes de VIH-sida

Louis-Pierre au centre Gheskio, avec Vincent Beaudry et Sophie Ramsay
Louis-Pierre au centre Gheskio, avec Vincent Beaudry et Sophie Ramsay

Malgré tout cela, je dois repenser à la raison qui nous a fait venir principalement... le centre Gheskio. Cet établissement s'occupe principalement des personnes atteintes de VIH-sida. Il n'y a aucune hospitalisation, tous les services se donnent en consultation. On y retrouve aussi un département d'obstétrique-gynécologie et de pédiatrie. Le centre Gheskio est situé dans le quartier bicentenaire, quartier populaire considéré comme chaud et «en bas la ville», non loin de Cité-soleil, qui est le plus grand bidonville d'Haïti. Je comprends maintenant un peu mieux la réticence de mes proches haïtiens lorsque je leur annonçais ma destination…

L'aspect médical m'offre une autre réalité, une autre vision. Tant de différences, certainement au point de vue technologique, mais surtout humaniste. Le patient haïtien ne se plaint pas, il vient parce qu'il a un problème réel et il a besoin d'aide. Il faut lire dans ses yeux la douleur et la souffrance, car il ne vous la montrera pas. Le peuple haïtien est fier et orgueilleux. Il ne vous laissera pas voir une faiblesse si facilement…

J'ai annoncé à quelqu'un qu'il était atteint de VIH; aucune réaction visible, et ce n'est pas parce qu'il ne m'avait pas compris. Je viens de changer sa vie, de mettre un pronostic futur, de changer ses projets. Mais bon, en Haïti, on vit au jour le jour, on tient bon tant que la vie le permet. On dit souvent comme phrase de départ : «Kenbe fèm!», ce qui veut dire : «Tiens bon!»

Au cours de ces semaines, je vois toutes sortes de choses ici que je ne revivrai jamais. Un bébé de quelques jours nourri avec de l'eau par sa mère de 16 ans, des enfants orphelins atteints de VIH, des patients presque en phase terminale, travaillant chaque jour pour survivre, et j'en passe. Il est difficile de décrire ce que je ressens lorsque je relate ces histoires. On peut entendre des histoires, on peut essayer de partager des peines, mais on ne peut réellement comprendre qu'en vivant ces expériences sur le terrain… Je n'ai toujours pas compris comment on peut être victime d'une si grande souffrance, et de garder le courage de combattre. Je lève mon chapeau au peuple haïtien. Autant de violence, de mauvaises expériences, de souffrance, mais le peuple continue de se tenir droit, de sourire, d'être fier. Pas étonnant que chaque Haïtien va constamment vous répéter, et avec raison, que Haïti est le premier peuple noir à avoir déclaré l'indépendance, en 1804!

Preuve de joie

Le coeur à la fête au carnaval
Le coeur à la fête au carnaval

Preuve de joie en Haïti, les fêtes! Fête par-ci, bal par-là, il y a plusieurs programmes pour chaque soirée en Haïti. De plus, après quelques jours de travail, j'apprends que je suis en plein carnaval. Je vois tous ces gens sourire lorsque je leur demande ce qu'est le carnaval, et avec raison! Je l'ai ainsi découvert à mes dépens! Le carnaval en Haïti est quelque chose de sacré. Trois jours de festivités, où toute la diaspora haïtienne et tout le peuple haïtien se rassemble pour une seule raison : faire la fête et danser. Trois jours où toute violence est suspendue. Trois jours où des millions de personnes défilent dans les rues jour comme nuit, dansent et festoient comme jamais! Trois jours de paix, trois jours de fête. Il n'y a cependant pas beaucoup de Blancs dans un carnaval haïtien…

Ce ne sont pas des souvenirs que je ramène d'Haïti, mais plutôt une façon de voir les choses, une façon de voir ma vie, de traiter mon entourage. Le peuple haïtien a beaucoup à nous apprendre. Un peuple fier, un peuple courageux, un peuple acharné et combattant qui garde une joie de vivre unique en son genre.

Je voudrais remercier personnellement toute la famille Labrousse qui nous a permis de vivre cette expérience. M pa jam blié Ayiti chéri!