Projet porc-épic : traitement lexicographique d'emplois polémiques
La langue fluctue constamment en fonction des polémiques et des évolutions qui animent la société. Ce projet porte sur des emplois difficiles à traiter en lexicographie, parce qu’ils sont au cœur de différents débats identitaires (féminisation des titres, vocabulaire touchant les identités sexuelles et de genre, dénominations servant à désigner les Autochtones, etc.). Quelle position le dictionnaire, ouvrage supposé neutre et objectif, doit-il adopter face à ces usages? À partir de quand faut-il décider de les décrire et en fonction de quels critères? Que doit-on en dire? L’objectif de ce projet est de documenter et d’analyser ces emplois sensibles, et de proposer un traitement capable d’indiquer le poids de ces mots à l’époque actuelle.
Une description à l’image de la majorité
Le dictionnaire de langue vise à fournir sur les mots l’information la plus objective possible pour un large public. Son rôle est de décrire la langue, en s’appuyant généralement sur des corpus représentatifs de l’usage. Cette description cible un dénominateur commun et tient peu compte de la diversité, ce qui fait dire à certains que les dictionnaires seraient le « reflet de l’idéologie dominante » (Girardin, 1979 : 84) et fait craindre à d’autres que le dictionnaire doive bientôt se soumettre « à la bienséance et à l’orthodoxie langagières » (Boulanger, 1998 : 160).
Le dictionnaire, miroir d’une société?
Ce type de constat n’est pas nouveau, mais l’époque actuelle étant propice aux revendications de groupes minorés ou minoritaires, et les médias sociaux servant de porte-voix à certaines réclamations, le dictionnaire est de plus en plus fréquemment pris à partie dans l’espace public. Dans la conjoncture actuelle, cet ouvrage univoque, très codé, contraint à un espace limité et porteur d’une forme d’autorité peine à se renouveler en raison notamment du poids des importantes traditions lexicographiques. Le dictionnaire a souvent été décrit comme étant le miroir d’une société, mais à l’heure de l’éclatement des identités, ce miroir est appelé à élargir son spectre s’il veut pouvoir continuer à jouer son rôle.
Le Projet porc-épic
L’objectif principal de ce projet est de mettre à profit la souplesse du web pour tenter une nouvelle approche de la description lexicographique. En ne nous concentrant que sur les emplois sensibles d’un mot, nous tenterons d’en faire une description plus ouverte, que nous rendrons disponibles en ligne, en donnant toutes les explications nécessaires pour que l’usager puisse en comprendre les différentes interprétations possibles. La démarche initiale sera rigoureusement la même que pour la lexicographie traditionnelle (dépouillement de contextes, analyse des sèmes essentiels et secondaires, repérage des cooccurrents, etc.), mais le but ne sera plus d’identifier et de décrire l’emploi dominant de chaque sens (en termes de fréquence et de distribution), mais bien de tenir compte des différentes dénotations (traits objectifs) et connotations (traits subjectifs) d’un même sens, en fonction de l’émetteur, du récepteur ou du contexte d’utilisation.
Publications
VINCENT, Nadine (2023), « Traitement lexicographique d’emplois polémiques : les trois stades d’intégration d’endonymes autochtones en français du Québec », dans Nadine Vincent (dir.), Linx, revue des linguistes de l'Université Paris Ouest Nanterre La Défense, no 86.
CARRIER, Éloïse et Laetitia CHICOINE (2022), « De polémique linguistique à débat sociétal : l’ajout du pronom neutre iel au Dico en ligne Le Robert », dans Geneviève Bernard Barbeau et Nadine Vincent (dir.), Regards linguistiques sur des mots polémiques, numéro varia de Circula : revue d'idéologies linguistiques, no 16, p. 91-119.
VINCENT, Nadine (2022), « Faut-il adapter les dictionnaires à l’air du temps? Proposition d’un traitement polyphonique du mot woke », dans Geneviève Bernard Barbeau et Nadine Vincent (dir.), Regards linguistiques sur des mots polémiques, numéro thématique de Circula : revue d'idéologies linguistiques, no 15.
Faire parler les mots qui fâchent : entrevue accordée par Nadine Vincent à Nouvelles FLSH, Éloïse Hardy, 26 avril 2021.