Carnets de voyage
Taipei 101
Louis-Pierre Poulin a plusieurs pages de son passeport estampillées. Au cours de la dernière année, il a mis à l'épreuve ses connaissances et son expérience à l'occasion de plusieurs séjours à l'étranger. Il a notamment voyagé en Afrique, en Asie et dans les Amériques. Et ce futur médecin globe-trotter ne prévoit pas mettre son passeport au rancart. Il prépare un dernier voyage devant le conduire en Europe de l'Est et en Inde, avant de débuter officiellement sa résidence en anesthésiologie à Montréal en janvier. Voici le dernier d'une série de trois articles, où il nous raconte l'un de ses stages de la dernière année, effectué dans un hôpital à Taiwan.
Lorsque j'ai reçu la confirmation de mon stage pour Taiwan, la première chose que j'ai faite a été d'aller voir où se situait ce pays, car je ne me souvenais même plus d'avoir postulé pour faire un stage à cet endroit! Cette petite île à l'est de la Chine traîne un lourd passé de colonialisme, toujours mitigée entre l'indépendance et la dépendance à la Chine…
À mon arrivée à Taipei, la capitale de Taiwan, j'ai vécu un véritable choc culturel. Il me fallait tout d'abord essayer de comprendre quelque chose au chinois (mandarin). Eh bien, même l'oreille la plus attentive ne comprendra absolument rien du tout, si elle n'a pas suivi de leçon. Le langage des signes prend alors toute sa valeur. Je pourrais aussi essayer de déchiffrer l'écriture et l'alphabet, mais non, je n'y comprends rien du tout. C'est alors que je pointe des phrases dans mon livre de poche Mandarin de base au chauffeur de taxi pour montrer où je veux aller. Bien sûr, avec un tel livre, je me sens obligé d'essayer d'engager une conversation qui, finalement, est tout sauf fructueuse.
La nourriture
Après l'installation, la nourriture! Je fais alors ce que j'aime bien faire : avoir l'air de savoir où je vais, en n'ayant en fait aucune idée. Je fais la queue comme tout le monde et mon tour venu, je me contente de désigner quelque chose du doigt, de donner un billet de monnaie ni trop petit pour éviter la conversation, ni trop gros pour éviter de paraître comme le riche touriste, et de faire un beau sourire. Inutile de vous dire que ma recherche de fourchette fut infructueuse! Les rues de Taipei sont bondées de ce qu'on pourrait qualifier de cantines. Il est moins cher de manger dans ces endroits que de se préparer un repas. Tout le monde mange dans la rue. On ne s'éternise pas : on mange, et ensuite, on quitte pour laisser la place au prochain.
Taipei est incroyable. L'architecture est un mélange agréable de Chine coloniale et de modernité. On ne peut passer à côté des incontournables : circulation dense, heures de pointe, métro. Je ne peux cacher ma déception d'y retrouver notre ami Ronald McDonald… On ne peut parler de Taipei sans faire allusion au marché de nuit. Un pas dans ces marchés et c'est l'immersion culturelle totale. Imaginez le plus de gens possible réunis dans des ruelles qui s'entrecroisent et sur lesquelles s'alignent des étalages marchands de toutes sortes : nourriture, animaux, vêtements. Tous vos sens sont stimulés. On se sent comme drogué, planant entre le réel et l'irréel.
La médecine à Taiwan
J'ai fait mon stage à l'urgence du National Taiwan University Hospital. L'hôpital de 4000 employés dessert 2000 patients hospitalisés et près de 8000 patients externes, ce qui en fait la plus grande université au pays. L'urgence ressemble typiquement aux urgences occidentales. Panoplie de personnes avec chacune un rôle incompréhensible à mon regard, vitesse, pollution sonore : tous les ingrédients sont réunis pour faire une bonne urgence. L'efficacité du département est remarquable : les patients sont vus presque instantanément. Mes collègues asiatiques sont stupéfaits lorsque je leur explique qu'au Québec, il est normal d'attendre une dizaine d'heures à l'urgence.
Les conditions de travail des médecins sont hasardeuses : nombreuses tâches, salaire inadéquat, poursuites civiles. Il est étrange pour moi de constater le grand nombre de poursuites judiciaires contre les médecins à Taiwan. Un critère important des étudiants en médecine qui choisissent une spécialité est précisément le nombre de poursuites judiciaires intentées contre cette spécialité…
En dehors de l'hôpital, les gens se montrent très respectueux, parfois même un peu trop pour mon esprit extravagant. À Taiwan, il est impoli de regarder dans les yeux. Même si je suis le seul Blanc dans le métro avec une tête dépassant tout le monde, personne ne me regarde, et les gens ne m'abordent pas. La plupart sont très timides d'engager une conversation en anglais. Lors de mes voyages précédents, je m'étais habitué à recevoir de l'attention, tout mon côté narcissique était alors en plein essor! À Taiwan, la culture promeut les contacts d'une autre manière.
Je remercie ce peuple de m'avoir montré une culture différente, de m'avoir laissé pénétrer dans cet esprit asiatique, où respect s'entremêle avec convivialité et où l'on prône confiance et fidélité.
Provoquer des opportunités
Les voyages forment la jeunesse. J'y crois, j'y tiens. Un voyage ouvre les yeux, entretient notre esprit. Le seul fait de nous remémorer un voyage nous fait planer. Un voyage nous fait naître et renaître. Certains appelleront cela de la chance, mais je n'y crois pas. La chance est la conséquence du hasard. Je ne me sens pas chanceux, je me sens privilégié. Ces privilèges, je les ai créés; ces opportunités, je l'ai ai provoquées.
Je remercie tous ces pays de m'avoir ouvert les bras, de m'avoir bercé au son de leurs coutumes et traditions propres, de m'avoir éduqué, de m'avoir appris que le monde dans lequel je vis ne s'arrête pas ici, et que demain appartient à celui qui franchira les frontières et non à celui qui les créera…