Journée internationale des droits des femmes
Regards croisés sur le chemin vers l’égalité

Photo : Michel Caron - UdeS
De nombreuses femmes de l’UdeS s’impliquent pour faire progresser les droits des femmes, dans les lois et dans la société, pour lutter contre les inégalités, les discriminations ou les injustices vécues par les femmes. Quatre spécialistes de l’UdeS qui s’intéressent à ces enjeux partagent leur regard et leurs réflexions sur le chemin vers l’égalité.
Commençons par un petit retour dans le temps. 1954. L’Université de Sherbrooke ouvre ses portes. Sur une cohorte de 144 étudiants, on compte seulement deux femmes. À cette date, une femme québécoise peut voter depuis quelques années, mais n’a toujours pas la capacité juridique. Elle est donc considérée comme une mineure et a besoin du consentement de son mari dans de nombreuses sphères de sa vie.
Le chemin vers l’égalité des droits : de grandes avancées en quelques décennies
Pour Louise Bienvenue, professeure en histoire, qui enseigne l’histoire des femmes depuis plus de 20 ans, il est important de prendre la mesure des changements majeurs qui ont eu lieu au XXe siècle.
Une grande révolution s’est opérée, une révolution féministe, une révolution qui a été essentiellement pacifique. Le sang n’a pas coulé. Mais c'est un changement profond des sociétés qui s’est produit.
Louise Bienvenue
Le chemin vers l’égalité des droits a été amorcé parce que des femmes se sont mobilisées, ont eu le courage de mener des actions de militantisme et de lobbying, dans une société encore réticente. Comme historienne, Louise Bienvenue rappelle que la province de Québec a été longtemps bonne dernière au Canada en matière de droits des femmes, qu'il s'agisse de la question du droit de vote, de l’accès à l’éducation supérieure ou de la capacité juridique des femmes mariées.

Photo : Michel Caron - UdeS
Lors des débats autour de l’accès des femmes au droit de vote, de grands quotidiens comme La Presse ou Le Devoir présentaient des arguments selon lesquels les femmes étaient moins intelligentes, et n'avaient pas le même sens public ou la même force de jugement que les hommes.
Droits des femmes au Québec
1918 Les femmes obtiennent le droit de vote au fédéral, à l’exception des femmes de certains groupes ethniques comme les personnes d’origine asiatique ou les Autochtones (tous les groupes minoritaires auront le droit de vote en 1960).
1940 Le Québec est la dernière province à accorder le droit de vote aux femmes aux élections provinciales.
1964 La loi sur la capacité juridique de la femme mariée met fin à l’incapacité juridique des femmes et abolit le devoir d’obéissance de la femme à son mari. Les Québécoises peuvent dorénavant exercer une profession, gérer leurs propres biens ou conclure des contrats sans le consentement de leur mari.
1975 La Charte des droits et libertés de la personne interdit officiellement la discrimination basée sur le sexe au Québec.
1983 Le viol conjugal n’est plus légal. Une agression sexuelle commise par un conjoint constitue un crime.
1985 La loi sur les Indiens, qui contient plusieurs aspects discriminatoires envers les femmes autochtones, est modifiée pour permettre aux femmes autochtones, comme les hommes dans la même situation, de conserver leur statut juridique d’Indien lorsqu’elles se marient à un non-Autochtone. Des discriminations subsistent pour la transmission du statut à leurs enfants.
1988 L’avortement ne constitue plus un crime au Canada.
1996 La loi sur l’équité salariale est adoptée.
2006 Le Québec adopte la politique pour que l’égalité de droit devienne une égalité de fait. L’analyse différenciée selon le sexe (appelée aujourd’hui ADS+) devient un instrument de gouvernance et permet d’éclairer la prise de décision gouvernementale en fonction des potentiels impacts des politiques sur les femmes. Charlotte Thibault, diplômée de l’UdeS et ambassadrice de la Faculté des lettres et sciences humaines, a contribué à l'échelle internationale au développement de cette méthode d’analyse, ensuite adoptée par de nombreux pays.
2012 Pauline Marois devient la première femme élue première ministre du Québec.
2021 Le Québec adopte la loi visant la création d’un tribunal spécialisé en matière de violence sexuelle et de violence conjugale. L’objectif est de rebâtir la confiance des victimes envers le système de justice et d’offrir des services psychosociaux et judiciaires dès le premier contact avec un service de police.
