Du présent immobile au récit impossible. La figuration du temps dans Le tombeau des rois
Lucie BOURASSA
Dans sa préface à Mystère de la parole, Anne Hébert affirme que le poème s'accomplit dans l'habitation soudaine d'un instant plein et fécond, lequel est «cerné, saisi, projeté hors du temps». Le premier texte du Tombeau des rois semble mettre en scène un sujet qui habite ainsi l'instant: il multiplie les figures d'un présent dilaté et s'achève sur un geste inaugurant du nouveau. À la différence, toutefois, de l'acte créateur de Mystère, qui est «lourd de l'expérience accumulée», le geste du Tombeau naît dans l'oubli des «anciennes traces», qu'une nuit remplie de «songes» a effacées. Et si les autres poèmes du recueil montrent aussi des figures baignées dans un hors-temps, celui-ci apparaît sous la forme d'un présent immobile et sans avenir, ce qu'on a souvent interprété comme le résultat du repli du sujet dans l'illusion. Dans le présent article, on se penchera sur la temporalité du Tombeau en examinant la résistance qu'affichent les poèmes à la narration. On prendre comme point de départ l'hypothèse de Dominique Combe selon laquelle la poésie moderne, en rejetant le récit, chercherait à retrouver une «temporalité originaire», ouverte sur un pouvoir-être et un pouvoir-signifier. On montrera que la présent immobile du Tombeau est lié à un passé oblitéré, mais toujours agissant; que les entraves au récit s'accompagnent d'une forte tension vers l'intrigue; que la narration est plus impossible que réellement dépassée en vue d'une signification naissante. On conclura en disant que cette impossibilité semble provenir, plutôt que d'une fuite du sujet, d'une situation dont celui-ci aurait hérité, qui rend le passé indéchiffrable.