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Colloques

APPEL À CONTRIBUTION

La spirale de la violence: récits et témoignages de femmes*. Perspectives théoriques, culturelles et littéraires

Les propositions doivent nous parvenir au plus tard le 30 avril 2024.

Dates du colloque :

Les 18 et 19 octobre 2024

Lieux :

Agora du Carrefour de l'information (B1-2002) et l'Espace Anne-Hébert (A3-330) de l'Université de Sherbrooke

Responsables scientifiques du colloque :

Nicoletta Dolce (Université de Montréal) et Evelyne Gagnon (Université du Québec à Trois-Rivières)

Comité organisateur :

Nicoletta Dolce (Université de Montréal), Evelyne Gagnon (Université du Québec à Trois-Rivières) et Nathalie Watteyne (Université de Sherbrooke - CRILCQ)

*Par « femme » on désigne une personne qui s'identifie comme femme et qui a subi des violences car son agresseur l'a identifiée en tant que telle. En 1979, la psychologue états-unienne Lenore Walker théorise un modèle du fonctionnement de la violence dans le couple, nommé « le cycle de la violence » et divisé en trois phases (The Battered Woman, Harper & Row). C'est le point de départ de notre réflexion qui continue à se poursuivre.

Avec la collaboration du Centre Anne-Hébert de l'Université de Sherbrooke, de l'Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ) et du Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture au Québec (CRILCQ).

VOIR L'APPEL À CONTRIBUTION DÉTAILLÉ EN FORMAT PDF

« Ces femmes meurent parce qu'elles n'ont pas réussi à parler. Ne pas parler, c'est une tragédie. » (P. Melo, 2023)

C’est au sein d’un « silence assourdissant[1] » que s’exerce la violence à l’égard des femmes : un silence envahissant autant l’espace intime que public, un silence occulteur, complice d’une violence qui sévit dans une société trop souvent indifférente. La désinformation, la négligence institutionnelle, la spectacularisation tout comme la banalisation des médias et le manque de formation et d’éducation aux genres ne représentent que quelques aspects sous-jacents à une telle violence. Inscrit dans un projet de recherche pluriannuel, ce premier colloque a pour objectif de réfléchir aux discours qui peuvent être proposés en réponse à ce silence, cela en explorant la thématique de la spirale de la violence dans une perspective multidisciplinaire.

Comme la journaliste Laurène Daycard le souligne : « [p]arler de ‘violences faites aux femmes’ est un euphémisme, une délicatesse pour ne pas brusquer[2] » les gens qui résistent à l’utilisation d’un mot inconfortable, généralement mal compris, un mot cacophonique selon les uns ou carrément sexiste selon les autres, un mot qui fait débat, même parmi les spécialistes de la question. Le terme féminicide est pourtant le seul qui définisse précisément un phénomène aux proportions alarmantes : au moins une femme sur trois dans le monde a subi des violences physiques, sexuelles ou autres au cours de sa vie, souvent de la part de son partenaire ou ancien partenaire.

Précisons d’emblée que le terme fémicide est utilisé ici pour signifier la mort d’une femme aux mains de son partenaire intime. En revanche, le mot féminicide sera associé à la spirale de la violence, soit à ce que Christelle Taraud appelle le continuum féminicidaire, « c’est-à-dire un agrégat de violences polymorphes, connectées les unes aux autres par des liens subtils et complexes, subies par les femmes de leur naissance à leur mort[3] ». Dans ce colloque, nous nous intéresserons en ce sens aux manifestations du continuum féminicidaire, mais plus spécifiquement dans le contexte d’une relation intime[4]. En clair, nous sollicitons des propositions de communications scientifiques et littéraires sur la thématique de la spirale de la violence telle que déclinée dans les nuances énumérées dans cet appel. Concernant l’axe théorique, ce colloque favorisera une approche multifocale : juridique, historique, anthropologique, psychologique, sociale et médiatique. Quant à l’axe littéraire, nous nous concentrerons sur un corpus poétique. Si des œuvres documentaires récentes montrent les ramifications de la spirale de la violence, telles que Pourquoi tu restes? ou encore Pas une de plus[5], le corpus littéraire n’est pas en reste. Depuis le tournant des années 2000, on a en effet vu paraître de plus en plus d’œuvres mettant en scène la spirale de la violence intime. En France, Niko Tackian (Celle qui pleure sous l’eau) et Claire Berest (L’épaisseur d’un cheveu)[6] en proposent des témoignages romanesques aussi originaux que percutants. Du côté de la poésie, comment le discours poétique peut-il, avec ses modalités propres, mettre en scène la spirale de la violence intime? Pensons entre autres aux recueils Territoires occupés de Christiane Frenette, La fabrique du noir de Virginie Chaloux-Gendron, Tohu-bohu de Marie-Hélène Racine ou encore Le programme double de la femme tuée de Carole David[7], qui évoquent chacun à leur façon - dans des registres différents, mais par autant de nuances sémantiques et énonciatives - cette dynamique féminicidaire complexe. Quels territoires poétiques se trouvent dès lors investis par ce type de témoignages et en quoi ces énonciations apportent-elles des perspectives singulières en ce qui a trait à la violence intime? Voilà quelques-unes des questions littéraires qui pourront ici nous intéresser. 

