Le masculin chez Hector de Saint-Denys Garneau et Anne Hébert : de l'impuissance du regard à la perte de soi
Daniel Marcheix
L'œuvre d'Anne Hébert est, on le sait, profondément marquée par celle de son cousin Hector de Saint-Denys Garneau. Ce dialogue intertextuel se nourrit de la complicité de deux imaginaires et de deux sensibilités dont la proximité tient notamment à la présence de préoccupations communes. Nous avons choisi de nous pencher, parmi celles-ci, sur la propension du Journal de Garneau et des romans d'Hébert à mettre le masculin aux prises avec une expérience perceptive singulière, où le regard apparaît comme le vecteur essentiel d'un rapport problématique au monde, à l'Autre et à soi. L'activité spéculaire masculine s'y décline sur le mode de l'impuissance et de l'échec, et cette débâcle esthésique sert d'arrière-plan à des « formes de vie » auxquelles préside une survalorisation du voir. Le champ de présence du sujet se trouve alors parcouru d'une tension centrifuge qui décentre le flux perceptif dans une tentative d'extraction de soi et de maîtrise de la relation sensible. Mais cette passion de voir induit un renoncement à la sensorialité de la chair, à la corporéité du sentir. L'impasse de ce « dépouillement sensible » prend les dehors figuratifs et métaphoriques d'une violente mutilation : dessèchement somatique chez Garneau et abandon régressif et mortifère au grand principe féminin-maternel originaire chez Hébert.