Accès des femmes aux études supérieures
Pendant longtemps, l’accès des femmes aux études supérieures a été très limité. En 1884, les premières femmes sont admises à l’Université McGill, mais elles n’ont pas accès aux programmes principaux, comme la médecine ou le droit. Chez les francophones du Québec, l’accès à l’université est plus tardif. Il faut attendre 1910 à l’Université de Montréal et 1925 à l’Université Laval pour voir les premières percées. Mais encore là, seuls quelques programmes les accueillent. L’accès s’élargit un peu dans l’après-guerre, mais il faut attendre les années 1960 pour observer un vrai décollage.
Non, la question des droits des femmes n’est pas réglée
Après les grandes avancées et les gains des mouvements féministes des années 1970 et 1980, le discours a changé dans les années 1990 et 2000. La question des droits des femmes serait réglée. Louise Bienvenue, lorsqu’elle a commencé à enseigner en 2001, constate que les sujets autour de l’histoire des femmes ont moins la cote.
Puis, autour du Printemps érable de 2012 et de la vague de dénonciation des violences sexuelles #MoiAussi (#MeToo) en 2017, un basculement s’est opéré. Les cours se remplissaient. « On a vraiment senti une mobilisation neuve, un nouvel élan, avec une nouvelle génération de jeunes femmes très engagées, avec une sensibilité très aiguisée aux inégalités », se remémore Louise Bienvenue.
Pour Marie-Andrée Plante, professeure en droit, avocate et membre du Réseau québécois en études féministes, malgré les nombreuses avancées et le long chemin parcouru, les droits des femmes restent très récents et fragiles. « On le voit avec des questions comme le droit à l’avortement aux États-Unis, une décision de la Cour suprême américaine a effacé ce que l’on croyait être un acquis en un instant ». Selon elle, il est essentiel de se rappeler que, « non, la question des droits des femmes n’est pas réglée. Dire que l’égalité est atteinte, c’est faux. Des études le démontrent, des statistiques aussi ».

Photo : Michel Caron - UdeS
Le chemin vers l’égalité de fait : des inégalités persistantes
Ce qui motive Marie-Andrée Plante à s’impliquer sur les questions des droits des femmes, ce sont justement les chiffres qui démontrent que les inégalités persistent à de nombreux niveaux : écarts dans les salaires et dans l’accumulation de capital, écarts dans la charge parentale et domestique, discriminations, sexisme et harcèlement en milieu de travail…
La question des violences sexuelles et des violences conjugales, son domaine de recherche, est un terrain où les données sont très éloquentes. Les féminicides représentent presque 100 % des homicides en contexte conjugal. Dans près de neuf cas sur dix, la victime d’une agression sexuelle est une femme.
Une femme sur trois, dans sa vie adulte, va être victime d’une agression sexuelle. C'est énorme! C’est une femme sur trois que l’on connaît.
Marie-Andrée Plante
Elle souligne également l’enjeu de l’accès des femmes à des postes décisionnels dans la société. Dans les facultés de droit du Québec, par exemple, les femmes représentent 70 % des personnes étudiantes. Pourtant, quand on regarde les postes décisionnels dans les cabinets d’avocats ou dans la magistrature, cette proportion ne se reflète pas.
Eve Langelier, professeure en génie mécanique, titulaire de la Chaire pour les femmes en sciences et en génie au Québec, constate également qu’en sciences et en génie, la part des femmes diminue au fur et à mesure qu’on avance dans les études supérieures, puis qu’on gravit les échelons universitaires. Même dans les domaines où il y a la parité au baccalauréat, les femmes sont peu présentes dans les postes stratégiques et décisionnels.

Photo : Michel Caron - UdeS
S’impliquer pour l’inclusion des femmes
Selon les données de l’Ordre des ingénieurs du Québec, une femme ingénieure sur deux dit avoir vécu de la discrimination dans sa carrière. C'est trois fois plus que les femmes dans la population en général.
Eve Langelier s’implique depuis 20 ans pour que les femmes soient plus nombreuses à faire carrière en génie et en sciences, et surtout pour qu’elles s’y sentent davantage à leur place et heureuses, qu’elles puissent progresser et avoir un impact dans leur domaine.
Au Québec, les femmes représentent 23 % des inscriptions en génie à l’université, soit une augmentation de 7 % dans les dernières années. En 30 ans, la proportion de femmes ingénieures est passée de 4 % à 15 %. On constate donc une progression lente, mais des freins demeurent. Dès la plus jeune enfance, des stéréotypes persistent dans la façon dont les jeunes filles perçoivent leurs forces et leurs possibilités d’avenir.