Veuillez noter que les contributions issues de ce colloque seront publiées, par l’intermédiaire d’un processus de révision par les pairs, dans Les Cahiers Anne-Hébert.  

TERMINOLOGIE ET APPROCHES THÉORIQUES: QUELS DISCOURS POUR PROBLÉMATISER LA VIOLENCE?

Une brève clarification terminologique basée sur la dyade fémicide/féminicide s’impose. Le mot femicide, attesté dans la langue anglaise dès 1801, est employé par Diana Russell dans l’anthologie Femicide : The Politics of Women Killing, publiée avec Jill Radford en 1992[8]. À cette occasion, la criminologue crée une nouvelle catégorie désignant une violence extrême perpétrée par un homme à l’égard d’une femme en tant que telle. En 1993, l’anthropologue mexicaine Marcela Lagarde adopte pour sa part le vocable féminicide pour rapporter le cas de Ciudad Juarez, ville frontalière entre le Mexique et les États-Unis. De 1993 à 2009, plus de 4500 jeunes femmes y sont disparues, alors que plus de 650 furent torturées, puis assassinées et abandonnées; cela au mépris total des institutions et avec la complicité des forces de l’ordre corrompues, de la politique et du crime organisé[9]. À partir des contributions de Russell et de Lagarde, la dyade fémicide/féminicide a fait couler beaucoup d’encre et provoque encore de nos jours des discussions animées entre les spécialistes. Dans la foulée de ces débats, le présent colloque aimerait s’interroger plus avant sur les discours intellectuels qui contribuent actuellement, au Québec et au Canada, à problématiser le féminicide.

Dans l’ouvrage Féminicides. Une histoire mondiale, Christelle Taraud remarque que « [le] féminicide n’est pas une anomalie. Il est le symbole d’un système de domination très ancien qui repose sur la banalité, mais aussi l’impunité, des violences faites aux femmes et des crimes de haine à caractère sexiste perpétrés contre elles[10] ». À ce jour, l’Office des Nations Unis contre la Drogue et le Crime identifie onze formes de féminicides et relève que « [l]es féminicides touchent les femmes issues de tous les continents. Si l’on compare le nombre de féminicides par région du monde, on observe que l’Asie arrive en tête avec 20 000 femmes assassinées en 2017, devant l’Afrique (19 000), le continent américain (8 000), l’Europe (3 000), et l’Océanie (300)[11] ». À titre d’exemple, au Mexique, en 2020, dix femmes sont tuées chaque jour, victimes de la violence machiste; au Canada, entre « 1980 et 2012, 1181 femmes autochtones ont disparu ou été assassinées[12] »; au Brésil, l’État de l’Acre, majoritairement indigène, présente actuellement le plus fort taux de féminicides du pays; en Italie et en France, statistiquement, une femme tous les trois jours est victime de féminicide et l’on estime qu’aux États‑Unis, un viol a lieu toutes les six minutes et que toutes les quinze secondes, une femme est battue. Il est fondamental de rappeler que les femmes autochtones, racisées, immigrées, indigentes, en situation de handicap et de marginalisation sont très exposées aux crimes de genre et que leurs dénonciations subissent un processus de délégitimation. Qu’en est-il alors des contextes québécois et canadien?

UNE DYNAMIQUE COMPLEXE: COMMENT TÉMOIGNER, COMMENT FIGURER LA VIOLENCE?

