Justice amiable - Acfas 2019
Quelle place pour la justice sans tribunaux?
Juriste en France, Florine pense que la justice rendue par les tribunaux n’est pas toujours équitable. Ses expériences l’amènent à croire plutôt en la justice amiable, qui peine pourtant à entrer dans les pratiques. C’est au Québec, à l’UdeS, qu’elle trouve l’expertise nécessaire à l’importante prise de conscience qu’elle espère initier avec son doctorat.
Lors de ses études de droit, Florine Truphémus n’entend presque pas parler des modes de justice amiable que sont la conciliation et la médiation. Ni ses cours ni ses professeurs n’abordent cette « autre » forme de justice de façon approfondie. Ce sont plutôt ses propres lectures, réalisées en classe préparatoire, qui l’éveillent à cette approche de résolution des conflits. « Comme étudiante, je trouvais intéressant d’ouvrir mon esprit aux autres facteurs qui entrent en ligne de compte quand un conflit survient entre deux personnes, ou entre deux entités économiques. »
En France, le tronc commun de la formation en droit ne comporte aucun cours spécialisé dans les modes amiables. « Je ne pouvais pas me faire à l’idée que je n’en entendrais jamais plus parler. » Son projet de doctorat commence dès lors à germer.
De la théorie à la pratique, en France et au Québec
La jeune Florine pratique le droit dans une entreprise d’assurance en France, au sein d’une équipe spécialisée dans la gestion des réclamations. Trop souvent, remarque-t-elle, des facteurs extérieurs entourant le litige ne sont pas considérés par le droit. Pourtant, ces éléments non juridiques – qui peuvent être des facteurs économiques, personnels, circonstanciels, etc. – ont bel et bien un impact sur le conflit qui oppose les parties.
« La justice amiable prend en compte l’ensemble de ces facteurs et apporte une solution globale au conflit. La justice conventionnelle, quant à elle, apporte une réponse strictement juridique à une problématique qui aura été préalablement, et nécessairement, réduite à sa seule dimension juridique. »
La justice amiable des deux côtés de l’Atlantique
Au Québec comme en France, les sphères politiques démontrent une volonté d’introduire toujours plus de justice amiable dans leurs systèmes respectifs. Depuis peu, la législation française prévoit l’obligation de tenter une conciliation conventionnelle pour certains litiges. Au Québec, les réformes successives du Code de procédure civile en 2003 et 2014 ont légitimé les modes de prévention et règlement des différends. C’est la juge à la retraite Louise Otis, de la Cour d’appel, qui avait convaincu son chef, en 1998, de lancer un projet expérimental de médiation civile, une expérience qui s’est transformée en service permanent. La médiation judiciaire québécoise a d’ailleurs célébré en 2018 son 20e anniversaire.
Malgré ces changements favorables, malgré l’insatisfaction grandissante des citoyens à l’égard de la justice traditionnelle et même, le recours aux modes amiables, dans la pratique, demeure timide. C’est là le point de départ de la recherche de Florine Truphémus. « Je pense que la justice est inabordable pour une grande majorité de la population, pour des raisons financières évidentes, et aussi pour des questions d’intelligibilité et d’accessibilité des règles et procédures. Je crois que le service public de la justice devrait être uniformément disponible pour tous les citoyens. Mais les modes de justice amiables pâtissent encore d’une méconnaissance générale, de la part du public et des professionnels du droit. Il faut s’attarder à cette perception selon laquelle l’accès à la justice est toujours majoritairement associé à l’accès aux tribunaux. Il faut remettre en cause ce présupposé et regarder de plus près comment ces modes sont considérés de part et d’autre et interroger la pertinence de ces repères. »
Son hypothèse principale
La justice amiable, à travers l’activité précontentieuse des compagnies de protection juridique et des professionnels des modes amiables de règlement des conflits, constitue-t-elle une forme de justice à part entière? Peut-elle être considérée au même titre que les procédés traditionnels du système judiciaire?
Parce que c’est à l’UdeS que ça se passe
« La France n’a pas de groupe ni de laboratoire spécialisés dans le domaine, explique l’étudiante de la Faculté de droit. Mais l’UdeS a cette expertise. Il y a énormément à faire sur ce sujet et Sherbrooke est la seule université francophone au Canada spécialisée dans ce créneau. »
Son projet de doctorat s’effectue en cotutelle avec le professeur Jean-François Roberge, qui dirige les programmes de prévention et règlement des différends à la Faculté de droit, ainsi qu’avec le professeur Loïc Cadiet, de l’Institut de recherche juridique de la Sorbonne de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne en France. Sa démarche se penchera spécifiquement sur la place accordée à la justice amiable à travers le prisme de l’activité d’assurance de protection juridique. Florine réalisera ses recherches tout en travaillant avec l’entreprise COVEA protection juridique ainsi qu’avec le Groupement des sociétés de protection juridique, dont l’entreprise fait partie.
« Les avocats, les juristes et les juges sont les premiers concernés par la problématique, car ce sont eux qu’on appelle quand on ne sait plus quoi faire. Ils conseillent et dirigent selon la formation qu’ils ont reçue et cette absence des modes amiables dans leur parcours universitaire ne les pousse pas à prendre en compte cette option. Je souhaite une réelle prise de conscience, chez les professionnels du droit, de l’utilité des modes amiables, conclut Florine Truphemus. Et j’espère que cette prise de conscience influera sur les citoyens. »
La justice amiable : une conception plurielle de la justice à travers le prisme des modes amiables de règlement des conflits et de l’assurance protection juridique. C'est le titre du doctorat de Florine Truphemus, qui a présenté les fruits de sa réflexion le jeudi 30 mai, dans le cadre du colloque Nature, transformation et gouvernance de la société et des institutions, au congrès de l'Acfas.