On me dit parfois "peut-être que les filles et les femmes n’aiment tout simplement pas le génie ou les sciences". Mais la question à se poser est plutôt celle de savoir pourquoi elles n’aiment pas ça. Est-ce qu'elles ont rencontré des obstacles dans leur parcours qui ont fait en sorte qu'elles ont été éloignées de ces domaines?
Eve Langelier
Ruth Ndjaboue, professeure et chercheuse en épidémiologie, travail social et vieillissement, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en inclusivité et vieillissement actif, rappelle qu’historiquement, les femmes n’étaient pas incluses dans les projets de recherche.

Photo : Michel Caron - UdeS
Santé des femmes : vers plus d’équité
Dans ses recherches sur les risques psychosociaux au travail, ce qu'on appelle le stress au travail, Ruth Ndjaboue s’intéresse à la façon dont les femmes réagissent au stress. Or les modèles communément utilisés pour mesurer les stresseurs ont tous été conçus et validés dans les années où les femmes n'avaient pas encore un accès égalitaire au marché du travail.
Ses travaux ont montré que plus les femmes sont exposées à des niveaux de stress élevés, plus les impacts sur leur santé augmentent, contrairement aux hommes qui peuvent atteindre un certain palier. De plus, les femmes ont encore une charge familiale et domestique plus élevée, et sont donc susceptibles d’être exposées à davantage de stresseurs dans leur vie personnelle. Pour Ruth Ndjaboue, il est essentiel que cette différence dans l’exposition et la gestion du stress par les femmes soit prise en compte dans l’adaptation des actions de prévention en milieu de travail.
La plupart des essais cliniques de médicaments qu'on utilise aujourd'hui n'ont pas été testés sur des femmes dans la proportion qu'il fallait. Lorsque les femmes devaient avoir la permission de leurs maris, il était plus simple de mener les recherches sans les inclure.
Ruth Ndjaboue
Elle ajoute toutefois qu’aujourd’hui, plusieurs moyens sont mis en place pour viser une recherche plus paritaire : comités d’éthique, protocoles, guides, formations obligatoires… Dans les demandes de subventions, il est dorénavant impératif de démontrer que les projets tiennent compte du genre.
Optimisme et vigilance
2025. Les choses ont bien changé depuis l’ouverture de l’UdeS. Les femmes ont progressivement intégré les salles de classe, de plus en plus nombreuses. En quelques décennies, la société québécoise a énormément évolué. Les avancées pour les droits des femmes ont été majeures.
L'histoire, c'est une bonne façon d'avoir espoir dans le changement, parce qu'on voit que les sociétés, même si elles apparaissent immobiles et même si elles le sont en surface pendant des décennies, se transforment.
Louise Bienvenue
Marie-Andrée Plante est impressionnée de constater que les jeunes du secondaire parlent déjà de consentement ou de culture du viol. Elle se réjouit de voir les associations étudiantes de droit se doter spontanément de politiques en matière de violences sexuelles. Cette plus grande sensibilisation chez les jeunes et ce discours plus normalisé dans la société sur ces enjeux sont autant de signes encourageants.

Photo : Jean-Michel Naud (Musée des beaux-arts de Sherbrooke), collaborateur
Tout en se disant optimiste pour l’avenir, elle appelle à la vigilance. Les inégalités sont persistantes à bien des niveaux. Ces droits restent fragiles, et certains remis en question. En réaction à la vague #MeToo, par exemple, les mouvements masculinistes ont pris une place croissante dans le discours public et sur les médias sociaux.
Pour Eve Langelier, malgré les nombreux progrès, il faut continuer à travailler sur ces questions, « parce que si on arrête, on va reculer ». Elle précise également que les femmes ne constituent pas un tout homogène : « Quand on parlait de femmes avant, on parlait beaucoup des femmes blanches, inconsciemment. Mais il y a une diversité de femmes. Il y en a qui vivent plus d’enjeux que d'autres à cause de leur identité. »
Parmi les priorités : inclure toutes les femmes
Les quatre spécialistes s’accordent pour dire que la Journée internationale des droits des femmes reste importante non seulement pour mettre en lumière tout le chemin qu’il reste à parcourir, mais aussi pour sensibiliser aux réalités vécues par certains groupes de femmes.
Marie-Andrée Plante rappelle que les femmes autochtones vivent davantage de violences extrêmes. Meurtres, disparitions… elles sont surreprésentées dans toutes les sphères du système judiciaire. L’histoire médiatisée de Joyce Echaquan a mis en lumière les discriminations flagrantes dans l’accès aux soins de santé.