Nous réfléchirons aux lieux d’accès à la parole dans un contexte de violence intime : comment le discours s’organise-t-il au sein de la spirale de la violence, comment retrouve-t-on son agentivité ou sa volonté de dénoncer, quelles représentations et figurations permettent de mettre en lumière les étapes de cette dynamique féminicidaire? Si la spirale de la violence, dans un crescendo d’abus et de vexations, peut aboutir au meurtre de la femme perpétré par son partenaire ou ancien partenaire, elle implique aussi une dynamique complexe s’enclenchant par des actes subtils de surveillance.  Tout d’abord, l’agresseur contrôle le cellulaire de la femme, ses fréquentations ainsi que ses habitudes. Puis survient la deuxième étape, c’est-à-dire celle de l’isolement : il commence à dénigrer les proches de la femme et « à faire en sorte qu’elle ne sorte plus, qu’elle ne puisse pas demander de l’aide, ni à sa famille ni au corps médical…et puis il s’attaque réellement à elle[13] ». Mu par un désir de toute-puissance, il exerce sur elle le droit de propriété : la victime devient un objet qui n’a pas sa volonté propre; c’est à ce stade, le passage de l’infériorisation à la chosification, qu’apparaissent les premiers gestes de violence physique. Privée de points de repères, la femme subit un processus de perte de l’estime de soi et de destruction du moi : psychologiquement humiliée, physiquement et sexuellement violée, elle vient à douter de sa valeur et à penser que ses actions sont fautives. Toute occasion, même la plus banale, donne lieu à des explosions de violence accompagnées de punitions visant à conduire la victime à un état de culpabilisation qui perdure. Aux yeux de l’abuseur, la femme est réifiée, ce qui lui permet autant de rester indifférent à sa souffrance que de la soumettre à diverses formes de violence. Selon Patrizia Romito, dans la violence intime, dite aussi conjugale, « les hommes humilient longuement et de diverses manières leurs partenaires féminines; le fait de les traiter de putes est souvent à l’origine de violences physiques et sexuelles. Parce qu’elles sont des putes, on peut leur faire tout ce que l’on veut, elles méritent d’être battues, de subir des violences sexuelles […][14] ». Ces violences perdurent jusqu’à ce que la femme décide de dénoncer, ce qui peut conduire au meurtre, car l’agresseur perd l’emprise sur sa victime. Et si la femme parvient à quitter le domicile conjugal, les actes persécutoires et les maltraitances souvent persistent.

À l’évidence, le féminicide ne découle pas d’une perte de contrôle, ne constitue pas un crime passionnel dicté par un raptus, comme une partie de l’opinion publique et des médias le soutient, mais il est, au contraire, la manifestation de la prise de pouvoir de l’homme sur la femme. Ce pouvoir se manifeste par différentes formes de violence : physique, sexuelle, psychologique et économique; toutefois elles peuvent ne pas être exercées simultanément. En guise d’exemple, on a répertorié des cas de violence psychologique, apparemment la moins visible, dont l’implacabilité pousse la femme au suicide forcé, également appelé meurtre psychique. En dépit de sa dimension privée, le féminicide intime a une grande portée politique, car il découle d’une société régie par le paradigme ancestral du patriarcat, par une violence symbolique et occulte qui imprègne fortement la conscience collective[15]. Tout en étant un phénomène multiforme et transversal, puisqu’il touche à différents groupes d’âges, classes sociales et confessions religieuses, il demeure un crime systémique et non pas systématique. Bien entendu, il ne faudrait surtout pas voir en chaque homme un agresseur potentiel[16].

Parallèlement, les cas de féminicide rapportés par les médias montrent souvent des victimes qui succombent, des femmes qui n’arrivent pas à s’en sortir comme si leur destin était une mort annoncée. Cette façon de traiter les informations répand une forme subtile de discrimination, car elle dégage le portrait d’une femme à court de moyens, incapable de contrer la dynamique abusive. Une telle logique victimaire non seulement infantilise la femme, la réduisant à la passivité, mais de plus décourage les autres femmes à agir dans des situations de violence intime. Sur le plan médiatique, pourquoi ne pas présenter aussi des exemples de résistance, de combat et de réussite? Sur le plan littéraire, quelles sont les figurations de cette dynamique de violence? Est-ce que ces témoignages ou représentations offrent davantage des nuances?

Dans le cadre de ce colloque, nous privilégions les trois axes de recherche et de création suivants :

AXE THÉORIQUE - L'ÉTAT DES LIEUX

Le féminicide constitue une problématique complexe qui demande à être abordée dans une perspective à 360 degrés. Un état des lieux s’impose, alors que le Canada semble montrer des carences majeures en ce domaine. La question sera abordée dans une perspective multifocale : juridique, historique, anthropologique, psychologique, sociale et médiatique. Dans un premier temps, les expertes et les experts seront ainsi invité.e.s à aménager un espace théorique solide dans lequel les différentes disciplines s’imbriquent et se corrèlent.

AXE POÉTICO-LITTÉRAIRE - ANALYSE

Ce volet accueille l’analyse et l’étude de recueils de poèmes abordant le féminicide, dans une perspective large, qui peut donc dépasser les frontières du Canada. Quelles représentations mettent en jeu la dynamique au cœur de la spirale de la violence? La poésie peut-elle devenir un lieu d’accès à la parole et le cas échéant, quelles en sont les modalités propres?

