Pluralismes et parcours des pays littéraires d'Anne Hébert
Neil B. Bishop
En vue de cerner les paramètres de la problématique des pays référentiels dans un corpus hébertien s'étendant de 1938 à 1999, cet article repère ces divers pays-cadre à divers niveaux d'inscription : textuel et sous-textuel, explicite, métaphorique et autres. Les pays hébertiens sont pluriels et polysémiques. Deux grands modes inscripteurs de pays se font particulièrement remarquer : la structure «pays enclavé – pays enclavant» et la structure des pays laminaires. Certains pays référentiels revêtent une grande importance dans le corpus, dont notamment le Québec clérico-traditionnel; d'autres pays relèvent à la fois de la référentialité et de l'imaginaire hébertien : un pays composite Empire britannique-États-Unis, et un pays franco-tripartite Québec-Nouvelle-France-France d'Ancien Régime. Au cours de l'étude, ont émergé de puissants « affects de pays» reliés aux pays présents dans le corpus examiné, affects positifs ou négatifs (dont le principal, négatif frappe le Québec clérico-conservateur tandis qu'un autre, positif mais moins présent, se rapporte au Québec de la Révolution tranquille). S'est imposé, enfin, l'effacement partiel des problématiques des pays par rapport au puissant resurgissement d'une certaine condition humaine tragico-absurbe, qui hantait Hébert depuis les débuts de son œuvre et est revenu au premier plan dès Kamouraska. Le corpus hébertien examiné manifeste, en fonction de la problématique du pays, tant des variables que des constantes, dont l'une est la forte pertinence de cette problématique et une autre, son évanescence. L'étude finit par l'examen, dans un bref extrait, de moyens stylistiques ayant permis à Hébert d'inscrire dans son œuvre à la fois ces deux grandes problématiques – les pays et l'au-delà des pays (la condition humaine).