De nombreuses femmes dans le monde vivent dans des pays où les droits des femmes sont bafoués. Pour Ruth Ndjaboue, « il y a encore beaucoup de personnes qui souffrent juste parce qu'elles sont nées avec un utérus ». Elle souhaite que la question des droits des femmes ne s’arrête pas d’être abordée le 8 mars à minuit.
Les 364 autres jours de l’année sont tout aussi importants pour poursuivre le long chemin vers l’égalité de fait, pour toutes les femmes.
Suggestions culturelles pour poursuivre la réflexion
Eve Langelier recommande le livre Nos héroïnes, car « c’est un magnifique livre qui raconte une partie de notre histoire d’une perspective féminine. Mais aussi, parce que l’autrice est Anaïs Barbeau-Lavalette, une artiste au front! ».
Elle propose également le film Les figures de l’ombre, qui met en lumière la contribution trop souvent oubliée, voire cachée, de femmes noires à la science.
Louise Bienvenue conseille Idola Saint-Jean, l’insoumise de Marie Lavigne et Michèle Stanton-Jean, « une lecture qui se fait très bien et qui présente un personnage des années 1920, 1930, 1940, qui est en avance sur son temps et qui montre un beau modèle de femme engagée, intellectuelle, artiste aussi ».
Ruth Ndjaboue propose Une mère face au Reicht de Helmut Ziefle : « Ce livre m’inspire parce qu’il décrit ce qu’une femme victime et privée de ses droits a réussi à faire pour préserver ses valeurs, ses croyances et sa dignité dans des circonstances difficiles où plusieurs personnes avec plus de ressources auraient préféré renoncer à ces droits. »
Marie-Andrée Plante recommande des livres d’autrices québécoises, comme Le boys club de Martine Delvaux ou La fabrique du viol de Suzanne Zaccour.
Pionnière de l’histoire des femmes, Micheline Dumont enseignait l’histoire à l’UdeS. Avec trois autres historiennes, elle a écrit le premier livre de référence, L’Histoire des femmes du Québec depuis quatre siècles. Ce livre marque une pierre dans la connaissance que l'on a de l’histoire des femmes et dans l'affirmation de ce champ d'études comme étant valide, pertinent et nécessaire.
De nombreux livres sur la thématique des droits des femmes sont disponibles dans les bibliothèques de l’UdeS.
Des femmes inspirantes
Ruth Ndjaboue pense à Rosa Louise McCauley Parks, dite Rosa Parks, figure de la lutte contre la ségrégation raciale aux États-Unis, devenue célèbre lorsqu’elle a été emprisonnée pour avoir refusé de laisser son siège à un homme blanc dans un bus. « En refusant silencieusement de se lever quand elle avait besoin d’être assise comme tout passager fatigué, son action a crié plus fort que son silence et elle a donné une voix à ceux qui n’avaient pas de voix, juste à cause de leur condition biologique à la naissance. »
Marie-Andrée Plante souhaite mettre en lumière toutes ces femmes « ordinaires » que l’on a vues avoir le courage de dénoncer publiquement leurs agresseurs : « Je pense par exemple à Gisèle Pelicot et le procès sur les viols de Mazan en France l’automne dernier. La force qu’il faut pour briser le silence, la résilience, le refus d’avoir honte, c’est ça que je trouve particulièrement inspirant. »
Eve Langelier cite deux professeures émérites ayant réalisé de superbes carrières en sciences et en génie, tout en contribuant grandement à l’avancement des femmes. « Maryse Lassonde a été une pionnière en neuropsychologie de l’enfant. Elle a aussi été directrice scientifique du Fonds de recherche du Québec – Nature et Technologies où elle a mis en place plusieurs programmes et initiatives pour accroître la présence des femmes en sciences et en génie. Claire Deschênes a mis sur pied le Consortium de recherche en machines hydrauliques, qui a reçu le prix Synergie pour l’innovation du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada. Elle a aussi été titulaire de la première Chaire pour les femmes en sciences et en génie au Québec. »
Louise Bienvenue ne peut s’empêcher de nommer Marie-Claire Daveluy, dont elle a réalisé la biographie. « Cette Montréalaise, née en 1880, est remarquable à bien des égards : féministe, pionnière de l’éducation supérieure en sciences de l’information, première autrice de romans pour la jeunesse au Québec (on l’appelait la Comtesse de Ségur du Canada français), elle est aussi la première historienne laïque du Québec. »