AXE POÉTICO-LITTÉRAIRE - CRÉATION

Les poètes de tous horizons et origines sont appelé.e.s à présenter des textes de création qui portent sur la spirale de la violence dans ses nuances et ses déclinaisons. Ces textes peuvent être accompagnés d’une réflexion critique au regard des enjeux qui nous intéressent ici. Les contributions poétiques pourront à ce titre prendre la forme de discussions, entretiens, prestations, etc.

MODALITÉS DE SOUMISSION

Date limite pour l’envoi des propositions : le 30 avril 2024.

Votre proposition comprendra : un titre, un résumé de 250 mots, une brève notice bio-bibliographique, ainsi que votre affiliation et vos coordonnées complètes.

Veuillez faire parvenir votre proposition avant la date limite, par courriel, aux responsables scientifiques du colloque : nicoletta.dolce@umontreal.ca et Evelyne.Gagnon2@uqtr.ca

Le colloque se déroulera en personne, au Centre Anne-Hébert de l’Université de Sherbrooke. Les détails concernant l’événement seront transmis ultérieurement. Veuillez noter que les participant.e.s devront assumer leurs coûts de déplacement et frais de séjour. Les repas et le café seront pris en charge par le comité organisateur de l’événement.


[1] Patrizia Romito, Un silenzio assordante. La violenza occultata su donne e minori, Milano, FrancoAngeli, 2005. C’est nous qui traduisons.

[2] Laurène Daycard, Nos absentes. À l’origine des féminicides, Paris, Seuil, 2023, p. 23.

[3] Christelle Taraud, Féminicides. Une histoire mondiale, Paris, La Découverte, 2022, p. 15.

[4]L’Organisation mondiale de la santé (OMS) reconnaît quatre formes de féminicide : intime, familial, communautaire et sociétal. Dans le présent colloque, nous n’aborderons pas les cas de violences collatérales, tels que l’inceste, l’infanticide ou les orphelins spéciaux (voir Anna Costanza Baldry, Orfani speciali, Milano, FrancoAngeli, 2018. Les orphelins spéciaux ont perdu leur mère, puisqu’elle a été tuée par leur père. On estime qu’en Italie, de 2000 à 2014, il y a eu 1600 cas).

[5] Tiphaine DeReyer (réal.) Pourquoi tu restes? Télé-Québec, 2023; Ève Lamont (réal.), Pas une de plus, KOTV, 2022.

[6] Niko Tackian, Celle qui pleurait sous l’eau, Paris, Calmann-Lévy, 2020; Claire Berest, L’épaisseur d’un cheveu, Paris, Albin Michel, 2023.

[7] Christiane Frenette, Territoires occupés, Mtl., Le lézard amoureux, 2007; Virginie Chaloux-Gendron, La fabrique du noir, Mtl., Le Noroît, 2022; Marie-Hélène Racine, Tohu-bohu, Mtl., éd. de la Maison en feu, 2022; Carole David, Le programme double de la femmetuée, Mtl., Les Herbes rouges, 2023.

[8] Diana Russell affirme avoir emprunté le mot femicide à l’écrivaine états-unienne Carol Orlock qui voulait écrire un roman portant ce titre (le projet n’a jamais abouti). Diana Russell, « Violence against Women » dans D. E. H. Russell et N. Van de Ven (dir.), Crimes against Women. Procedings of the International Tribunal, East Palo Alto, Frog in the Wall, 1976, p. 104.

[9] Voir le livre de Sergio Gonzàlez Rodríguez, Des os dans le désert, Saint-Julien, Passage du Nord-Est, 2002, traduit de l’espagnol (Mexique) par Isabelle Gugnon.

[10] Christelle Taraud (dir.), ibid. p. 11.

[12] Emmanuelle Walter, Sœurs volées. Enquête sur un féminicide au Canada, Montréal, Lux Éditeur, 2014, p. 14.

[13] Nico Tackian, ibid., p. 187. Dans le roman, le personnage de l’avocate décrit rigoureusement des étapes de la spirale de la violence.

[14] Patrizia Romito, ibid., p. 64.

[15] À ce sujet, voir l’ouvrage de Dolores Mosquera, Libera.Comprendere e trattare gli effetti della violenza sulle donne, Milano, Raffaello Cortina Editore, 2023, traduit de l’espagnol par Emilio Vercillo. Force est de rappeler qu’autant le masculin que le féminin sont sujets à la domination du patriarcat et que plusieurs femmes reproduisent inconsciemment ses distorsions cognitives.

[16] D’ailleurs, il existe aussi le phénomène contraire, soit le mâlicide, mais dans des proportions beaucoup plus limitées.


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